Histoires-du-Canada

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1000-1754


Les troupes de l'Atlantique1000-1754

Les troupes de l'Atlantique. Intérêts stratégiques conflictuels

 

Soldat des Compagnies franches de la Marine
Cet homme appartient à la garnison d'une des colonies maritimes françaises d'Amérique du Nord. Les Compagnies franches de la Marine d'Acadie et de Plaisance portent cet uniforme entre 1701 et 1713. Reconstitution par Michel Pétard.

 

La possession des territoires de l'Atlantique constitue un point majeur dans la planification militaire de Louis XIV.  Cependant, la Grande-Bretagne et ses colonies du sud, principalement celles du Massachusetts, du New Hampshire, du Connecticut et du Rhode Island, les convoitent également.  Si l'enjeu commun semble demeurer les pêcheries et l'établissement de postes pouvant offrir une protection à ceux qui en font l'exploitation, cette activité n'occupe cependant que le second rang dans l'ordre des priorités qui déterminent la stratégie militaire de la France.  Car pour elle compte avant tout le contrôle de l'accès à l'intérieur du continent par le Saint Laurent.

Ces objectifs stratégiques, joints à la proximité des établissements français et anglais à Terre-Neuve et en Acadie, généreront de part et d'autre une activité militaire incessante dont, principalement, l'assaut préventif des postes ennemis afin de forcer les occupants à céder la place.  Les prises de possession sans lendemain qui s'ensuivront feront prendre conscience aux gouvernants français que la survie des postes de l'Atlantique est menacée.  Leur vulnérabilité est même plus grande encore que celle des forts et établissements du Canada, puisque leur minuscule population de fermiers et de pêcheurs ne peut les protéger efficacement.  Ce constat marquera l'envoi de troupes permanentes des Compagnies franches de la Marine dans ces deux territoires.  Durant les années 1690, des garnisons assez fortes pour en imposer seront finalement établies.  Comme les autorités britanniques opteront pour une solution similaire, c'est en une véritable forteresse de l'Atlantique que sera transformée cette partie avancée du continent nord-américain.

 

L'Acadie et Terre-Neuve. Une situation différente en Acadie

La situation du colon en Acadie est très différente de celle qui prévaut au Canada en ce qui a trait à la défense de son territoire.  Le danger continuel qui force le Français du Canada, dans les années 1650, à ne jamais sortir de chez lui qu'armé jusqu'aux dents, n'existe pas en Acadie du fait que les Amérindiens ne sont pas hostiles.  Abénaquis et Micmacs se montreront, au contraire, les plus précieux des alliés.  Les habitants des premiers comptoirs acadiens eurent sans doute à prendre les armes à l'occasion, puisque, dès 1627, on recommandait aux colons, autour de Port-Royal, d'être prêts à appuyer les soldats, le cas échéant.  Mais les tentatives pour les armer, comme ce fut le cas, en 1670, quand on envoya des fusils à leur intention, connurent un succès mitigé.  L'atmosphère de luttes féodales, ponctuées de longues occupations anglaises, qui accabla l'Acadie du XVIIe siècle, ne rendit guère possible non plus l'organisation des colons en milice.  Toutes ces raisons firent que cette institution ne put y prendre racine aussi bien qu'au Canada et déterminèrent la France à pourvoir autrement à la défense de ce territoire stratégiquement vital.

 

Lutte contre la Nouvelle-Angleterre

 

Le premier contingent des troupes de la Marine destiné à l'Acadie s'embarque à La Rochelle, le 10 juillet 1685, à bord du Saint-François-Xavier et de l'Honoré.  C'est une petite troupe composée de 24 soldats, un tambour, deux anspessades, deux caporaux et un sergent, commandés par un lieutenant.  Elle sera augmentée progressivement et subira de nombreuses attaques de la part des colonies américaines.  Ainsi, en mai 1688, un an avant même la déclaration de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, Sir Edmund Andros, alors gouverneur de la Nouvelle-Angleterre, prend et pille Pentagoët, puis envoie la garnison prisonnière à Boston.  Les Français font alors de Port-Royal leur chef-lieu, mais ce site est attaqué à son tour, en mai 1690, par plus de 700 hommes, commandés par Sir William Phips.  Le gouverneur, Menneval, qui n'a que 39 soldats, se rend avec les honneurs de la guerre.  Cependant, Phips rompt sa parole, pille la place et expédie les prisonniers à Boston, au lieu de les rapatrier en France.

Les Français contre-attaquent par de petits raids sur les établissements du Massachusetts (dans l'État actuel du Maine), avec leurs alliés amérindiens, les Abénaquis, qui ont à leur tête le baron de Saint-Castin.  Curieux destin que celui de cet homme de guerre.  Arrivé en 1670 comme enseigne, il s'intéresse aux langues et aux coutumes indigènes, épouse la fille du grand chef des Abénaquis vers 1680 et devient lui-même chef de guerre de cette nation.  En mai 1690, Saint-Castin, suivi de ses fidèles guerriers amérindiens, rejoint et accompagne l'expédition du commandant Portneuf, lors de la prise de Casco, l'une des trois places investies par les Français en guise de représailles contre le massacre de Lachine.  Deux ans plus tard, Français et Abénaquis repousseront ensemble une attaque anglaise contre le fort de Naxouat (aujourd'hui Fredericton, Nouveau-Brunswick).

 

Une garnison à Plaisance

 

Tambour des Compagnies franches de la Marine d'Acadie et de Plaisance
Portant la livrée du roi de France, ce tambour des Compagnies franches de la Marine d'Acadie et de Plaisance est revêtu du type d'uniforme qu'on voit en Nouvelle-France entre 1701 et 1713.

 

À Terre-Neuve, le premier contingent des troupes de la Marine arrive à Plaisance en 1687.  Comme en Acadie, il s'agit d'une petite troupe, composée de 21 soldats, un tambour, deux caporaux et un sergent.  Elle est commandée par le lieutenant Louis Pastour de Costabelle.  Dans cette garnison très isolée, les soldats vouent l'essentiel de leurs loisirs à la construction de fortifications et à la pêche côtière.  Ces travaux, bien que souvent ponctués d'alertes et d'attaques ennemies, ne suffisent pas à les tenir occupés et l'éloignement a sur eux un effet néfaste.  De plus, ils sont souvent mal payés et mal nourris.  Tout cela entraîne quelques tentatives de désertion.

Étant la principale base des navires français qui exploitent les pêcheries de Terre-Neuve, Plaisance n'échappera pas aux attaques des corsaires et flibustiers qui, à cette époque, écument les mers et dévastent les côtes.  En février 1690, à la suite d'un combat où deux soldats de la garnison trouvent la mort et un officier est blessé, la place est prise par des flibustiers anglais qui la pillent avant de repartir.  Des renforts, envoyés l'année suivante, permettent à la garnison de repousser deux nouvelles attaques en août et septembre 1691.  Puis, vers 1692, Plaisance devient, grâce aux travaux effectués par les soldats, une place assez bien fortifiée, et toutes les tentatives pour l'enlever se solderont désormais par des échecs.  Ainsi, à la fin d'août 1693, quelque 19 navires anglais doivent se retirer devant le tir des canons français.

 

Le remarquable Pierre Lemoyne d'Iberville

Assaut sur St. John's, Terre-Neuve, le 30 décembre 1696
D'octobre 1696 à mai 1697, des soldats français et 120 miliciens canadiens commandés par Pierre Le Moyne d'Iberville et le gouverneur de Placentia, le sieur de Brouillan, opèrent des raids dans la partie britannique de Terre-Neuve. La campagne est un succès militaire éclatant et affaiblit considérablement la colonie britannique. Les forces françaises et canadiennes font plus de 700 prisonniers et plus de 200 morts et blessés, tout en subissant des pertes insignifiantes.

 

L'année 1696 voit les Français s'imposer en force un peu partout dans les colonies maritimes, tant en Acadie où une seconde compagnie de la Marine s'ajoute à la défense territoriale, qu'à Terre-Neuve.  C'est pourtant grâce à l'entrée en scène d'un authentique foudre de guerre canadien que la France marquera autant de points sur l'échiquier atlantique : Pierre Le Moyne d'Iberville.

De retour de la baie d'Hudson, où il a semé de nouveau la terreur dans le camp anglais, d'Iberville vient d'abord prêter main-forte aux Français d'Acadie qui attaquent les établissements du Maine.  Avec le concours de la petite force navale qu'il commande, et celui de 240 guerriers abénaquis, la ville de Pemaquid sera pris cette année-là.  Puis, il file à toutes voiles vers Terre-Neuve où les Français, fatigués de subir les assauts anglais et se sentant désormais les reins assez solides pour passer à la contre-attaque, utilisent une nouvelle tactique qui sera couronnée de succès.  Prenant Plaisance comme base offensive terrestre, ils mettent à leur tour les Anglais sur la défensive.  Au cours des années qui suivront, ils enlèveront par trois fois St. John's, capitale anglaise de l'île.

La première attaque française contre cette ville a lieu en août 1696 et est repoussée.  Une compagnie de milice de Plaisance, où cette institution existe depuis la fin du XVIIe siècle, y participe.  Le 30 décembre suivant, d'Iberville et les hommes du gouverneur Brouillan s’empare du port.  Puis, d'Iberville poursuit son avance, et, au cours de l'année 1697, avec les quelque 125 volontaires canadiens qu'il a emmenés et les 40 Amérindiens d'Acadie qui sont venus le rejoindre, met à feu et à sang la partie anglaise de l'île, dont il détruit 27 postes sur 29. Pendant ce temps, les Acadiens sortent vainqueurs d'une nouvelle attaque contre Naxouat, après un échange d'artillerie de deux jours.

 

Une nouvelle politique de la Nouvelle-Angleterre pour Terre-Neuve

Les raids dévastateurs des Français à Terre-Neuve, en 1696 et 1697, ont pour effet de sortir de leur torpeur les autorités londoniennes.  Durant presque tout le XVIIe siècle, en effet, elles avaient laissé les établissements de l'île dépourvus de garnisons de soldats réguliers, bien que des colons y fussent installés depuis la fin du siècle précédent.  L'ampleur du désastre les décide à envoyer un régiment de troupes régulières ainsi qu'un détachement d'artillerie reprendre les établissements anglais.  Le régiment du colonel Gibbon fut désigné pour cette tâche.  Il comptait 760 soldats, qu'on embarqua sur 13 navires.  Lorsque la flotte arrive à St. John's en juin 1697, les Français sont partis, n'ayant laissé que ruines.  Aidés par 400 marins de la flotte, les militaires se mettent à l'œuvre afin d'ériger des fortifications, travail qui s'avère difficile « à cause de la solidité de la pierre qui détruit les outils plus vite qu'on ne peut les remplacer ».  Sous la direction de l'ingénieur Richards, le fort et les batteries d'artillerie sont en place au début de septembre.  Mais les hommes sont épuisés par les travaux et une partie du régiment retourne en Angleterre avec la flotte.  On laisse néanmoins un important détachement à St. John's : 263 soldats et officiers du régiment de Gibbon, deux ingénieurs et neuf ouvriers spécialisés du génie, ainsi que deux officiers d'artillerie et 17 artilleurs.  Cependant, cette garnison sera bientôt jugée trop nombreuse et, au printemps suivant, le roi rappellera une partie de ces soldats.  Il laisse sur place, pour monter la garde du fort et des batteries, 50 hommes que l'on regroupe en une compagnie franche d'infanterie, sous le commandement d'un lieutenant et d'un enseigne, ainsi qu'un détachement de sept artilleurs.

 

Régi par le gouvernement militaire

En 1697, les colonies anglaises de Terre-Neuve se trouvent sans gouverneur.  En même temps qu'il ordonne la réduction de la garnison, le roi autorise par décret l'officier supérieur qui commande les vaisseaux de guerre escortant le convoi annuel de navires de pêche en route pour St. John's à faire office de gouverneur et de commandant des troupes durant son séjour sur ces côtes.  L'île sera ainsi administrée par un commodore ou un amiral de la Royal Navy, à bord de son vaisseau, de 1698 jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.  Il n'y a à cela rien de surprenant.  Au début de la colonisation, la tradition des gouvernements autocratiques militaires était aussi fermement ancrée chez les Anglais que chez les Français.  Les colonies britanniques de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse étaient gouvernées par des militaires et n'avaient pas d'assemblées législatives, contrairement à celles du sud.  On y trouvait simplement un conseil formé de quelques officiers et notables, et présidé par le gouverneur (toujours un officier supérieur).  Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle pour qu'une assemblée législative soit établie en Nouvelle-Écosse.

 

La guerre de Succession d'Espagne

La signature du traité de Ryswick, en 1697, apporte un répit de quelques années qui sera rompu par la déclaration de la guerre de Succession d'Espagne, en 1702.  Lorsque cette dernière éclate, l'Acadie est assez bien défendue puisqu'elle compte quatre Compagnies franches de la Marine, chacune comprenant 50 hommes.  Quant au service de l'artillerie, il est d'abord assuré par un bombardier détaché de la Compagnie des Bombardiers de la Marine de Rochefort.  Sans doute celui-ci entraîne-t-il plusieurs soldats car, au cours de l'année 1702, le gouverneur Subercase annonce avoir formé une escouade de 12 canonniers, choisis parmi les meilleurs sujets dans les quatre compagnies, ceux « qui ont parfaitement bien fait ».  À Terre-Neuve, trois ans plus tard, le même énergique gouverneur impose une discipline plus sévère aux soldats et officiers de Plaisance, et exige d'eux une obéissance plus stricte aux règlements.  Cette méthode, qui fait appel à la fierté militaire, redresse la tenue et le moral de la troupe.  Enfin, il existe à Terre-Neuve plusieurs compagnies de miliciens, ainsi qu'en font foi la présence d'un major et d'un état-major des milices de l'île.  Certaines sont temporaires, se recrutant parmi les marins qui sont à Plaisance pour la saison.  Ainsi, en 1704, quelque 300 Basques capables de porter les armes sont équipés à la canadienne, « c'est-à-dire le tapabord en tête, le fusil, la corne à poudre et le sac à plomb en bandoulière, la raquette aux pieds » pour aller attaquer St. John's.  Le bastion français, tant en Acadie qu'à Terre-Neuve, se trouve donc en position de force et les résultats positifs de cette bonne santé militaire se feront bientôt sentir.

Du côté anglais, la compagnie franche laissée à St. John's par les Britanniques, après avoir été augmentée à 100 hommes en 1701, se trouve réduite de moitié quatre ans plus tard.  De plus, elle est mal approvisionnée et manque d'uniformes.  Le moment est bien mal choisi pour réduire les effectifs, car, en novembre 1704, après l'attaque de Bonavista, les Français reçoivent un renfort de 72 volontaires canadiens venus de Québec et d'une trentaine d'alliés micmacs.  Partie de Plaisance, cette troupe traverse Bonavista et, en février 1705, s'empare de St. John's, sans réussir toutefois à faire tomber le fort, dont la vaillante petite garnison lui tient tête pendant plus d'un mois.  Après cette deuxième prise de la capitale anglaise de Terre-Neuve, qui survient pendant la guerre de Succession d'Espagne, les volontaires canadiens et amérindiens reprennent la mer et, de guerriers, se font corsaires.  Ils seront de retour en 1709 pour une troisième et décisive attaque.

À partir de 1708, les navires anglais resserrent le blocus de Plaisance, mais cette mesure ne protège aucunement leurs postes à l'intérieur de l'île.  En janvier 1709, une expédition de 170 hommes comprenant, outre les soldats de la Marine, le même contingent de volontaires canadiens et micmacs, reprend donc St. John's.  Cette fois, ils s'emparent aussi du fort et détruisent toutes les fortifications.  La garnison, faite prisonnière, est envoyée en France.

 

À l'assaut de l'Acadie

Soldat, Compagnies franches de la Marine d'Acadie et de Plaisance (1701-1713)
Soldat des garnisons d'Acadie et de Plaisance des Compagnies franches de la Marine, vers 1701-1713. À cette époque, leurs uniformes diffèrent quelque peu de ceux qui sont portés par les Compagnies du Canada central. Il n'y a aucune dentelle sur les chapeaux, et les gilets, culottes et bas sont bleus au lieu d'être gris-blancs.

 

La même époque, les colons du Massachusetts, victimes, eux, des corsaires français qui ont leur base à Port-Royal, veulent en finir avec l'Acadie.  En juillet 1704, plus de 500 Bostonnais attaquent une première fois Port-Royal.  L'offensive se solde par un échec après 18 jours de siège.  En mai 1707, deuxième attaque.  Cette fois, la garnison française voit surgir à l'horizon quelque 25 voiles, transportant plus de 1 600 hommes !  Repoussés après seulement quelques jours d'affrontement, les Bostonnais reviennent à la charge en août, mais Français et Abénaquis les forcent à se rembarquer, ce qui cause un « scandale politique » à Boston.

Incapable de venir à bout de la résistance française, la Nouvelle-Angleterre demande l'appui de la métropole et obtient l'aide de la Royal Navy.  Le 24 septembre 1710, c'est maintenant quelque 36 navires, portant 3 600 hommes, qui assiègent Port-Royal.  Cette troupe comprend un bataillon d'infanterie de la marine britannique de 600 soldats réguliers, formé de détachements des régiments des colonels Holt, Will, Bar, Shannon et Churchill.  En font partie également 1 500 volontaires coloniaux, divisés en cinq régiments, dont deux proviennent du Massachusetts et les trois autres de chacune des colonies du Connecticut, du New Hampshire et du Rhode Island.  Cette fois les forces sont vraiment trop inégales et les quelque 150 soldats français, malgré leurs vaillants antécédents, se voient perdus.  Plusieurs tenteront même de déserter.  La garnison résiste néanmoins jusqu'au 13 octobre, date à laquelle le gouverneur Subercase capitule avec les honneurs de la guerre.  C'est la fin de la domination française en Acadie.  Port-Royal devient Annapolis Royal et les 149 soldats et officiers de la garnison française se rembarquent dès la fin d'octobre pour la France.  Les Acadiens qui servaient d'auxiliaires aux troupes régulières sont désarmés et la milice est abolie.  L'endroit est alors occupé par divers détachements britanniques composés de soldats des sept régiments
métropolitains.

 

La fin

La reine Anne de Grande-Bretagne règne de 1702 à 1714. Cette statue se dresse à la cathédrale St. Paul, à Londres. Après sa prise en 1710, Port-Royal est rebaptisée Annapolis Royal en l'honneur de la Reine.

 

En signant le traité d'Utrecht, le 11 avril 1713, la France abandonne toutes ses prétentions sur Terre-Neuve et sur une Acadie aux frontières mal définies, au profit de l'Angleterre.  L'évacuation des militaires et de la population française de Plaisance est complétée le 25 septembre 1714.  Ils sont envoyés à l'île Royale (île du Cap-Breton) où la France compte établir une nouvelle colonie.  En Angleterre, on crée quatre compagnies franches, spécialement destinées à monter la garde de Terre-Neuve, cette île si chèrement disputée.  Chacune compte, en principe, trois officiers et 88 soldats, mais, en réalité, l'effectif n'est que de 40 soldats par compagnie.  Un détachement d'artilleurs accompagne ces fantassins et la troupe arrive à Plaisance en mai 1714 pour remplacer la garnison française.  On décide de ne pas détacher de soldats à St. John's, mais de les poster tous à Plaisance, où ils seront pratiquement oubliés par la suite, ayant à peine de quoi se vêtir et chaussés de sabots de bois.

Terre-Neuve ne redeviendra plus jamais possession française.  Les exploits des soldats qui la défendirent sont aujourd'hui méconnus.  Battus un jour, ils étaient bientôt de retour, avec leurs alliés amérindiens, pour semer la consternation chez un ennemi qui leur était presque toujours supérieur en nombre et en moyens.  Traités de mutins et de déserteurs, ils rencontrèrent pourtant un succès peu commun dans ce qui était leur raison d'être sur ce territoire et leur occupation principale : faire la guerre.

Quant à l'Acadie, en devenant la Nouvelle-Écosse, elle s'engage dans une autre page de son histoire et les Acadiens, sujets britanniques, devront désormais se considérer comme neutres.

 

Louisbourg

La France ne fut pourtant pas évincée de la forteresse de l'Atlantique par ce traité, car elle conservait sa souveraineté sur l'île Saint-Jean (aujourd'hui l'île du Prince-Édouard) et sur l'île de la Cap-Breton, officiellement rebaptisée île Royale.  En 1713, les quatre compagnies de l'Acadie sont unies aux trois de Plaisance pour former les compagnies franches de l'île Royale.  Chacune se compose de trois officiers et de 50 soldats.  Ce nombre sera augmenté par la suite, mais, tout comme ailleurs, il sera rarement respecté, les recrues étant toujours en nombre insuffisant.

Du point de vue stratégique, l'île Royale est mieux située que l'île Saint-Jean.  On décide d'y établir la nouvelle colonie et d'y inclure un grand port militaire pour protéger les flottes de pêche et de commerce.  En 1719, le choix s'arrête sur Louisbourg comme site d'une base navale et d'un port puissamment fortifié.  Bien qu'il existe une prospère petite colonie française vivant essentiellement de pêche et d'agriculture à l'île Saint Jean et dans quelques autres petits établissements à l'île Royale, c'est à Louisbourg que se concentrera désormais l'essentiel de la colonie française de l'Atlantique.  Au fil des années, d'importantes fortifications s'y élèveront, de sorte que la très grande majorité des troupes de l'île Royale se retrouvera à Louisbourg.  Cette garnison comptera non seulement des Français, mais aussi, éventuellement, des mercenaires suisses.

 

Les colonies britanniques. Un modèle différent

Les colonies britanniques qui se développent au XVIIe siècle sur le territoire du Canada actuel, en périphérie de celles de la Nouvelle-France, sont très différentes de leurs voisines du sud.  Les établissements y sont peu importants, les populations peu nombreuses et surtout tournées vers la mer.  Après la chute de Port-Royal, en raison de l'intérêt que la France manifeste toujours pour les ressources naturelles des régions de l'Atlantique et pour leurs avantages stratégiques, la Grande-Bretagne y maintiendra des garnisons relativement importantes, particulièrement en Nouvelle-Écosse.  En 1713, quatre compagnies franches, comprenant chacune trois officiers et 88 soldats, en incluant les divers détachements postés à Annapolis Royal en 1710, sont en place.  Deux ans plus tard, les décès et les désertions les réduiront à 60 hommes chacune.

Une autre raison motive le maintien de forts effectifs dans cette région : la difficulté d'y organiser une milice.  En effet, après la reddition de Port-Royal, la population du territoire conquis se compose surtout d'Acadiens.  La présence de ces « Français neutres » au sein de la colonie anglaise est une source d'inquiétude constante pour les autorités britanniques, qui craignent un soulèvement.  Il n'est certainement pas question d'organiser militairement et d'armer ces gens qui peuvent tourner leurs armes contre eux à la première occasion !  Il n'y a donc que les colons de souche britannique qui peuvent être miliciens.  Au début du XVIIe siècle, les premiers établissements anglo-écossais avaient déjà disposé d'un genre de milice.  Les Français qui prirent le fort Rosemar, au Cap-Breton, en 1629, y trouvèrent 15 hommes armés d'arquebuses, portant des bourguignottes et des cuirasses avec brassards et cuissards.  D'autres combattants étaient armés de mousquets et de piques.  Il est clair que ces hommes étaient autant colons que soldats.  Après le traité d'Utrecht, en 1713, la milice de cette colonie, assez modeste et rudimentaire, ne connut de véritable organisation formelle qu'en 1720, alors que deux brevets de capitaine furent émis par le gouverneur.  Les commerçants de l'endroit furent alors regroupés en deux compagnies.  Mais leurs devoirs ne semblent pas avoir été uniquement de nature militaire, car leurs capitaines étaient aussi officiers de justice.  Cette milice disparut sans laisser de trace.

 

Friction avec les Amérindiens

Outre le problème acadien, les vainqueurs de Port-Royal se heurtent à un autre obstacle majeur : celui de l'hostilité à peu près constante des Amérindiens abénaquis et micmacs, qui harcèlent continuellement la garnison.  Afin de contrer cette guérilla, on va jusqu'à lever chez les Iroquois une compagnie d'éclaireurs !  À leur arrivée à Annapolis en 1712, on donne à chacun des 56 Agniers qui la composent, commandés par deux officiers blancs, une couverture et un fusil.  Pratiquement indépendants des autres troupes, ils logent hors du fort.  Ces Amérindiens, familiers avec la guerre dans les bois, font de bons éclaireurs et donnent de la difficulté aux alliés autochtones des Français ainsi qu'aux déserteurs de la garnison britannique qu'ils pourchassent.  Au bout d'un an, cependant, plusieurs Agniers « désertent » à leur tour pour retourner chez eux !  En mai 1713, le gouverneur renvoie ceux qui restent à Boston, où l'unité est dissoute.

 

Un régiment pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve

Quatre ans plus tard, en 1717, les Britanniques décident de créer un nouveau régiment pour monter la garde à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse et de lui incorporer les quatre compagnies franches déjà en poste à chacun de ces endroits.  Ce sera le 40e régiment d'infanterie, identifié par un uniforme rouge et chamois. 

Commandé par le colonel Phillips, il comprend une compagnie de grenadiers et neuf de fusiliers, au total 33 officiers et 400 soldats.  Un régiment d'infanterie, c'est plus que la garnison de la Jamaïque avant les années 1740 !  Comme la radieuse île des Antilles est alors économiquement importante, et qu'elle est entourée de colonies espagnoles habituellement hostiles, si ce n'est de pirates, il est clair à voir l'importance de cette troupe qu'on reconnaît en haut lieu britannique la valeur stratégique de la Nouvelle-Écosse.  De ces 10 compagnies, cinq seront postées à Plaisance et les cinq autres, dont celle de grenadiers, à Annapolis où le régiment a son quartier général.  Après le siège d'Annapolis par les Amérindiens, en 1722, quatre des compagnies franches de Terre-Neuve seront transférées à Canso, une seule restant à Plaisance.

 

La défense de l'île Royale. Composition de la garnison

Du côté français, quelque 3 000 soldats et recrues seront envoyés à l'île Royale entre 1714 et 1755, ce qui n'empêchera pas les Compagnies franches de la Marine en poste d'être généralement en dessous de leurs effectifs.  De 50 soldats par compagnie qu'il était en 1713, leur nombre passe, théoriquement, à 60 en 1723.  Mais, en 1719, il manque une cinquantaine d'hommes, et, deux ans plus tard, près d'une centaine.  Pour combler ces lacunes, un décret royal en date du 12 mai 1722 prescrit qu'un détachement de 50 officiers et soldats, tiré du régiment suisse de Karrer, soit envoyé à Louisbourg.

La fondation de ce régiment remonte au 15 décembre 1719 au moment où le roi Louis XV accorde à François-Adam Karrer, officier originaire de Soleure, en Suisse, vétéran des régiments de ce pays au service de la France, le droit de recruter un corps de trois compagnies de 200 hommes chacune.  Tout régiment suisse levé en vertu d'un contrat, que l'on nomme « capitulation », entre le roi et le colonel, jouit d'une certaine indépendance quant à sa gestion et à la justice militaire.  Selon les termes de cette entente, le colonel, propriétaire du régiment, loue celui-ci au roi à un prix convenu afin de couvrir la paye des officiers et soldats mercenaires ainsi que leur armement et leur habillement, tout en gardant une marge de profit.  Le régiment porte le nom de son colonel et tous les officiers doivent être suisses.  Quant aux soldats, leur nationalité importe peu, pourvu qu'ils soient recrutés par des Suisses.  Ainsi on peut trouver parmi eux des Allemands, de même que des gens des pays de l'Est ou de la Scandinavie, protestants ou non.  Mais il est formellement interdit à tous les régiments étrangers au service de la France d'engager « des soldats français », comme doit « l'expliquer » le prince de Bourbon au colonel Karrer, pris en flagrant délit d'enrôler des Français, en 1723.  L'uniforme de ces militaires est rouge et ils ont droit au sabre, arme des troupes d'élite.

 

La vie de Louisbourg

Embarquement du régiment suisse de Karrer
Des hommes du régiment suisse de Karrer, une unité mercenaire suisse à la solde des Français, s'embarquent pour Louisbourg. Ces troupes germanophones forment une partie de la garnison de la forteresse entre 1722 et 1745.

 

Faire partie de la garnison de Louisbourg en cette période de paix qui s'étendra jusqu'à la reprise des hostilités entre la France et l'Angleterre, en 1744, n'a rien de particulièrement agréable.  Le climat de l'île Royale, humide et froid, est difficile à supporter.  La forteresse est tout à fait isolée et fréquemment entourée de brouillard.  Le service consiste essentiellement à monter la garde.  En dehors de ces périodes et de celles consacrées à l'exercice, il y a peu de divertissements.  Aussi, on s'occupe souvent à construire des fortifications pour gagner un peu d'argent supplémentaire.  Comme il est rarement nécessaire d'envoyer de petits détachements à l'île Saint-Jean, ou dans les autres petits postes de l'île du Cap-Breton, comme Port-Toulouse et Port-Dauphin, les troupes sont groupées à Louisbourg et n'en sortent que peu ou pas.  De plus, contrairement à celles qui servent ailleurs en Nouvelle-France, elles ont peu d'occasions de se faire valoir lors d'expéditions qui encouragent l'esprit guerrier et favorisent l'émulation.  Toutes ces conditions nuisent au moral de la garnison française.  Quant aux soldats suisses, qui forment le cinquième de l'effectif militaire de l'île Royale, ils servent surtout dans la ville même.  Ils ont leur propre cantine et leur propre buanderie et mènent une existence séparée des soldats français, quoique sans hostilité réciproque.  La plupart d'entre eux ne parlent que l'allemand, ce qui explique sans doute leur peu de contact social avec les militaires et les civils français.  Ils sont aussi en majorité protestants, ce qui a son importance à une époque où l'Église catholique est la seule qui soit officiellement admise dans le royaume.

 

Sergent et soldat des Compagnies franches de la Marine de Nouvelle-France, entre 1716 et 1730. Ces deux hommes des Compagnies franches de la Marine portent le manteau français gris-blanc à parements bleus des troupes de la Marine. Le sergent à gauche est reconnaissable aux boutonnières brodées d'or ornant les parements de son manteau, ainsi qu'à sa hallebarde, une arme particulière à son grade. Le simple soldat est armé d'un mousquet, d'une épée et d'une baïonnette, et sa cartouchière est décorée d'une ancre. Ces uniformes datent de la période 1716-1730.

 

D'une façon générale, il manque dans les six Compagnies franches de la Marine de l'île Royale, qui devraient compter chacune 60 soldats en 1723, de 20 à 30 soldats par rapport au nombre total permis, mais le creux de la vague est atteint en 1731, alors qu'on note un déficit de 20 % par rapport à l'objectif prévu.  Il sera réduit l'année suivante par l'arrivée de renforts et par l'adjonction à chaque compagnie de deux cadets à l'aiguillette, postes attribués aux fils d'officiers.  En juin 1724, le nombre de soldats suisses sera porté à 100.

L'importance des troupes régulières en garnison à Louisbourg n'encourage pas la levée d'une milice à des fins militaires, et le rôle social que pourrait jouer cette institution au sein de la colonie n'apparaît pas évident.  D'où le peu d'intérêt que l'on apporte à lever un tel corps parmi la population de l'île Royale.  Ce n'est qu'en 1741 que deux compagnies de 50 hommes chacune seront établies dans la ville de Louisbourg.

 

Les années 1740. Une faille dans les troupes?.

Sergent et simple soldat du régiment suisse de Karrer. Un sergent et un simple soldat du régiment suisse de Karrer, une unité mercenaire suisse au service de la France, vers 1732. Les sergents portent des hallebardes et ont, comme insigne de grade, de la dentelle argentée aux manchettes. Jusqu'au début des années 1730, ils portent aussi un chapeau dont le bord est garni d'une frange de plumes rouges.

 

Des hommes de la Compagnie des cannoniers-bombardiers du Canada mettent en place une pièce d'artillerie.
Voici les différents grades des Canonniers-bombardiers au milieu du XVIIIe siècle. Les hommes servant le canon portent leurs gilets de façon à ne pas être gênés par leurs manteaux et leur matériel. Les sergents et les caporaux sont reconnaissables aux bandes de dentelle argentée cousues à leurs manchettes, qui sont doubles pour les premiers et simples pour les deuxièmes. Les tambours
portent la livrée du roi avec des boutons de métal blanc. Les uniformes des officiers sont identiques à ceux de leurs soldats, mais de meilleure qualité.

 

Vu panoramique de Louisbourg en août 1744
Cette vue de Louisbourg à l'été de 1744 montre combien le port de cette ville est actif. Des navires marchands et des navires de guerre (à droite) sont visibles. À l'arrière-plan, un phare signale l'entrée du port et un panache de fumée s'élève d'un navire au carénage. À l'avant-plan, des membres de la garnison de la forteresse travaillent autour du poste de garde.

 

Vue du port et de la ville de Louisbourg en août 1744
Cette vue présente les quais très animés du port de Louisbourg en août 1744. Divers navires sont montrés, dont un navire de guerre de la Marine royale française à l'avant plan, à droite. En arrière-plan, on voit les casernes du Bastion du Roy. Les soldats vivent dans l'aile droite, alors que les quartiers du gouverneur et la chapelle Saint-Louis se trouvent dans l'aile gauche.

 

Conflit et ensuite mutinerie à Louisbourg

Certains problèmes internes bouillonnent à Louisbourg et nuisent à l'efficacité des troupes.  Ainsi, alors que les relations entre simples soldats, suisses et français, sont convenables, il n'en va pas de même entre leurs officiers respectifs qui ne s'entendent pas au sujet de l'interprétation des droits et des privilèges des troupes suisses à Louisbourg.  Et surtout il existe, malheureusement, à l'intérieur de la garnison française, un système d'exploitation des soldats pire que dans les autres colonies qui permet aux officiers de contrôler l'argent gagné par les hommes tant durant leur service que pour leur participation aux travaux de fortification.  Le genre de commission qu'ils retiennent n'est pas inconnu ni même illégal dans les armées du XVIIIe siècle, mais il y a des abus évidents à l'île Royale.  Et ce qui se produit habituellement dans ces conditions-là arriva à Louisbourg : toute la garnison se mutina en 1744.

À l'aube du 27 décembre, cette année-là, il se passe des choses inhabituelles à l'intérieur des murs de la forteresse où les tambours du régiment suisse se mettent soudain à battre le rassemblement.  Les soldats s'assemblent dans le bastion du roi, l'enseigne Rasser accourt, demande des explications aux soldats, écoute leurs plaintes et se précipite chez le capitaine Schônherr qui lui ordonne de voir immédiatement le major de la garnison.  Mais d'autres tambours se mettent à battre à leur tour !  Ce sont les soldats des Compagnies franches de la Marine qui se joignent aux Suisses...  La mutinerie englobe presque toute la garnison de Louisbourg.  Seuls resteront fidèles à leur serment les sergents des Compagnies franches et la Compagnie des canonniers-bombardiers.

Les doléances des mutins sont raisonnables.  Les Suisses revendiquent une amélioration de leurs conditions de vie, tandis que les Français, qui font les mêmes représentations, se plaignent, en plus, des abus de certains officiers et fonctionnaires.  Les soldats réclament davantage de bois de chauffage, de meilleures rations, l'habillement dû aux recrues ainsi que les parts du butin auxquelles ont droit les soldats qui ont participé à la capture de Canso en mai.  Le commissaire ordonnateur, François Bigot, accède à leurs demandes, tandis que le gouverneur et les officiers parviennent à calmer les esprits.  L'ordre est rétabli, sinon la discipline, et la rébellion ne cause pas d'effusion de sang, même si certains officiers ont été forcés d'écouter les doléances de leurs hommes sous la menace des baïonnettes !  Bien qu'elle ait été menée sans violence, cette mutinerie est la plus importante de toutes celles qui se sont produites au sein des troupes coloniales durant l'Ancien Régime.  Comme les Suisses ont non seulement participé à la sédition, mais en ont été les instigateurs, le détachement de Karrer ne sera plus affecté à Louisbourg après 1745.

 

Entre-temps, dans les colonies britanniques

Vue d'Annapolis Royal, Nouvelle-Écosse, vers 1753
Cette vue maritime montre Annapolis Royal (anciennement Port-Royal) quelques années avant l'éclatement de la guerre de Sept Ans et la déportation des Acadiens. On peut voir à droite le fort Anne, construit en 1702 pour défendre la capitale de la colonie française d'Acadie. Aquarelle.

 

Du côté anglais, malgré le va-et-vient de divers régiments de ligne en Nouvelle-Écosse, le véritable régiment de garnison, l'équivalent des Compagnies franches de la Marine en Nouvelle-France, c'est le 40e, qui a sa base à Annapolis.  Il arrive souvent que les gouverneurs et lieutenants gouverneurs de la colonie soient choisis parmi ses officiers supérieurs, tel le colonel Phillips qui gouverne de 1717 à 1750.  Bien que quelques officiers obtiennent des terres, cela ne constitue pas, pour autant, une colonisation militaire comparable à ce qui se fait en Nouvelle-France.

 

Soldat du 40th British infantry regiment, vers 1745
Le 40th Regiment of Foot est l'unité stationnée de longue date à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse. Ce simple soldat tirant du mousquet est vêtu à la mode de 1745. Pour le service courant, les soldats anglais préfèrent les guêtres marron aux guêtres blanches, qui sont salissantes. Lorsque le temps est frais, ils détachent le rabat de leurs manteaux pour couvrir leurs cuisses et boutonnent leurs revers sur la poitrine.

 

D'autre part, en 1744, on ressent de nouveau le besoin urgent d'avoir une unité d'éclaireurs pour s'opposer aux Abénaquis et aux Micmacs, alliés des Français.  Cette fois, on ne recourra pas aux Iroquois, du moins au début, mais on lèvera en Nouvelle-Angleterre un corps de « Nova Scotia Rangers » - les éclaireurs de la Nouvelle-Écosse.  Deux compagnies sont rapidement recrutées et envoyées à Annapolis, en juillet, afin de renforcer la garnison.  En septembre il en arrive une troisième, commandée par le capitaine Joseph Goreham, très différente des deux autres, car elle se compose surtout d'une soixantaine d'Agniers et de Métis.  Rompus aux tactiques amérindiennes, ces hommes provoquent bientôt des escarmouches avec les alliés des Français.  Plus tard, les compagnies du Massachusetts retourneront chez elles, mais celle de Goreham restera en Nouvelle-Écosse, où elle patrouillera surtout l'ouest et construira quelques blockhaus.

 

Les miliciens américains prennent Louisbourg

Fusiliers marins britanniques, années 1740. Des détachements de dix régiments de fusiliers marins participent à la prise de Louisbourg en 1745. Ces troupes d'élite sont coiffées de mitres à garniture ronde.

 

Vers 1740, Louisbourg, dont la population est alors de quelque 4 000 habitants, remplit excellemment la fonction pour laquelle on l'a fondée : c'est un grand port d'attache pour les flottes françaises, particulièrement pour la flotte de commerce.  Le trafic maritime y est considérable.  Quatrième en importance en Amérique du Nord, après les ports de Boston, de New York et de Philadelphie, il fait concurrence aux activités maritimes des colonies du sud et Boston se sent menacé.

En 1745, la forteresse est donc assiégée par une armée de miliciens de la Nouvelle-Angleterre, appuyée par la Royal Navy britannique.  Un corps d'artillerie, sept régiments d'infanterie du Massachusetts, un du Connecticut et un autre du New Hampshire, trois compagnies du Rhode Island, participent au siège, appuyé par 800 soldats d'infanterie de la marine britannique.  À leur tête se trouve un fils de la Nouvelle-Angleterre, William Pepperell.  Du point de vue tactique, les Américains comptent sur leur connaissance des méthodes classiques de mener une guerre de siège à l'européenne pour faire tomber la forteresse.  Ils dirigent l'attaque habilement et avec détermination.  Du côté français, le moral de la garnison, qui garde un relent amer de la mutinerie de l'année précédente, n'est pas excellent.  On résiste pourtant durant un mois et demi, du ler mai au 17 juin 1745, puis on capitule après une défense assez mal menée.  Les troupes de l'île Royale obtiennent quand même les honneurs de la guerre et sont envoyées à Rochefort, en France.  Ce succès surprend les Européens et la Nouvelle-Angleterre éclate de joie.  Le parlement britannique rembourse les 185 000 livres dépensées pour financer l'expédition et le roi anoblit Pepperell qui devient le premier Américain à être créé baron.  La prise de Louisbourg démontre surtout quelle puissance militaire peuvent atteindre les diverses colonies lorsqu'elles s'unissent.

 

Des troupes de Nouvelle-Angleterre débarquent à Louisbourg, 1745
Des miliciens de Nouvelle-Angleterre, appuyés par la marine britannique, débarquent à Louisbourg en mai 1745. Au bout d'un court siège de 48 jours, les défenseurs français capitulent.

 

Peu avant le siège de la forteresse, en 1745, on avait augmenté à 90 hommes chacune des deux compagnies de milice de la ville et on en avait levé environ neuf autres.  Malgré leur ignorance des choses militaires - la majorité d'entre eux n'ayant jamais touché un fusil avant d'être mobilisés -, les miliciens de la ville se comportèrent honorablement durant le siège.  La capitulation de Louisbourg engloba l'île Saint Jean, mais le lieutenant Duvivier parvint à repousser un débarquement anglais avec sa petite garnison d'un sergent et de 15 soldats, avant d'évacuer l'île pour se rendre à Québec.

 

Occupation de la forteresse et offensives françaises. La garnison britannique

Officier et canonnier, Royal Artillery, 1742-1750
Ces soldats britanniques de la période comprise entre 1742 et 1750 portent les uniformes bleus du Royal Regiment of Artillery. La couleur sombre rend moins évidentes la poussière et la crasse qui a tôt fait de couvrir quiconque tire le canon ou d'autres pièces d'artillerie. L'officier à gauche se distingue par son écharpe écarlate, symbole des officiers britanniques depuis la fin du XVIIe siècle

 

À la suite de la capitulation de l'île Royale, en juillet 1745, les Britanniques doivent à leur tour assurer la défense de Louisbourg.  Dès septembre, on autorise, à Londres, la levée de deux régiments de ligne, les 65e et 66e, formés de miliciens américains vétérans du siège de la forteresse, afin d'y tenir garnison.  Chaque régiment doit compter 1 000 hommes, mais comme on donne une bonne partie des brevets d'officiers à des Britanniques, et que la plupart des miliciens veulent rentrer chez eux au lieu de rester à Louisbourg, le recrutement s'avère difficile.  L'arrivée des 29e, 30e et 45e régiments d'infanterie à Louisbourg, en avril 1746, laisse croire momentanément que la forteresse est bien gardée.

 

Contre-attaques des français

Guerrier micmac, vers 1740
Ce guerrier micmac des années 1740 est armé d'un mousquet de fabrication française et porte une chemise européenne

 

La même année, on organise en France une flotte, commandée par le duc d'Anville, pour aller reprendre Louisbourg.  À bord se trouvent deux bataillons du régiment de Ponthieu, deux bataillons de milice royale, un bataillon des Compagnies franches de la Marine ainsi que de l'artillerie.  Mais cette expédition joue de malchance.  De grandes tempêtes dispersent les navires, la maladie se déclare à bord et décime soldats et marins, le duc d'Anville meurt d'apoplexie et son successeur, découragé, tente de se suicider.  Les rescapés se réfugient dans la baie de Chibouctou, avant de finalement rentrer en France dans un piteux état.

D'autres expéditions importantes partent du Canada, dont un puissant corps de 680 miliciens, encadré par de nombreux militaires des Compagnies franches de la Marine, que le gouverneur général Beauharnois envoie vers l'Acadie dès 1746, afin de contrer l'effet négatif de la prise de Louisbourg.  Arrivés en juillet près de Beaubassin, au nord de la baie de Fundy, ils reçoivent l'appui de l'abbé Le Loutre, missionnaire-guerrier auprès des Amérindiens, et occupent l'isthme de Chignectou
.

 

Chef micmac, vers 1740
Ce chef micmac porte un mélange de vêtements amérindiens et européens. Les autorités coloniales françaises font souvent cadeau de vêtements militaires à des chefs alliés. Remarquer le hausse-col au cou de cet homme – la mode militaire européenne veut que cette petite pièce d'armure distingue les officiers des simples soldats.

 

Que cette région soit sous le contrôle des Français ne plaît guère aux Américains qui, à leur tour, envoient un régiment du Massachusetts, commandé par le colonel Noble, occuper Grand-Pré et les environs.  Le commandant Ramezay ordonne au capitaine Coulon de Villiers de les déloger.  Celui-ci fait d'abord un raid sur Cobequid (aujourd'hui Truro, Nouvelle-Écosse) en janvier 1747, puis entoure Grand-Pré avec ses 300 hommes, dont une cinquantaine d'Amérindiens.  Dans la nuit du 12 au 13 février, vers trois heures du matin, 10 détachements se faufilent dans Grand-Pré et attaquent simultanément les Américains qui sont vaincus après quelques minutes d'un combat confus dans l'obscurité.  Le colonel Noble est tué.  La garnison se rend.  On lui accorde les honneurs de la guerre et on l'envoie à Annapolis, tandis que Villiers et ses hommes se retirent plus au nord.

 

Perturbations et innovations parmi les Britanniques

 

Soldat des Nova Scotia Rangers, vers 1750
Les Nova Scotia Rangers sont le tout premier corps d'armée régulier britannique formé en Amérique du Nord. Également appelée Goreham's Rangers, du nom de leur commandant, cette unité est essentiellement formée d'Amérindiens et de Métis.

 

Du côté de Louisbourg, le mécontentement gronde dans la troupe anglaise qui assure la garde de la forteresse, et, durant l'été 1747, l'annonce d'une déduction sur la solde provoque une mutinerie générale.  Toute la garnison baisse les armes et commence une grève de la faim.  Les autorités n'ont d'autre choix que de contremander la déduction tout en souhaitant que la troupe se batte si les Français attaquent.  Il faut surtout espérer que la guerre de Succession d'Autriche finisse, ce qui se produit l'année suivante quand le traité d'Aix-la-Chapelle redonne Louisbourg à la France.

Parallèlement, la compagnie de Goreham continue de fournir de grands services en patrouillant le territoire.  En 1747, ce corps est porté à 100 hommes.  Deux ans plus tard, une deuxième compagnie, comprenant un effectif équivalent, et une troisième de 50 hommes sont levées parmi les colons de la Nouvelle-Écosse.  Un rapport français, rédigé à la veille de la guerre de Sept Ans, estime ce corps fort de 120 hommes, dont des Amérindiens « Maringhams (peut-être des Mohicans) que les nôtres méprisent et de mauvais sujets de toutes les nations ».  Ils sont employés à « courir les bois » et sont habillés en gris avec une petite casquette en cuir.  Malgré leurs « mauvais sujets », une opinion compréhensible venant de leurs ennemis, les Rangers de Goreham est considérée comme très efficaces par les Britanniques et cette compagnie est le noyau d'un bataillon de « North American Rangers » qui sera levé durant la guerre de Sept Ans.

Enfin, détail administratif, mais qui a son importance, bien que les Nova Scotia Rangers aient été levés sur un ordre de l'Assemblée législative du Massachusetts, en 1744, l'Angleterre donne son approbation et assume leur financement.  Trois ans après cette décision, le capitaine Goreham reçoit un brevet royal et la compagnie est payée à même le trésor britannique.  Ce qui signifie que ce corps, constitué en grande partie d'Amérindiens et de Métis, fait désormais partie de l'armée régulière britannique.  Les Nova Scotia Rangers serait donc le premier corps régulier levé dans les colonies britanniques au Canada.

 

Les troupes de l’Atlantique. L'île Royale est remise à la France

Durant l'année 1747, les compagnies franches de l'île Royale, celles qui avaient été envoyées à Rochefort en France, sont dépêchées à Québec, où elles renforcent la garnison.  En 1749, le traité d'Aix-la-Chapelle ayant rendu Louisbourg à la France, la garnison, augmentée de 16 nouvelles compagnies, retourne à son point d'attache.  Encore une fois, rapporte l'intendant Bigot en 1750, « l'esprit du soldat de l'île Royale, qui se trouve dans un affreux et vilain pays et resserré dans une place, s'y ennuie et n'est occupé que de trahisons ».  Pour briser un peu l'isolement de la troupe, l'état-major propose d'échanger quelques compagnies de l'île Royale contre d'autres venant d'ailleurs au Canada.  La mesure sera adoptée en 1752 et deux compagnies se remplaceront mutuellement tous les deux ans.  Mais au Canada, cela « n'arrange pas tout le monde » et cette pratique est vraisemblablement abandonnée à la veille de la guerre de Sept Ans.  À Louisbourg, les mesures qu'on adoptera pour remédier à la situation seront surtout d'affermir la discipline.

Cette tâche sera accomplie par Michel Lecomtois de Surlaville qui arrive en 1751 comme major des troupes.  Il observe que les rangs sont « mal alignés et [que] plusieurs soldats ne connaissent même pas l'usage de leur fusil » et parlent entre eux.  Le défilé se fait « sans aucune règle fixe », les soldats portant leurs armes comme il leur plaît, et ayant les cheveux « point ou mal attachés ».  L'armement et l'équipement sont en désordre, l'habillement « crasseux et usé ».  Ancien colonel des Grenadiers de France, Surlaville se montre fort vexé de cet état de choses.  Les officiers seront désormais tenus de porter leur uniforme et de montrer l'exemple de la discipline, les sergents devront demeurer avec leurs hommes et partager leurs repas, les cadets sont « avertis » de ne pas s'absenter des exercices, et les soldats devront se trouver aux casernes, être propres, « se peigner et attacher leurs cheveux ».  Surlaville fait multiplier les exercices et, après quelques semaines, note certains progrès.  La consigne qu'il applique ainsi a jusqu'alors été peu évidente au sein des troupes de l'île Royale, à savoir que plus la discipline est stricte, mais juste, dans une garnison isolée, plus les soldats qui composent celle-ci deviennent fiers et s'endurcissent à la vie militaire.  Quand il quitte Louisbourg, en 1754, Surlaville laisse une troupe bien disciplinée, accoutumée aux exercices militaires et ayant sans doute un bon esprit de corps.

 

Halifax, clef de l'Atlantique

Ayant perdu Louisbourg, les autorités britanniques décident d'établir à leur tour une puissante base navale et militaire en Nouvelle-Écosse.  En 1749, ils fondent la ville de Halifax et des travaux d'envergure commencent.  Cette décision est certainement, d'un point de vue de stratégie maritime, sinon de stratégie tout court, l'une des plus sages qui n’aient jamais été prises dans l'histoire du Canada et dans celle de la Grande-Bretagne elle-même.  Halifax, c'est la clef de l'Atlantique Nord et, encore aujourd'hui, la plus grande base navale du Canada.

En mai 1749, les 65e et 66e régiments sont dissous, tandis que les trois régiments britanniques, les 29e, 30e et 45e, sont transférés dans la nouvelle ville.  Le 40e régiment y établit son quartier général, et un détachement d'artillerie fait de même.

L'arrivée de plus de 1 300 colons à Halifax en 1749 entraîne bientôt la mise sur pied d'un corps de milice.  Le 10 décembre, tous les hommes de la ville âgés de 16 à 60 ans et en état de porter les armes sont rassemblés au Champ-de-Mars, où l'on procède à la nomination des officiers.  On forme 10 compagnies d'infanterie, chacune commandée par deux officiers et comprenant de 70 à 80 hommes, ainsi qu'une compagnie d'artificiers destinée à assister les ingénieurs de l'armée régulière.

Ces compagnies sont tenues de s'exercer au maniement des armes toutes les semaines.  Les absents doivent payer une amende et peuvent même être emprisonnés.  La discipline y est stricte - ne voit-on pas un sergent puni de 20 coups de fouet pour avoir insulté son capitaine !  Les devoirs consistent à participer à des corvées pour la construction des fortifications et à monter la garde à tour de rôle.  Un détachement de 150 miliciens est préposé au guet chaque nuit.  Ces hommes sont armés, mais n'ont pas d'uniformes.  Ils gardent leurs vêtements civils.  Cette solide organisation peut être considérée comme le véritable début de la milice dans les provinces maritimes.

Vers la fin de l'année suivante, une nouvelle compagnie de milice est formée à Darmouth et, en juin 1751, deux autres dans les faubourgs de Halifax.  Les escarmouches provoquées par les Amérindiens qui rôdent continuellement autour des établissements britanniques rendent cette protection nécessaire.  Le 22 mars 1753, le gouverneur Peregrine Hopson, aussi colonel du 29e régiment, oblige tous les sujets britanniques de la province à former des corps de miliciens, y compris les nouveaux colons allemands, qui se regrouperont dans le bataillon de Lunnenbourg.

Une milice maritime soldée voit également le jour en 1749.  Elle sert à bord de petits navires afin de protéger le commerce côtier des raids navals des Micmacs, d'assurer les communications et d'acheminer les approvisionnements de Halifax aux détachements postés dans les ports d'Annapolis, de Pizquid, de Grand-Pré et de Canso.  Les navires et leurs équipages, engagés par le gouverneur, forment un genre de petite marine provinciale temporaire.  Les navires Ulysses, New Casco, Dove, Yorke et Warren sont en service de 1749 à 1755 et quelques autres le seront pour des périodes plus courtes.  Ces bâtiments de dimension réduite mesurent approximativement 30 mètres, jaugent environ 90 tonneaux et sont sans doute armés de petites pièces d'artillerie.  Cette milice maritime disparaît avec la déclaration de la guerre de Sept Ans, en 1756, car la Royal Navy assume alors la responsabilité de toute la défense navale.

 

Prépondérance française à Chignectou

Si les troupes et milices anglaises parviennent à assurer la défense des établissements sur la côte et sur une bonne partie du littoral, elles ne peuvent stopper les raids effectués par d'importantes expéditions françaises envoyées du Canada à la frontière de la Nouvelle-Écosse, ni empêcher que l'isthme de Chignectou ne demeure français.  La paix de 1748 ravivera les prétentions britanniques selon lesquelles leur territoire comprend l'isthme et tout établissement acadien dans ce qui est aujourd'hui le Nouveau-Brunswick.  Pour leur part, les Français maintiennent des troupes régulières et des miliciens canadiens à l'ouest de la rivière Missiquash, tandis que les troupes britanniques restent à l'est de cette frontière officieuse, mais bien réelle.  Au début de 1751, les Français érigent les forts Gaspareau et Beauséjour pour contrebalancer la présence du fort Lawrence, érigé en octobre 1750.  La situation est tendue et les petits incidents sont fréquents, mais, dans l'ensemble, une certaine stabilité règne... du moins durant quelques années.

 

L’avenir de Louisbourg

Louisbourg demeure le centre stratégique de l'activité maritime française.  Il n'y a néanmoins que 1 100 soldats pour la défendre et une population de 4 000 âmes.  Les colonies du sud, quant à elles, sont maintenant appuyées par la Royal Navy et par une milice de plus en plus nombreuse et de mieux en mieux formée.  La fondation récente de la ville de Halifax, vouée à devenir une puissante base navale, confirme bien la volonté des Britanniques de contrôler le trafic maritime de la côte atlantique.  À ce rythme, non seulement l'équilibre des forces entre les différentes nations est rompu, mais la situation géopolitique de Louisbourg en fait maintenant une cible incontournable.


31/12/2012
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L'Empire militaire1000-1754

 

Un soldat des Compagnies franches de la Marine habillé pour aller en expédition, milieu du XVIIIe siècle
Les Compagnies franches de la Marine portent de courtes capotes, des jambières, des pagnes et des mocassins lorsqu'ils partent pour de longues expéditions en forêt. Deux indices révèlent qu'il s'agit d'un soldat. Le premier est la giberne estampée des armoiries de France qu'il porte à son ceinturon. Le deuxième est le bonnet de police gris pâle et bleu des Compagnies franches, qui ressemble à un bonnet de nuit.

 

Dès le début du XVIIe siècle, les Français s'aventurent de plus en plus profondément vers le centre du continent.  De 1658 à 1662, Pierre Radisson explore le lac Supérieur, se rend jusqu'à la baie d'Hudson par la rivière Albany et découvre le haut Mississippi.  D'autres explorateurs emboîtent le pas.  Ainsi, en 1673, Louis Jolliet et le père Marquette descendent le fleuve que les Amérindiens nomment Mississippi jusqu'à l'Arkansas.  Poussant plus loin encore ces explorations, Robert Cavelier de La Salle, parti de Montréal, parvient au golfe du Mexique en 1682.  Il donne le nom de Louisiane aux territoires dont il prend possession pour le roi Louis XIV.  La signification stratégique et géopolitique de ces explorations n'échappe pas aux Français qui voient la possibilité d'un immense empire s'ouvrir à eux en contrôlant les fleuves Saint-Laurent et Mississippi.  Deux ans plus tard, La Salle, à la tête d'une flotte de plusieurs navires transportant des colons et une centaine de soldats, quitte la France afin de fonder une nouvelle colonie sur le territoire qu'il vient de découvrir.  Mais il ne retrouve pas l'embouchure du Mississippi et la tentative tourne au désastre sur les côtes du Texas où il est finalement assassiné.  La colonisation se fera donc par le nord, à la même époque, alors que les missionnaires et les commerçants, suivis de quelques colons du Canada qu'attire cette terre plus tempérée, installent de petits postes dans le haut Mississippi, appelé « les Illinois ».

 

La Salle revendique la Louisiane au nom de la France
Le 6 avril 1682, Robert Cavelier de La Salle participe à une cérémonie par laquelle il revendique la Louisiane au nom de la France, après avoir descendu le fleuve Mississippi jusqu'au golfe du Mexique. Malgré le cadre sauvage, la cérémonie s'est déroulée en grand apparat.

 

À la suite de la fondation de Biloxi par d'Iberville en 1699, la France, grâce aux Canadiens, prend solidement pied dans le golfe du Mexique.  Dès les années 1720, une chaîne de forts, établis le long du Mississippi, assure les communications entre la Nouvelle-Orléans et les Illinois.  Par après, des fortins sont aussi érigés sur les bords des fleuves Arkansas et Missouri, portant l'influence française jusqu'aux nations amérindiennes des plaines centrales.  Enfin, de 1730 à 1743, les La Vérendrye, père et fils, lancés à la découverte de la « mer de l'Ouest », parsèment leur chemin de forts jusqu'aux Rocheuses, étendant ainsi l'emprise française sur une autre portion importante du continent nord-américain.

 

 

Le château Saint-Louis, 1698
Le château Saint-Louis, à Québec, sert de résidence du gouverneur général et de quartier général militaire pour le Canada durant le régime français. Gravure d'après un plan de 1698.

 

Comme pour tout empire, les militaires auront un rôle prépondérant à jouer dans la création de celui que la France projette d'établir en Amérique du Nord.  Il s'agit pour elle de contrôler tout accès à l'intérieur du continent.  Et si elle crée de solides alliances avec de nombreuses nations amérindiennes, la guerre avec les Renards, alliés des Iroquois, la nécessité de limiter l'expansion des colonies anglaises et espagnoles à l'est et au sud, exigeront d'elle des ressources humaines et militaires considérables.  Qu'ils encadrent les expéditions d'exploration, soumettent les ennemis de la France ou assurent la défense et la gestion des territoires conquis, les soldats et officiers des compagnies franches seront les grands artisans de ce volet de l'empire français en Amérique du Nord.

 

Vers les Grands Lacs Le centre militaire se déplace vers l’ouest

Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville (1680-1767)
Surnommé le « père de la Louisiane », cet officier natif de Montréal réussit à transformer un petit fort français en une vaste colonie. Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville est le frère du grand militaire canadien Pierre Le Moyne d'Iberville.

 

La ville de Québec « ne pourrait pas être mieux postée quand elle devrait devenir un jour la capitale d'un grand empire », écrit Frontenac à Colbert, en 1672.  À compter de la seconde moitié du XVIIe siècle, toutefois, si Québec conserve son rôle de capitale administrative, Montréal devient le pivot stratégique du Canada par sa position au cœur d'un réseau de voies d'eau irradiant dans toutes les directions.  Elle est le centre nerveux du déploiement des troupes françaises jusqu'au cœur du continent, et, par voie de conséquence, le quartier général de la plupart des Compagnies franches de la Marine.  Sur les 28 unités, 19 y sont postées, contre sept pour la garnison de Québec et deux pour celle de Trois-Rivières.  Montréal déclasse ainsi Québec au rang de premier poste défensif de la colonie, bien qu'elle ne bénéficie pas des mêmes avantages naturels ou artificiels, puisque ses modestes fortifications en bois, puis en pierre à partir des années 1720, qui peuvent assurer une protection contre des rôdeurs ennemis, ne pourraient soutenir un siège régulier.  Montréal est donc la grande base d'où partent les attaques contre tous ceux qui veulent s'opposer aux visées expansionnistes de la France au sud et à l'ouest.

En 1673, en même temps qu'il encourage les grandes expéditions d'exploration vers le sud, un Frontenac visionnaire pose le premier geste concret en vue de créer cet empire français d'Amérique du Nord en faisant ériger un fort - le fort Frontenac, aujourd'hui Kingston, Ontario - à l'entrée des Grands Lacs.  On y poste d'abord quelques soldats détachés des petites garnisons de Montréal et de Québec.  À partir de 1675, les compagnies commerciales qui effectuent la traite des fourrures sur ce territoire y entretiennent leurs propres soldats.  Ceux des Compagnies franches de la Marine les relèvent, en 1684, et deviennent ainsi la première garnison royale sur les Grands Lacs.  La deuxième s'installe, trois ans plus tard, à Niagara.  Quelques soldats se rendront en outre à Michillimakinac et même jusque chez les Illinois, mais ces petits détachements seront retirés en 1698, étant trop faibles pour résister aux Iroquois ou à d'autres tribus hostiles qui pourraient se présenter en force.  Ainsi commence le déploiement d'un vaste réseau défensif autour des Grands Lacs.

 

Sergent, tambour et soldat des Compagnies franches de la Marine de Nouvelle-France, 1685-1700. À gauche, un sergent porte l'uniforme gris-blanc à doublure rouge et des bas rouges (tenue des sergents des Compagnies franches de la Marine à cette époque). Il porte une hallebarde, l'arme distinctive des sergents dans les armées européennes. Le tambour au centre porte un uniforme aux couleurs de la livrée royale. À droite, un simple soldat porte un uniforme gris-blanc doublé et parementé de bleu, couleur qui distingue les troupes de la Marine. Son chapeau est bordé d'un faux galon d'or (mélange de fil de laiton et de ficelle jaune). Il est armé d'un mousquet, d'une baïonnette et d'une épée.

 

La « grande paix », conclue cérémonieusement à Montréal, après de longues et tortueuses négociations, entre la France, la Confédération iroquoise et les autres nations amérindiennes des Grands Lacs, lève les principales entraves qui empêchaient l'expansion française vers l'Ouest.  Sans même attendre la fin des négociations, un contingent de 90 soldats, sous la direction d'Antoine de La Mothe-Cadillac, monte à bord de 25 grands canots, aborde la rive du lac Érié le 24 juillet 1701 et fonde Détroit.  Il s'agit d'une colonisation militaire, car la plupart des soldats viennent pour s'y établir.  Ce poste prospère rapidement, étant admirablement situé tant pour le commerce des fourrures que pour assurer les communications entre le Canada, l'Illinois et les établissements français sur le Mississippi.

 

Premier conflit avec les Renards

Louis XV, roi de France de 1715 à 1774
Le roi de France, Louis XV (1710-1774), est représenté ici revêtu de sa robe royale. Il porte au cou les colliers et les insignes de deux ordres de chevalerie – l'ordre espagnol de la Toison d'or et l'ordre français de Saint-Louis. La croix blanche à huit branches de ce dernier est décernée à de nombreux militaires canadiens durant le régime français.

 

À mesure que les Français progressent vers l'ouest, ils créent des alliances avec la plupart des tribus amérindiennes qu'ils rencontrent.  Cependant, les Renards ou Outagamis, alliés des Iroquois, poussés par les Anglais, se révèlent des ennemis irréductibles.  Ce sont de féroces guerriers, hardis et vaillants.  Après divers incidents et provocations de leur part, les Français les invitent à vivre en paix auprès d'eux.  Ils sont nombreux à répondre à l'invitation et à se présenter devant Détroit, en 1711.  Mais ils se brouillent avec d'autres tribus et, en 1712, assiègent les villages amérindiens édifiés autour du fort.  N'ayant qu'une vingtaine de soldats dans sa garnison, le commandant Dubuisson fait appel aux miliciens et reçoit en outre le renfort de centaines d'Outaouais et d'Illinois alliés.  Repoussés, les Renards subissent à leur tour un siège de 19 jours dans leur village palissadé.  Alors qu'ils tentent une sortie nocturne, ils sont rattrapés près du lac Sainte-Claire et des centaines de leurs guerriers sont anéantis.  Cette défaite, qui ne marque cependant pas la fin des hostilités, les force à se tenir à l'écart pendant un certain temps.

 

Nouvelle garnison dans l’ouest

La trêve avec les Renards permettra la poursuite des établissements français dans la région des Grands Lacs.  Bien que laissés sans garnison durant la guerre de Succession d'Espagne, ceux-ci continuent néanmoins de prospérer.  Michillimakinac demeure la capitale des fourrures du Nord-Ouest.  On y rencontre quelques missionnaires, des « voyageurs », des coureurs des bois et aussi des colons qui ont quitté les rives du Saint-Laurent pour s'établir dans la contrée.  Avant même la fin des hostilités avec les Renards, on trouve des Français établis aussi loin que La Baie (Green Bay, Wisconsin).  En outre, plusieurs établissements s'élèvent déjà dans les Illinois (essentiellement le sud de l'État actuel de l'Illinois et l'est du Missouri) et ont pour chef-lieu le village de Kaskaskia.

 

Période de luttes

Un incident sanglant rappelle alors aux Français que les Renards sont toujours en travers de leur chemin : la mort, au cours d'une embuscade tendue par les Cherokees, amis des Renards, de deux jeunes officiers appartenant à la nouvelle bourgeoisie militaire canadienne.  L'un est le fils du gouverneur Ramezay et l'autre celui du baron de Longueuil.  Toute la colonie crie vengeance !  En mai 1716, une expédition militaire contre les Renards est donc organisée.  Ayant à sa tête le sieur de Louvigny, un contingent formé de 225 soldats et miliciens accompagnés de nombreux Amérindiens alliés se dirige vers l'État actuel du Wisconsin, traînant deux petits canons et un mortier à grenade.  Réfugiés dans un grand village fortifié de trois palissades (près de Sill Creek, Wisconsin), les Renards proposent, après quelques jours de siège, une capitulation que Louvigny accepte.

La colonie est désormais prévenue qu'il vaut mieux continuer de tenir à l’œil les Renards.  L'année suivante, en 1717, afin de suivre de plus près les activités de cette tribu, on érige le fort La Baie et une petite garnison arrive à Chagouamigon (près d'Ashland, Wisconsin), tandis qu'un sergent et une dizaine de soldats s'installent au fort Saint-Louis de Pimitcouy (près d'Utica, Illinois).  Étant donné la proximité des forts qui longent le Mississippi, on décide alors d'annexer à la Louisiane « le pays des Illinois », bien que sa population soit originaire des rives du Saint-Laurent.  Décision géographiquement logique et qui améliorera la défense de cette région.  Les quelques soldats canadiens qui y sont postés seront relevés par un détachement de troupes louisianaises comprenant une cinquantaine de soldats sous la direction d'un officier lui-même d'origine canadienne, Pierre Dugué de Boisbriant.  Partis de la Nouvelle-Orléans, ces hommes arrivent à Kaskaskia à la fin de 1718 et construisent en 1720, sur les bords du Mississippi, le fort de Chartres qui devient le centre administratif de la haute Louisiane - que l'on continue d'appeler « les Illinois ».  Par la suite, les garnisons louisianaises agiront toujours de concert avec les détachements canadiens dans ces fortins du nord-ouest.

Cette même année, lors de la guerre de la Quadruple Alliance contre l'Espagne, le jeu des alliances amérindiennes jouera de façon inattendue en faveur des Français.  Des membres des tribus Otos et Panis anéantiront, en effet, dès qu'elle s'approchera des Illinois, une expédition militaire espagnole en route depuis Sante Fe, au Nouveau-Mexique, sous la direction du commandant Villasur qui s'est donné pour mission de chasser les commerçants français des Prairies.  Ce désastre facilitera par la suite l'érection de quelques fortins dotés de petites garnisons à l'ouest du Mississippi, dont le plus avancé est le fort Cavagnal (près de Leavenworth, Kansas).  Grâce à ce réseau défensif, les Français jouissent maintenant d'une certaine hégémonie sur les plaines centrales.

 

La fin des Renards. Encore une fois la guerre avec les Renards

Désireux de laver l'humiliation que leur ont infligée les Français en 1716, les Renards se manifestent de nouveau au début des années 1720 et multiplient les incidents en s'attaquant à la nation des Illinois, alliée des Français.  Le commandant Lignery leur impose une paix précaire en 1726, ce qui n'empêchera pas les Renards de conclure, dès l'année suivante, des alliances avec les nations Winnebagos, Sioux, Mascoutins et Kickapous pour combattre les Français.  Entre temps, la petite garnison du nouveau fort Beauharnois (près de Frontenac, Minnesota), coincée entre les Renards et les Sioux, évacue la place, en octobre 1727, mais est capturée par les Mascoutins et les Kickapous.  Par crainte de la vengeance française, ceux-ci la relâchent au printemps suivant et annulent leur alliance avec les Renards.  Les Winnebagos se retirent aussi tandis que les Sioux optent pour la neutralité.  En 1728, quelque 400 militaires et miliciens, accompagnés d'environ 800 Amérindiens alliés arrivent à La Baie.  Ils brûlent les villages et les cultures des Renards, mais, incapables de les cerner, rebroussent chemin près de la ville actuelle d'Oshkosh, au Wisconsin.

 

Les Français tentent de détruire les Renards

Le commandant Lignery sera sévèrement critiqué par le gouverneur général Beauharnois pour ce demi-échec.  Reprenant l'initiative en 1729, celui-ci demande à ses alliés amérindiens la destruction pure et simple des Renards.  En octobre, un parti de guerre formé de Chippewas et d'Outaouais inflige une importante défaite aux Renards.  Mais ce n'est pas encore assez pour les soumettre.  Beauharnois envoie une force de 600 soldats et guerriers alliés, commandée par le capitaine Paul Marin prêter main-forte aux alliés.  Au printemps de 1730, après cinq jours de combat à Little Lake Butte des Morts, au Wisconsin, les Renards, très affaiblis, adoptent une solution désespérée : se réfugier chez les Iroquois, au sud du lac Ontario.

Au début d'août, toutefois, leurs anciens alliés, les Mascoutins, avertissent le commandant du fort Saint-Joseph, Coulon de Villiers, du déplacement des Renards vers l'est.  L'alarme est donnée aux commandants de Détroit, du fort Miami et du fort Vincennes en haute Louisiane.  Un autre corps franco-amérindien, que dirige le commandant Saint-Ange, est déjà, d'ailleurs, à leur poursuite.  Comprenant qu'ils sont pris, les fugitifs construisent rapidement un fort.  Le corps de Saint-Ange y arrive le 10 août, suivi de celui de Villiers sept jours plus tard, et d'autres encore.  En quelques jours, c'est plus de 200 Français et 1200 alliés amérindiens de l'Illinois et de la Louisiane qui encerclent les quelque 900 Renards.  Irrité de ce qu'il considère comme leur mauvaise foi, Beauharnois interdit toute négociation et n'accepte que la soumission sans condition.  Le 9 septembre, alors qu'ils tentent à la faveur de la nuit de s'échapper, les Renards sont rapidement pris par leurs ennemis amérindiens.  Leur fin sera horrible: 500 d'entre eux, guerriers, femmes et enfants, seront tués et les 400 autres amenés en esclavage.  Les Français se tiennent à l'écart, pas mécontents de ce règlement de compte entre Amérindiens.

 

La dernière lutte des renards

Une cinquantaine de guerriers renards seulement échapperont au massacre.  La puissance de leur nation est réduite à néant, mais ils n'ont pas dit encore leur dernier mot.  Trois ans plus tard, renforcés par une nouvelle alliance, cette fois avec les Saukis (ou Sauks ), ils infligeront de lourdes pertes aux Français près de La Baie :12 morts, dont quatre officiers, 16 blessés, incluant cinq officiers.  Critiqué par le ministre de la Marine, Beauharnois est désormais résolu à éliminer cette nation apparemment indestructible, ainsi que ses nouveaux alliés.  En août 1734, le commandant Noyelles, qui a reçu ce mandat, quitte Montréal pour l'Iowa, où se sont établis les Renards, accompagné d'une troupe de 210 hommes, dont 130 Amérindiens alliés, auxquels d'autres se joindront en cours de route.  Ils n'arriveront qu'en avril 1735, épuisés par la longue marche et le moral affecté par de nombreuses désertions amérindiennes.  Cette fois, les Renards et les Saukis ont l'avantage du nombre.  Après quelques escarmouches, au cours desquelles deux officiers sont tués, un traité de paix est conclu.  Les Renards, si puissants dix ans auparavant, ont perdu de leurs territoires et sont réduits à peu de gens.  Il semble inutile de poursuivre les opérations.  Deux ans plus tard, Beauharnois leur accordera finalement le pardon.  Ce qui aura pour effet d'améliorer l'influence française en haute Louisiane (les Illinois).

 

La tactique canadienne en Louisiane. La garnison de la Louisiane

Un chef de la nation Crow en tenue de cérémonie
La nation Crow parcourait le Montana et le nord du Wyoming en débordant sur la Saskatchewan. Le cheval, introduit pour la première fois par les Espagnols au Mexique au début du XVIe siècle, fait subir jusqu'au XVIIIe siècle des transformations profondes au mode de vie et aux tactiques guerrières des Indiens des plaines.

 

Faisant partie de la Nouvelle-France au même titre que l'Acadie et le Canada, la Louisiane possède ses propres troupes depuis 1704, alors qu'une garnison permanente y est établie avec l'arrivée de deux Compagnies franches de la Marine, fortes de 50 hommes chacune.  Cette garnison sera augmentée à quatre compagnies en 1715, puis à huit l'année suivante.  En 1717, sous le monopole de la Compagnie d'Occident puis de la Compagnie des Indes qui lui succédera en 1721, au moment où la Louisiane annexe « les Illinois », on passe de huit à 16 compagnies pour revenir graduellement par la suite au nombre initial.  De 1721 à 1725, une compagnie de soldats-ouvriers suisses y sert également.  Mais la prise du fort Rosalie (aujourd'hui Natchez, État du Mississippi) par la nation natchez démontre la faiblesse militaire de la Louisiane, qui redeviendra colonie royale en 1731 et sera administrée par le ministère de la Marine.  Celui-ci y dépêchera cinq nouvelles compagnies qui s'ajouteront aux huit alors en place.  La quatrième compagnie du régiment suisse de Karrer, qui compte à elle seule 200 officiers et soldats, s'y joint également.

Les troupes de la Louisiane sont surtout postées dans les nombreux forts qui jalonnent le Mississippi, du golfe du Mexique jusqu'aux Illinois.  Une partie des officiers qui les commandent sont originaires du Canada et on y trouve des cadets à l'aiguillette à compter de 1738.  Leur organisation est semblable à celle des troupes canadiennes.  L'armement, l'uniforme et le mode de recrutement sont identiques.  La Louisiane possède aussi une milice, dont l'organisation est calquée sur celle du Canada dans les Illinois, et sur celle des Antilles françaises, au sud.

 

Succès avec la façon canadienne de faire la guerre

Charles Le Moyne de Longueuil, second baron de Longueuil, vers 1750
Le Moyne de Longueuil (1687-1755) sert dans la garnison de Nouvelle-France pendant de nombreuses années en tant que membre de l'état-major général de Montréal. En 1739 et 1740, il commande l'expédition canadienne contre les Chickasaws en Louisiane.

 

En 1739 et 1740, la supériorité des tactiques utilisées par les troupes de la Marine issues du Canada sur celles pratiquées en Europe fut démontrée avec un certain éclat en Louisiane.  Sous l'influence des Anglais, la nation des Chicachas (ou Chickasaws) était alors en guerre avec les Français.  On décida donc d'envoyer de la métropole un corps expéditionnaire de 600 hommes.  Malheureusement, ces troupes furent menées comme si elles faisaient une campagne européenne.  Elles se déplaçaient avec lenteur alors que les Chicachas étaient insaisissables ou attendaient, bien embusqués dans leurs lointains villages fortifiés.  Au début de 1740, de nombreux soldats furent en outre emportés par la maladie et le sieur de Noailles, qui commandait l'expédition, dut finalement rebrousser chemin.

Fort heureusement pour l'honneur de la France, le ministre de la Marine avait demandé au gouverneur général de la Nouvelle-France de veiller à ce qu'un corps militaire provenant du Canada fasse la jonction avec l'expédition du sieur de Noailles.  Une force de 442 hommes, dont 319 Amérindiens alliés, sous les ordres du baron de Longueuil, quitte Montréal, en juillet 1739, en direction de la Louisiane. Une autre troupe, partie de Michillimakinac et ayant à sa tête le capitaine Pierre Joseph Céloron de Blainville, la rejoint et le contingent descend ensemble le Mississippi.  La jonction avec les troupes françaises se fait au début de janvier 1740, au nord de la ville actuelle de Memphis, dans le Tennessee.  Les troupes expéditionnaires françaises parlent de se retirer, mais le capitaine Blainville, avec une centaine de militaires et de miliciens canadiens, 200 Iroquois et Chactas alliés, marche résolument vers les villages ennemis, y mène une vigoureuse attaque, et les Chicachas n'ont d'autre choix que de demander la paix.  Que Céloron leur accorde.  L'honneur militaire français est sauf.  Les corps expéditionnaires retournent à leurs bases respectives, qui en France et qui au Canada.

 

La Nouvelle-Angleterre. Les colonies américaines subissent des raids

Quelques années plus tard, la déclaration de la guerre entre la France et la Grande-Bretagne, en 1744, aura pour conséquence de déplacer l'action militaire du centre vers l'est.  Les colonies britanniques à l'ouest du Massachusetts et du Connecticut, et au nord d'Albany, dans la province de New York, sont alors la cible de multiples raids menés à partir du Canada dans le but de faire échec à leur progression.  La plupart de ces attaques sont perpétrées par de petits groupes d'Abénaquis ou d'Agniers alliés aux Français, mais aussi à l'occasion par des miliciens et des militaires canadiens.  Ainsi, en novembre 1745, et de nouveau durant l'été de 1746, Saratoga, dans l'État actuel de New York, est frappé par de puissantes expéditions venues du Canada sous la conduite du commandant Paul Marin de La Malgue.

 

Une réplique abominable

Le gouverneur du Massachusetts renforcera la défense de ses frontières en y établissant des forts.  Aux 445 hommes qu'il mobilise pour servir de garnisons, s'ajoute en 1746 un renfort de 200 autres.  Pour exacerber quelque peu la haine des Amérindiens, il instaure un système de récompenses basé sur l'obtention de scalps de Français ou de leurs alliés, dont ceux de « femelles ou mâles ayant moins de douze ans ». Cette piètre politique ne donnera pas les résultats escomptés.  En août, une importante expédition, sous le commandement de Rigaud de Vaudreuil, rase le fort Massachusetts (aujourd'hui Adams, Massachusetts).

Entre temps, le gouverneur de New York ne reste pas inactif.  Il invite les miliciens du New Jersey, du Connecticut et du Maryland à joindre les siens pour prendre le fort Saint-Frédéric.  Les troupes sont finalement rassemblées à la fin de 1746 à quelques kilomètres au nord d'Albany, mais de multiples malentendus, qui ont leurs échos dans le New York Gazette, au sujet du paiement des frais de l'expédition et d'une certaine « peculation » qui entoure l'achat des habits bleus et des culottes rouges des 500 volontaires du New Jersey, provoquent l'effondrement du projet.

Pendant que les miliciens des colonies britanniques font marche arrière, les raids des Canadiens et de leurs alliés continuent de plus belle.  Le fort No 4 (aujourd'hui Charlestown, New Hampshire) et le nouveau fort Massachusetts, reconstruit en mai, résistent tant bien que mal, mais la garnison du fort Clinton (près d'Easton, New York) est quasiment décimée par Luc de La Corne de Saint-Luc à la tête d'une vingtaine de militaires et de miliciens et de quelque 200 Amérindiens.  Plusieurs villages entre Deerfield, Massachusetts, et White River (dans la région de Hartfort, Vermont) doivent être abandonnés.  Ce sera en définitive la paix, signée en Europe le 7 octobre 1748, qui ramènera un peu de calme dans les colonies.  Lorsque la nouvelle en parviendra à Boston, le 10 mai 1749, elle apportera un certain soulagement aux Américains dont le problème demeure cependant entier, puisqu'ils ne peuvent défendre leurs frontières contre les raids provenant du Canada.

 

Objectif : Ohio. Un point sensible

La possession de la vallée de l'Ohio est un autre point litigieux entre la France et la Grande-Bretagne qui, toutes les deux, la revendiquent, la première en raison des explorations de La Salle au siècle précédent, et la seconde parce qu'elle fait partie du territoire occupé par les Iroquois, sujets britanniques, et qu'elle désire y exercer librement son droit de propriété.  Bien que la France n'entretienne aucun doute quant à la justesse de ses propres prétentions, un seul poste, le fort Vincennes au confluent de l'Ohio et de la rivière Wabash, assure la sécurité de cette route fluviale.  Déjà, au cours des années 1740, on y note la présence d'un nombre croissant de marchands américains.

En juin 1749, une trentaine de militaires et 180 miliciens, accompagnés de quelques Amérindiens, partent de Montréal en expédition de reconnaissance.  Sous la conduite du capitaine Céloron de Blainville, ils remontent la rivière Allegheny pour atteindre l'Ohio.  En cours de route, ils enfouissent des plaques de plomb indiquant que ce territoire appartient au roi de France.  Après un périple de six mois, Céloron rapporte des nouvelles alarmantes : il n'a pu aboutir à aucune entente avec les marchands américains.  Leur intransigeance n'a même fait que grandir au cours des négociations qu'il a entreprises avec eux.  Quant aux Amérindiens de la région, ils semblent ralliés aux Anglais.  L'occupation militaire du territoire s'impose.

 

Suprématie française établie

Homme indécis, le gouverneur La Jonquière hésite.  Pendant qu'il tergiverse, l'hostilité antifrançaise des Amérindiens se conjugue à celle des Américains qui veulent coloniser la vallée.  Durant l'été, en effet, les Onontagués donnent leur accord à des colons de Virginie désireux de s'établir et de construire un fort dans la vallée.  Par ailleurs, les Miamis, autrefois amis des Français, se montrent, sous le chef Memeskia, hostiles.  Ils ont même accueilli des commerçants américains dans leur village de Pickawillany (aujourd'hui Piqua, Ohio), sur lequel flotte le drapeau britannique.  Sans attendre les instructions de Versailles, ni celles du gouverneur, les militaires des forts de l'Ouest réagissent.  Le cadet Charles-Michel Mouet de Langlade, fils d'un important marchand de fourrures et d'une princesse, fille d'un chef de la nation des Outaouais, prend la tête d'une expédition punitive d'environ 250 Amérindiens et de quelques miliciens canadiens, et mène une attaque-surprise contre Pickawillany pendant que les guerriers sont partis à la chasse.  Memeskia est tué et mangé par ses ennemis amérindiens, tandis que les commerçants sont faits prisonniers et emmenés au Canada.  Avant de partir, la troupe hisse non pas un, mais deux drapeaux français sur les ruines de Pickawillany.  Cet incident eut des répercussions considérables sur la suite des événements.  L'influence des Britanniques décrut chez les Amérindiens de la région, avertis du sort qui les attendait à courtiser les marchands américains.  Les Miamis eux-mêmes furent divisés, la plupart choisissant de renouer des liens d'amitié avec les Français.

Quand le gouverneur La Jonquière meurt, finalement, en mars 1752, sans avoir pris aucune décision, le marquis de Duquesne, qui lui succède, arrive de France avec des instructions spécifiques : assurer l'Ohio à la France.  Il mobilise d'importantes ressources en vue d'ériger de nombreux forts dans la vallée et confie cette tâche au capitaine Paul Marin de La Malgue, officier d'expérience dans les campagnes de l'Ouest, qui s'est signalé notamment durant la guerre contre les Renards.  Celui-ci quitte Montréal en direction de l'Ohio accompagné de 300 soldats des Compagnies franches de la Marine, de 18 de la Compagnie des canonniers-bombardiers, et d'environ 1200 miliciens et 200 Amérindiens.  Le fort Presqu'île (aujourd'hui la ville d'Érié, sur la rive sud du lac du même nom, en Pennsylvanie) sera complété en mai 1753, et le fort Le Bœuf en juillet.  Puis, un détachement se rendra au confluent de la rivière au Bœuf et de l'Allegheny et commencera la construction du fort Machault au village amérindien de Venango (aujourd'hui Franklin, Pennsylvanie).  Mais tous ces travaux sont réalisés dans des conditions climatiques difficiles, les pluies froides de septembre succédant aux chaleurs accablantes de l'été.  De plus, les vivres, trop souvent gâtés, provoquent de nombreuses maladies.  Marin lui-même décède et est remplacé par un autre vétéran des campagnes de l'Ouest, Jacques Le Gardeur de Saint-Pierre.

 

La Virginie prend les choses en main

 

Plan du fort Duquesne en 1754
Le fort Duquesne est construit en 1754 par les Français sur le site de l'actuelle Pittsburgh. Il est une réponse aux menaces que les britanniques font peser sur le contrôle français du pays de l'Ohio.

 

Le gouverneur de la Virginie, Robert Dinwiddie, alors persuadé que la vallée de l'Ohio appartient au roi d'Angletrerre, regarde d'un mauvais oeil la construction de tous ces forts.  Il envoie porter au fort Le Bœuf un ultimatum enjoignant la garnison de quitter les lieux.  L'émissaire du message fera parler de lui un jour.  C'est George Washington.  Quant au contenu, il n'impressionnera ni le capitaine Saint-Pierre, qui le recevra le 11 décembre 1753, ni le gouverneur Duquesne qui, le 3 février 1754, enverra une importante expédition, sous le commandement de Claude Pécaudy de Contrecoeur, assurer du renfort en Ohio.  Arrivant le 16 avril à la croisée des rivières Monongahela et Ohio, Contrecoeur y trouve une compagnie de soldats de la Virginie occupée à construire un fort.  Il les invite à quitter les lieux immédiatement, ce qu'ils feront le lendemain.  Les soldats français continuent ensuite tout bonnement la construction du fort qu'ils nommeront Duquesne (aujourd'hui Pittsburgh, Pennsylvanie) en l'honneur du gouverneur général de la Nouvelle-France.

Alarmé par la tournure des événements en Ohio, le gouverneur Dinwiddie propose alors des mesures énergiques : l'érection d'un fort sur la rivière Monongahela, la mobilisation de 800 miliciens pour une durée de quelques semaines et la levée immédiate d'un corps provincial de 300 volontaires.  Il ne s'agit de rien de moins que de démanteler les possessions françaises en Ohio !  Mais la Pennsylvanie, colonie voisine, est alors gouvernée par une secte religieuse pacifiste, les Quakers, et est la seule, parmi les 13 colonies américaines, à n'avoir aucune loi obligeant les hommes à faire partie d'une milice.  Son gouverneur est tout au plus autorisé à convier des volontaires non Quakers, qui sont cependant soldés par la colonie.  Donc, peu d'espoir de lever là une force armée imposante.  Même à Philadelphie il n'y a pas de garnison régulière !  Tel n'est pas le cas, cependant, en Virginie, colonie prospère et populeuse qui peut compter sur 27 000 miliciens.  En février 1754, l'Assemblée législative approuve les mesures proposées par Dinwiddie.  Le régiment de la Virginie est rapidement formé, armé, on le dote d'un uniforme rouge, et un détachement est aussitôt en route pour l'Ohio.  Le jeune colonel est nul autre que George Washington.

 

L'incident de Jumonville

Informé par ses éclaireurs de l'approche de cette troupe, le commandant du fort Duquesne, Claude Pécaudy de Contrecoeur, envoie au-devant d'elle une mission parlementaire sous le commandement de l'enseigne Joseph Coulon de Villiers, sieur de Jumonville.  Mais le matin du 28 mai 1754, le détachement de Washington, fort de 400 Américains et de leurs alliés amérindiens, attaque la petite escorte.  En 15 minutes, 10 hommes sont tués, dont Jumonville, un autre est blessé et 21 sont faits prisonniers.  Un seul membre de la mission parvient à s'échapper et à retourner au fort Duquesne, un milicien canadien nommé Monceau.

On ne saura sans doute jamais ce qui s'est passé au juste sur le site de la ville actuelle de Jumonville, en Pennsylvanie, ce 28 mai 1754, et la controverse demeure entière à ce sujet.  Selon plusieurs témoignages, Jumonville fut tué alors qu'il tentait de parlementer, ce que nia Washington.  Pour les historiens canadiens, il s'agit donc d'un assassinat pur et simple.  Mais pour bien des historiens américains, soucieux de défendre la réputation du futur père de la nation américaine, Jumonville serait tombé dans un piège, une fusillade aurait éclaté et il aurait été, malheureusement, un de ceux qui y perdirent la vie.  Quoi qu'il en soit, cette grave erreur diplomatique ébranla sérieusement la paix entre la France et l'Angleterre.

 

"Fort Necessity"

 

Jean-Baptiste-Philippe Testard de Montigny (1724-1786)
Testard est officier dans les Compagnies franches de la marine. Il se distingue lors de raids menés contre la Nouvelle-Angleterre en 1746 et 1747, puis durant la guerre de Sept Ans en Ohio et dans les Grands Lacs. Il est fait chevalier de Saint-Louis en 1757.

 

L'événement connaît un second rebondissement, le 26 juin suivant, quand le capitaine Louis Coulon de Villiers, des troupes de la Marine, arrive au fort Duquesne avec des renforts et apprend la mort de son frère.  Il obtient qu'on lui confie le commandement d'une troupe de quelque 600 militaires et miliciens canadiens ainsi que d'une centaine d'Amérindiens, et se lance à la poursuite des volontaires américains.  Il arrive au site de l'embuscade, fait enterrer les cadavres français scalpés et laissés sans sépulture, et continue sa course.  Les Américains ne sont pas aussi habiles que les Canadiens pour disparaître dans les bois.  Ils se réfugient dans un petit fort, baptisé à bon escient Fort Necessity (près de Farmington, Pennsylvanie) où Coulon de Villiers les rejoint, le 3 juillet.  Après une fusillade nourrie qui fait une centaine de morts du côté américain, Washington capitule.  Coulon de Villiers donne alors la preuve d'une grande modération : il laisse repartir au-delà du plateau des Alleghenys celui qu'il considère comme l'assassin de son frère.

Bien que l'acte de capitulation signé par Washington reconnaisse l'agression dont a été victime Jumonville et l'usurpation d'un territoire appartenant à la France, les Américains ne manifestent aucune intention de respecter ni leur signature ni les clauses se rapportant à l'occupation du territoire.  Bien au contraire, par la suite, les effectifs du régiment de Virginie sont portés à 700 hommes, tandis que les renforts de trois compagnies franches arrivent de New York et de la Caroline du Sud.  À la fin de 1754, ces troupes sont postées à l'est des Alleghenys afin d'empêcher toute incursion française.  Ces suites de « l'incident Jumonville » soulèveront une nouvelle tempête diplomatique en Europe, mais en se retranchant ainsi au lieu d'attaquer, les Américains donnaient la preuve une fois de plus que, du strict point de vue militaire, ils étaient incapables d'affronter les troupes du Canada.

 

La découverte de la « mer de l'Ouest ». Expédition de La Vérendrye

 

Carte des explorations de La Vérendrye dans l'Ouest, années 1730 et 1740
Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye (1685-1749) cartographie de vastes régions des Prairies durant les années 1730 et 1740, alors qu'il tente sans succès de découvrir le légendaire passage du Nord-Ouest, censé relier l'Atlantique et le Pacifique.

 

Alors que les Français viennent enfin à bout des Renards et établissent leur hégémonie sur les plaines centrales, un autre volet de la création de l'empire français en Amérique du Nord se joue au nord-ouest.  Elle a pour principal héros un obscur officier canadien sans ressources, malgré ses brillants états de service, et commence vers la fin des années 1720 quand Pierre Gaultier de La Vérendrye, commandant d'un poste situé aux confins du monde connu, Kaministigoyan (aujourd'hui Thunder Bay, Ontario) entend les Amérindiens parler des vastes plaines qui s'étendent plus loin et du soleil qui se couche dans la mer de l'Ouest.  Il se passionne pour ces récits et, en 1730, propose une mission d'exploration qu'approuvent tant au Canada le gouverneur général, Beauharnois, qu'en France, le ministre de la Marine, le comte de Maurepas.  Après deux siècles d'expéditions aussi bien au nord qu'au sud, les explorateurs européens n'ont toujours pas trouvé le fameux passage vers l'Ouest et la cartographie de toute une partie du continent reste encore très fragmentaire.  Du côté français, malgré quelques tentatives que la crainte de l'hostilité amérindienne fit avorter, on ne s'est guère aventuré encore au-delà du lac Supérieur.  Un projet qui peut apporter réponse à une des grandes énigmes des XVIIe et XVIIIe siècles trouve donc écho dans la volonté royale - en l'occurrence celle de Philippe d'Orléans qui assure la régence pendant les jeunes années de Louis XV.  L'année suivante, le lieutenant La Vérendrye prend la tête d'une expédition qui comprendra notamment quelques cadets - dont trois sont ses propres fils - et un missionnaire.  Ce type d'organisation sera retenu pour toutes les explorations vers l'Ouest par la suite.  Quels que soit la participation des missionnaires et des voyageurs, l'encadrement et le commandement seront militaires, aspect de tous ces voyages de découverte qu'on a rarement soulignée.

Alors commence une quinzaine d'années d'explorations remarquables.  L'expédition est organisée de façon systématique car, pour financer le tout, les La Vérendrye doivent commercer avec les Amérindiens.  À mesure qu'ils progressent, ils érigent des fortins : les forts Saint-Pierre (Fort Frances, Ontario) en 1731, Saint-Charles (Magnussen Island, Manitoba), l'année suivante, et Maurepas, au sud du lac Winnipeg, en 1734.  Les quelques coureurs des bois qui sillonnent déjà la région doivent s'accommoder de la venue de l'autorité royale et les nations amérindiennes dont ils traversent les territoires se montrent généralement accueillantes.  Cependant, les Sioux tendent un guet-apens au cours duquel ils tuent 21 Français, dont un des fils de La Vérendrye et le missionnaire de l'expédition.  Au lieu de risquer une confrontation militaire, La Vérendrye joue le jeu des alliances.  Il sera vengé huit ans plus tard quand les Cris et les Assiniboines écraseront les Sioux.

Cependant, on a beau nommer « mer de l'Ouest » les immenses prairies où on érige ces fortins, le ministre de la Marine désire qu'on trouve la véritable mer.  La Vérendrye pousse plus loin encore et érige le fort La Reine (Portage-la-Prairie, Manitoba) puis atteint le pays de la nation des Mandans, près de la ville actuelle de Spanish, dans le Dakota du Nord.  Toujours pas de mer de l'Ouest !  Épuisé, il revient au fort La Reine, laissant ses deux fils poursuivre seuls les explorations.

 

Les fils de La Vérendrye continuent les recherches

Statue de l'explorateur Pierre Gaultier de la Vérendrye (1685-1749)
On ne connaît aucun portrait authentique de Pierre Gaultier de Varennes et de la Vérendrye (1685-1749), cet officier qui est devenu l'un des grands explorateurs de l'Ouest canadien. Cette statue, qui se dresse à l'Assemblée nationale du Québec, est probablement sa représentation la plus connue. Dans cette représentation, il scrute symboliquement l'horizon lointain.

 

Ceux-ci, Louis Joseph et François, après s'être rendus séparément, l'un jusqu'à l'actuel Cedar Lake, au Manitoba, en remontant la rivière Saskatchewan, l'autre, dans la direction opposée, jusqu'à l'actuel Nebraska, non loin probablement des missions espagnoles situées au nord du Nouveau-Mexique, mèneront ensemble la plus importante de toutes ces expéditions.  Partis du fort La Reine le 29 avril 1742 en compagnie de deux autres Français et de guides amérindiens, ils sont, au début d'août, dans l'est du Montana ou au sud-ouest du Dakota du Nord, en décembre, dans le nord-ouest de l'État actuel du Wyoming.  Ces hommes blancs en quête de la mer de l'Ouest sont une véritable curiosité pour les Amérindiens nomades des plaines, qui finissent par se joindre à eux.  Et c'est bientôt un cortège d'environ 2 000 Amérindiens qui s'avance lentement dans les plaines avec les jeunes explorateurs.  Le 8 janvier 1743, enfin, ils aperçoivent au loin de hautes montagnes aux sommets enneigés - les Rocheuses !  S'en étant approchés, ils réalisent que c'est là un obstacle insurmontable et qu'ils ne peuvent aller plus loin.  Ils décident alors de revenir au fort La Reine, où ils arrivent, sains et sauf, le 2 juillet 1743, après 14 mois d'absence.  Ces deux cadets des Compagnies franches de la Marine du Canada viennent d'accomplir l'une des grandes explorations de l'histoire nord-américaine.

Malheureusement, ce qu'on veut en haut lieu, c'est la mer de l'Ouest !  Ces extraordinaires découvertes ne seront donc pas reconnues et les La Vérendrye seront rappelés.  Le père sera quand même promu capitaine et décoré de la croix de Saint-Louis peu avant sa mort, qui survient en 1749, mais ses fils resteront cadets pendant plusieurs années encore avant de devenir officiers et ne seront jamais décorés pour leur exploit.

 

Les frères La Vérendrye, 1743
Les frères Louis-Joseph et François de la Vérendrye, d'anciens cadets des Compagnies franches de la marine du Canada, se mettent en route pour découvrir la « mer de l'Ouest » et atteignent les montagnes Rocheuses en janvier 1743.

 

Après le départ des La Vérendrye, d'autres poursuivent leurs explorations.  Le fort La Jonquière est érigé au bord de la rivière Saskatchewan, au centre de la province actuelle du même nom, probablement dans la région de Nipawin.  C'est sans doute le poste le plus à l'ouest où l'on trouve une petite garnison de militaires français.  Il reste qu'un réseau de fortins parsème les Prairies, à compter des années 1730 et qu'ils sont sous autorité militaire, bien que ce soit des postes de commerce.

 

Le feu aux poudres

La vie des quelques officiers et soldats postés dans les petits forts des Prairies, entourés de nations amérindiennes aux humeurs changeantes, était loin d'être de tout repos.  L'incident suivant, survenu au fort La Reine, illustre bien jusqu'à quel point il fallait à ces hommes des nerfs d'acier pour survivre.

Vers la fin de l'année 1751, le fort n'avait pour toute garnison que cinq soldats français, commandés par le capitaine Jacques Le Gardeur de Repentigny, des Compagnies franches de la Marine.  C'était un homme qui avait acquis une grande expérience dans les relations avec les Amérindiens et qui était décoré de la croix de Saint-Louis.

Un matin, donc, quelque 200 guerriers assiniboines font irruption dans le fort.  Le commandant court vers eux, leur dit « vertement » qu'ils sont bien hardis d'entrer ainsi, met à la porte les plus insolents, demande aux autres de sortir et retourne dans son quartier.  Mais un soldat vient bientôt l'avertir qu'ils ont pris le corps de garde et se sont emparés des armes qui s'y trouvaient.  Repentigny se dirige à la hâte vers eux et les interpelle de nouveau.  Cette fois, il apprend que les Assiniboines ont l'intention de le tuer et de piller le fort.  Sans perdre un instant, Repentigny saisit un tison au feu ardent, se précipite dans la poudrière et ouvre un baril.

Les Assiniboines qui le suivent s'arrêtent net quand ils le voient leur faire face en promenant le tison au-dessus de la poudre !  Repentigny rapporte ensuite avoir fait dire aux Amérindiens par son interprète « d'un ton assuré, que je ne périrais pas par leurs mains, et qu'en mourant, j'aurais la gloire de leur faire tous subir mon même sort.  Ces sauvages virent plutôt mon tison et mon baril de poudre défoncé qu'ils n'entendirent mon interprète.  Ils volèrent tous à la porte du fort, qu'ils ébranlèrent considérablement, tant ils sortirent avec précipitation.  J'abandonnais vite mon tison, et n'eus rien de plus pressé que d'aller fermer la porte de mon fort ».

Les Français passèrent « tranquillement » l'hiver sur place, mais décidèrent finalement d'évacuer le fort au printemps 1752, car, nous dit Repentigny, « il n'aurait pas été prudent d'y laisser des Français ».  En effet, quatre jours après leur départ, les Assiniboines le brûlèrent.

 

L’apogée

Au milieu du XVIIIe siècle, les territoires du roi de France en Amérique du Nord forment donc une espèce de grand « T », traversant le Canada d'est en ouest depuis l'île du Cap-Breton jusqu'au milieu de la Saskatchewan, et du nord au sud à partir des Grands Lacs jusqu'au golfe du Mexique.  Malgré les distances considérables qui séparent les forts et les établissements, on trouve des détachements de troupes de la Marine parsemés sur toute l'étendue des possessions françaises.  Ces soldats montent la garde dans des conditions infiniment variées, selon qu'ils sont à Québec, à La Baie ou au fort La Reine.  Ils parviennent à en imposer aux Amérindiens hostiles, comme les Renards, mais forgent avec de nombreuses autres tribus indigènes des liens et des alliances qui jouent un rôle fondamental dans l'établissement de l'empire français.  C'est par la diplomatie de ses officiers, autant que par les armes, que la France s'assure l'hégémonie sur les relations commerciales et diplomatiques dans ces immenses étendues.  Sans enlever leur mérite aux colonies britanniques qui se développent lentement et parallèlement sur le territoire actuel du Canada, la première moitié du XVIIIe siècle est vraiment l'époque qui voit l'apogée des Français en Amérique du Nord.

Tout ceci fut possible, vers la fin du XVIIe siècle, parce que la Nouvelle-France se dota d'une solide organisation militaire et que les Canadiens, après avoir vivoté durant des décennies à la merci des indigènes, purent en tirer profit.  Une remarquable milice était en place et les officiers des troupes régulières furent recrutés de plus en plus chez les gentilshommes canadiens, de naissance ou d'adoption.  L'administration en Nouvelle-France était structurée et gérée de façon tout à fait militaire et son influence s'étendait aux affaires civiles, à la justice et à l'économie.  La présence militaire se faisait même sentir au sein de l'Église, soit par l'entremise des soldats qui assuraient la protection des missionnaires, soit par celle des ingénieurs militaires à qui on demandait de fournir les plans architecturaux des églises.

La transformation de la façon européenne de faire la guerre en une tactique canadienne originale, durant la seconde moitié du XVIIe siècle, fut aussi d'une importance primordiale dans l'histoire de la Nouvelle-France, car elle permit de tenir en respect les colonies américaines.  Du coup, les militaires et miliciens de la Nouvelle-France, aidés de leurs alliés amérindiens, parvinrent à contrôler presque complètement le centre de l'Amérique du Nord, car ils étaient les seuls à pouvoir mener des expéditions très loin de leurs bases, les seuls aussi à être capables d'aller rencontrer l'ennemi amérindien chez lui et de le battre sur son propre terrain, malgré quelques revers mineurs.

L'évolution militaire exceptionnelle de la Nouvelle-France favorisa le développement du sens de la nation canadienne dès la fin du XVIIe siècle.  Comme les institutions militaires étaient prépondérantes, puisqu'elles fournissaient le cadre de l'organisation sociale et gouvernementale, massivement dominée par les officiers canadiens, en adaptant les structures européennes aux besoins et à la géographie nord-américaine, elles renforcèrent le sens d'une identité distincte.  Les Canadiens étaient aussi Français, mais se définissaient de plus en plus selon leur nouveau pays.  Au début, celui-ci était une entité théorique, irréelle, mais pour les militaires et les miliciens qui traversaient le territoire en tout sens - à pied, en canot, en raquettes l'hiver -, il devenait peu à peu une réalité.  Ils l'exploraient, ils s'y battaient, ils en parlaient entre eux.
C'est à partir de cette vision du pays, que ces hommes voyaient de leurs yeux et défendaient de leurs mains, que naquit le sens de la nation dans leur cœur.
 


31/12/2012
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