Histoires-du-Canada

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L'Empire militaire1000-1754

 

Un soldat des Compagnies franches de la Marine habillé pour aller en expédition, milieu du XVIIIe siècle
Les Compagnies franches de la Marine portent de courtes capotes, des jambières, des pagnes et des mocassins lorsqu'ils partent pour de longues expéditions en forêt. Deux indices révèlent qu'il s'agit d'un soldat. Le premier est la giberne estampée des armoiries de France qu'il porte à son ceinturon. Le deuxième est le bonnet de police gris pâle et bleu des Compagnies franches, qui ressemble à un bonnet de nuit.

 

Dès le début du XVIIe siècle, les Français s'aventurent de plus en plus profondément vers le centre du continent.  De 1658 à 1662, Pierre Radisson explore le lac Supérieur, se rend jusqu'à la baie d'Hudson par la rivière Albany et découvre le haut Mississippi.  D'autres explorateurs emboîtent le pas.  Ainsi, en 1673, Louis Jolliet et le père Marquette descendent le fleuve que les Amérindiens nomment Mississippi jusqu'à l'Arkansas.  Poussant plus loin encore ces explorations, Robert Cavelier de La Salle, parti de Montréal, parvient au golfe du Mexique en 1682.  Il donne le nom de Louisiane aux territoires dont il prend possession pour le roi Louis XIV.  La signification stratégique et géopolitique de ces explorations n'échappe pas aux Français qui voient la possibilité d'un immense empire s'ouvrir à eux en contrôlant les fleuves Saint-Laurent et Mississippi.  Deux ans plus tard, La Salle, à la tête d'une flotte de plusieurs navires transportant des colons et une centaine de soldats, quitte la France afin de fonder une nouvelle colonie sur le territoire qu'il vient de découvrir.  Mais il ne retrouve pas l'embouchure du Mississippi et la tentative tourne au désastre sur les côtes du Texas où il est finalement assassiné.  La colonisation se fera donc par le nord, à la même époque, alors que les missionnaires et les commerçants, suivis de quelques colons du Canada qu'attire cette terre plus tempérée, installent de petits postes dans le haut Mississippi, appelé « les Illinois ».

 

La Salle revendique la Louisiane au nom de la France
Le 6 avril 1682, Robert Cavelier de La Salle participe à une cérémonie par laquelle il revendique la Louisiane au nom de la France, après avoir descendu le fleuve Mississippi jusqu'au golfe du Mexique. Malgré le cadre sauvage, la cérémonie s'est déroulée en grand apparat.

 

À la suite de la fondation de Biloxi par d'Iberville en 1699, la France, grâce aux Canadiens, prend solidement pied dans le golfe du Mexique.  Dès les années 1720, une chaîne de forts, établis le long du Mississippi, assure les communications entre la Nouvelle-Orléans et les Illinois.  Par après, des fortins sont aussi érigés sur les bords des fleuves Arkansas et Missouri, portant l'influence française jusqu'aux nations amérindiennes des plaines centrales.  Enfin, de 1730 à 1743, les La Vérendrye, père et fils, lancés à la découverte de la « mer de l'Ouest », parsèment leur chemin de forts jusqu'aux Rocheuses, étendant ainsi l'emprise française sur une autre portion importante du continent nord-américain.

 

 

Le château Saint-Louis, 1698
Le château Saint-Louis, à Québec, sert de résidence du gouverneur général et de quartier général militaire pour le Canada durant le régime français. Gravure d'après un plan de 1698.

 

Comme pour tout empire, les militaires auront un rôle prépondérant à jouer dans la création de celui que la France projette d'établir en Amérique du Nord.  Il s'agit pour elle de contrôler tout accès à l'intérieur du continent.  Et si elle crée de solides alliances avec de nombreuses nations amérindiennes, la guerre avec les Renards, alliés des Iroquois, la nécessité de limiter l'expansion des colonies anglaises et espagnoles à l'est et au sud, exigeront d'elle des ressources humaines et militaires considérables.  Qu'ils encadrent les expéditions d'exploration, soumettent les ennemis de la France ou assurent la défense et la gestion des territoires conquis, les soldats et officiers des compagnies franches seront les grands artisans de ce volet de l'empire français en Amérique du Nord.

 

Vers les Grands Lacs Le centre militaire se déplace vers l’ouest

Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville (1680-1767)
Surnommé le « père de la Louisiane », cet officier natif de Montréal réussit à transformer un petit fort français en une vaste colonie. Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville est le frère du grand militaire canadien Pierre Le Moyne d'Iberville.

 

La ville de Québec « ne pourrait pas être mieux postée quand elle devrait devenir un jour la capitale d'un grand empire », écrit Frontenac à Colbert, en 1672.  À compter de la seconde moitié du XVIIe siècle, toutefois, si Québec conserve son rôle de capitale administrative, Montréal devient le pivot stratégique du Canada par sa position au cœur d'un réseau de voies d'eau irradiant dans toutes les directions.  Elle est le centre nerveux du déploiement des troupes françaises jusqu'au cœur du continent, et, par voie de conséquence, le quartier général de la plupart des Compagnies franches de la Marine.  Sur les 28 unités, 19 y sont postées, contre sept pour la garnison de Québec et deux pour celle de Trois-Rivières.  Montréal déclasse ainsi Québec au rang de premier poste défensif de la colonie, bien qu'elle ne bénéficie pas des mêmes avantages naturels ou artificiels, puisque ses modestes fortifications en bois, puis en pierre à partir des années 1720, qui peuvent assurer une protection contre des rôdeurs ennemis, ne pourraient soutenir un siège régulier.  Montréal est donc la grande base d'où partent les attaques contre tous ceux qui veulent s'opposer aux visées expansionnistes de la France au sud et à l'ouest.

En 1673, en même temps qu'il encourage les grandes expéditions d'exploration vers le sud, un Frontenac visionnaire pose le premier geste concret en vue de créer cet empire français d'Amérique du Nord en faisant ériger un fort - le fort Frontenac, aujourd'hui Kingston, Ontario - à l'entrée des Grands Lacs.  On y poste d'abord quelques soldats détachés des petites garnisons de Montréal et de Québec.  À partir de 1675, les compagnies commerciales qui effectuent la traite des fourrures sur ce territoire y entretiennent leurs propres soldats.  Ceux des Compagnies franches de la Marine les relèvent, en 1684, et deviennent ainsi la première garnison royale sur les Grands Lacs.  La deuxième s'installe, trois ans plus tard, à Niagara.  Quelques soldats se rendront en outre à Michillimakinac et même jusque chez les Illinois, mais ces petits détachements seront retirés en 1698, étant trop faibles pour résister aux Iroquois ou à d'autres tribus hostiles qui pourraient se présenter en force.  Ainsi commence le déploiement d'un vaste réseau défensif autour des Grands Lacs.

 

Sergent, tambour et soldat des Compagnies franches de la Marine de Nouvelle-France, 1685-1700. À gauche, un sergent porte l'uniforme gris-blanc à doublure rouge et des bas rouges (tenue des sergents des Compagnies franches de la Marine à cette époque). Il porte une hallebarde, l'arme distinctive des sergents dans les armées européennes. Le tambour au centre porte un uniforme aux couleurs de la livrée royale. À droite, un simple soldat porte un uniforme gris-blanc doublé et parementé de bleu, couleur qui distingue les troupes de la Marine. Son chapeau est bordé d'un faux galon d'or (mélange de fil de laiton et de ficelle jaune). Il est armé d'un mousquet, d'une baïonnette et d'une épée.

 

La « grande paix », conclue cérémonieusement à Montréal, après de longues et tortueuses négociations, entre la France, la Confédération iroquoise et les autres nations amérindiennes des Grands Lacs, lève les principales entraves qui empêchaient l'expansion française vers l'Ouest.  Sans même attendre la fin des négociations, un contingent de 90 soldats, sous la direction d'Antoine de La Mothe-Cadillac, monte à bord de 25 grands canots, aborde la rive du lac Érié le 24 juillet 1701 et fonde Détroit.  Il s'agit d'une colonisation militaire, car la plupart des soldats viennent pour s'y établir.  Ce poste prospère rapidement, étant admirablement situé tant pour le commerce des fourrures que pour assurer les communications entre le Canada, l'Illinois et les établissements français sur le Mississippi.

 

Premier conflit avec les Renards

Louis XV, roi de France de 1715 à 1774
Le roi de France, Louis XV (1710-1774), est représenté ici revêtu de sa robe royale. Il porte au cou les colliers et les insignes de deux ordres de chevalerie – l'ordre espagnol de la Toison d'or et l'ordre français de Saint-Louis. La croix blanche à huit branches de ce dernier est décernée à de nombreux militaires canadiens durant le régime français.

 

À mesure que les Français progressent vers l'ouest, ils créent des alliances avec la plupart des tribus amérindiennes qu'ils rencontrent.  Cependant, les Renards ou Outagamis, alliés des Iroquois, poussés par les Anglais, se révèlent des ennemis irréductibles.  Ce sont de féroces guerriers, hardis et vaillants.  Après divers incidents et provocations de leur part, les Français les invitent à vivre en paix auprès d'eux.  Ils sont nombreux à répondre à l'invitation et à se présenter devant Détroit, en 1711.  Mais ils se brouillent avec d'autres tribus et, en 1712, assiègent les villages amérindiens édifiés autour du fort.  N'ayant qu'une vingtaine de soldats dans sa garnison, le commandant Dubuisson fait appel aux miliciens et reçoit en outre le renfort de centaines d'Outaouais et d'Illinois alliés.  Repoussés, les Renards subissent à leur tour un siège de 19 jours dans leur village palissadé.  Alors qu'ils tentent une sortie nocturne, ils sont rattrapés près du lac Sainte-Claire et des centaines de leurs guerriers sont anéantis.  Cette défaite, qui ne marque cependant pas la fin des hostilités, les force à se tenir à l'écart pendant un certain temps.

 

Nouvelle garnison dans l’ouest

La trêve avec les Renards permettra la poursuite des établissements français dans la région des Grands Lacs.  Bien que laissés sans garnison durant la guerre de Succession d'Espagne, ceux-ci continuent néanmoins de prospérer.  Michillimakinac demeure la capitale des fourrures du Nord-Ouest.  On y rencontre quelques missionnaires, des « voyageurs », des coureurs des bois et aussi des colons qui ont quitté les rives du Saint-Laurent pour s'établir dans la contrée.  Avant même la fin des hostilités avec les Renards, on trouve des Français établis aussi loin que La Baie (Green Bay, Wisconsin).  En outre, plusieurs établissements s'élèvent déjà dans les Illinois (essentiellement le sud de l'État actuel de l'Illinois et l'est du Missouri) et ont pour chef-lieu le village de Kaskaskia.

 

Période de luttes

Un incident sanglant rappelle alors aux Français que les Renards sont toujours en travers de leur chemin : la mort, au cours d'une embuscade tendue par les Cherokees, amis des Renards, de deux jeunes officiers appartenant à la nouvelle bourgeoisie militaire canadienne.  L'un est le fils du gouverneur Ramezay et l'autre celui du baron de Longueuil.  Toute la colonie crie vengeance !  En mai 1716, une expédition militaire contre les Renards est donc organisée.  Ayant à sa tête le sieur de Louvigny, un contingent formé de 225 soldats et miliciens accompagnés de nombreux Amérindiens alliés se dirige vers l'État actuel du Wisconsin, traînant deux petits canons et un mortier à grenade.  Réfugiés dans un grand village fortifié de trois palissades (près de Sill Creek, Wisconsin), les Renards proposent, après quelques jours de siège, une capitulation que Louvigny accepte.

La colonie est désormais prévenue qu'il vaut mieux continuer de tenir à l’œil les Renards.  L'année suivante, en 1717, afin de suivre de plus près les activités de cette tribu, on érige le fort La Baie et une petite garnison arrive à Chagouamigon (près d'Ashland, Wisconsin), tandis qu'un sergent et une dizaine de soldats s'installent au fort Saint-Louis de Pimitcouy (près d'Utica, Illinois).  Étant donné la proximité des forts qui longent le Mississippi, on décide alors d'annexer à la Louisiane « le pays des Illinois », bien que sa population soit originaire des rives du Saint-Laurent.  Décision géographiquement logique et qui améliorera la défense de cette région.  Les quelques soldats canadiens qui y sont postés seront relevés par un détachement de troupes louisianaises comprenant une cinquantaine de soldats sous la direction d'un officier lui-même d'origine canadienne, Pierre Dugué de Boisbriant.  Partis de la Nouvelle-Orléans, ces hommes arrivent à Kaskaskia à la fin de 1718 et construisent en 1720, sur les bords du Mississippi, le fort de Chartres qui devient le centre administratif de la haute Louisiane - que l'on continue d'appeler « les Illinois ».  Par la suite, les garnisons louisianaises agiront toujours de concert avec les détachements canadiens dans ces fortins du nord-ouest.

Cette même année, lors de la guerre de la Quadruple Alliance contre l'Espagne, le jeu des alliances amérindiennes jouera de façon inattendue en faveur des Français.  Des membres des tribus Otos et Panis anéantiront, en effet, dès qu'elle s'approchera des Illinois, une expédition militaire espagnole en route depuis Sante Fe, au Nouveau-Mexique, sous la direction du commandant Villasur qui s'est donné pour mission de chasser les commerçants français des Prairies.  Ce désastre facilitera par la suite l'érection de quelques fortins dotés de petites garnisons à l'ouest du Mississippi, dont le plus avancé est le fort Cavagnal (près de Leavenworth, Kansas).  Grâce à ce réseau défensif, les Français jouissent maintenant d'une certaine hégémonie sur les plaines centrales.

 

La fin des Renards. Encore une fois la guerre avec les Renards

Désireux de laver l'humiliation que leur ont infligée les Français en 1716, les Renards se manifestent de nouveau au début des années 1720 et multiplient les incidents en s'attaquant à la nation des Illinois, alliée des Français.  Le commandant Lignery leur impose une paix précaire en 1726, ce qui n'empêchera pas les Renards de conclure, dès l'année suivante, des alliances avec les nations Winnebagos, Sioux, Mascoutins et Kickapous pour combattre les Français.  Entre temps, la petite garnison du nouveau fort Beauharnois (près de Frontenac, Minnesota), coincée entre les Renards et les Sioux, évacue la place, en octobre 1727, mais est capturée par les Mascoutins et les Kickapous.  Par crainte de la vengeance française, ceux-ci la relâchent au printemps suivant et annulent leur alliance avec les Renards.  Les Winnebagos se retirent aussi tandis que les Sioux optent pour la neutralité.  En 1728, quelque 400 militaires et miliciens, accompagnés d'environ 800 Amérindiens alliés arrivent à La Baie.  Ils brûlent les villages et les cultures des Renards, mais, incapables de les cerner, rebroussent chemin près de la ville actuelle d'Oshkosh, au Wisconsin.

 

Les Français tentent de détruire les Renards

Le commandant Lignery sera sévèrement critiqué par le gouverneur général Beauharnois pour ce demi-échec.  Reprenant l'initiative en 1729, celui-ci demande à ses alliés amérindiens la destruction pure et simple des Renards.  En octobre, un parti de guerre formé de Chippewas et d'Outaouais inflige une importante défaite aux Renards.  Mais ce n'est pas encore assez pour les soumettre.  Beauharnois envoie une force de 600 soldats et guerriers alliés, commandée par le capitaine Paul Marin prêter main-forte aux alliés.  Au printemps de 1730, après cinq jours de combat à Little Lake Butte des Morts, au Wisconsin, les Renards, très affaiblis, adoptent une solution désespérée : se réfugier chez les Iroquois, au sud du lac Ontario.

Au début d'août, toutefois, leurs anciens alliés, les Mascoutins, avertissent le commandant du fort Saint-Joseph, Coulon de Villiers, du déplacement des Renards vers l'est.  L'alarme est donnée aux commandants de Détroit, du fort Miami et du fort Vincennes en haute Louisiane.  Un autre corps franco-amérindien, que dirige le commandant Saint-Ange, est déjà, d'ailleurs, à leur poursuite.  Comprenant qu'ils sont pris, les fugitifs construisent rapidement un fort.  Le corps de Saint-Ange y arrive le 10 août, suivi de celui de Villiers sept jours plus tard, et d'autres encore.  En quelques jours, c'est plus de 200 Français et 1200 alliés amérindiens de l'Illinois et de la Louisiane qui encerclent les quelque 900 Renards.  Irrité de ce qu'il considère comme leur mauvaise foi, Beauharnois interdit toute négociation et n'accepte que la soumission sans condition.  Le 9 septembre, alors qu'ils tentent à la faveur de la nuit de s'échapper, les Renards sont rapidement pris par leurs ennemis amérindiens.  Leur fin sera horrible: 500 d'entre eux, guerriers, femmes et enfants, seront tués et les 400 autres amenés en esclavage.  Les Français se tiennent à l'écart, pas mécontents de ce règlement de compte entre Amérindiens.

 

La dernière lutte des renards

Une cinquantaine de guerriers renards seulement échapperont au massacre.  La puissance de leur nation est réduite à néant, mais ils n'ont pas dit encore leur dernier mot.  Trois ans plus tard, renforcés par une nouvelle alliance, cette fois avec les Saukis (ou Sauks ), ils infligeront de lourdes pertes aux Français près de La Baie :12 morts, dont quatre officiers, 16 blessés, incluant cinq officiers.  Critiqué par le ministre de la Marine, Beauharnois est désormais résolu à éliminer cette nation apparemment indestructible, ainsi que ses nouveaux alliés.  En août 1734, le commandant Noyelles, qui a reçu ce mandat, quitte Montréal pour l'Iowa, où se sont établis les Renards, accompagné d'une troupe de 210 hommes, dont 130 Amérindiens alliés, auxquels d'autres se joindront en cours de route.  Ils n'arriveront qu'en avril 1735, épuisés par la longue marche et le moral affecté par de nombreuses désertions amérindiennes.  Cette fois, les Renards et les Saukis ont l'avantage du nombre.  Après quelques escarmouches, au cours desquelles deux officiers sont tués, un traité de paix est conclu.  Les Renards, si puissants dix ans auparavant, ont perdu de leurs territoires et sont réduits à peu de gens.  Il semble inutile de poursuivre les opérations.  Deux ans plus tard, Beauharnois leur accordera finalement le pardon.  Ce qui aura pour effet d'améliorer l'influence française en haute Louisiane (les Illinois).

 

La tactique canadienne en Louisiane. La garnison de la Louisiane

Un chef de la nation Crow en tenue de cérémonie
La nation Crow parcourait le Montana et le nord du Wyoming en débordant sur la Saskatchewan. Le cheval, introduit pour la première fois par les Espagnols au Mexique au début du XVIe siècle, fait subir jusqu'au XVIIIe siècle des transformations profondes au mode de vie et aux tactiques guerrières des Indiens des plaines.

 

Faisant partie de la Nouvelle-France au même titre que l'Acadie et le Canada, la Louisiane possède ses propres troupes depuis 1704, alors qu'une garnison permanente y est établie avec l'arrivée de deux Compagnies franches de la Marine, fortes de 50 hommes chacune.  Cette garnison sera augmentée à quatre compagnies en 1715, puis à huit l'année suivante.  En 1717, sous le monopole de la Compagnie d'Occident puis de la Compagnie des Indes qui lui succédera en 1721, au moment où la Louisiane annexe « les Illinois », on passe de huit à 16 compagnies pour revenir graduellement par la suite au nombre initial.  De 1721 à 1725, une compagnie de soldats-ouvriers suisses y sert également.  Mais la prise du fort Rosalie (aujourd'hui Natchez, État du Mississippi) par la nation natchez démontre la faiblesse militaire de la Louisiane, qui redeviendra colonie royale en 1731 et sera administrée par le ministère de la Marine.  Celui-ci y dépêchera cinq nouvelles compagnies qui s'ajouteront aux huit alors en place.  La quatrième compagnie du régiment suisse de Karrer, qui compte à elle seule 200 officiers et soldats, s'y joint également.

Les troupes de la Louisiane sont surtout postées dans les nombreux forts qui jalonnent le Mississippi, du golfe du Mexique jusqu'aux Illinois.  Une partie des officiers qui les commandent sont originaires du Canada et on y trouve des cadets à l'aiguillette à compter de 1738.  Leur organisation est semblable à celle des troupes canadiennes.  L'armement, l'uniforme et le mode de recrutement sont identiques.  La Louisiane possède aussi une milice, dont l'organisation est calquée sur celle du Canada dans les Illinois, et sur celle des Antilles françaises, au sud.

 

Succès avec la façon canadienne de faire la guerre

Charles Le Moyne de Longueuil, second baron de Longueuil, vers 1750
Le Moyne de Longueuil (1687-1755) sert dans la garnison de Nouvelle-France pendant de nombreuses années en tant que membre de l'état-major général de Montréal. En 1739 et 1740, il commande l'expédition canadienne contre les Chickasaws en Louisiane.

 

En 1739 et 1740, la supériorité des tactiques utilisées par les troupes de la Marine issues du Canada sur celles pratiquées en Europe fut démontrée avec un certain éclat en Louisiane.  Sous l'influence des Anglais, la nation des Chicachas (ou Chickasaws) était alors en guerre avec les Français.  On décida donc d'envoyer de la métropole un corps expéditionnaire de 600 hommes.  Malheureusement, ces troupes furent menées comme si elles faisaient une campagne européenne.  Elles se déplaçaient avec lenteur alors que les Chicachas étaient insaisissables ou attendaient, bien embusqués dans leurs lointains villages fortifiés.  Au début de 1740, de nombreux soldats furent en outre emportés par la maladie et le sieur de Noailles, qui commandait l'expédition, dut finalement rebrousser chemin.

Fort heureusement pour l'honneur de la France, le ministre de la Marine avait demandé au gouverneur général de la Nouvelle-France de veiller à ce qu'un corps militaire provenant du Canada fasse la jonction avec l'expédition du sieur de Noailles.  Une force de 442 hommes, dont 319 Amérindiens alliés, sous les ordres du baron de Longueuil, quitte Montréal, en juillet 1739, en direction de la Louisiane. Une autre troupe, partie de Michillimakinac et ayant à sa tête le capitaine Pierre Joseph Céloron de Blainville, la rejoint et le contingent descend ensemble le Mississippi.  La jonction avec les troupes françaises se fait au début de janvier 1740, au nord de la ville actuelle de Memphis, dans le Tennessee.  Les troupes expéditionnaires françaises parlent de se retirer, mais le capitaine Blainville, avec une centaine de militaires et de miliciens canadiens, 200 Iroquois et Chactas alliés, marche résolument vers les villages ennemis, y mène une vigoureuse attaque, et les Chicachas n'ont d'autre choix que de demander la paix.  Que Céloron leur accorde.  L'honneur militaire français est sauf.  Les corps expéditionnaires retournent à leurs bases respectives, qui en France et qui au Canada.

 

La Nouvelle-Angleterre. Les colonies américaines subissent des raids

Quelques années plus tard, la déclaration de la guerre entre la France et la Grande-Bretagne, en 1744, aura pour conséquence de déplacer l'action militaire du centre vers l'est.  Les colonies britanniques à l'ouest du Massachusetts et du Connecticut, et au nord d'Albany, dans la province de New York, sont alors la cible de multiples raids menés à partir du Canada dans le but de faire échec à leur progression.  La plupart de ces attaques sont perpétrées par de petits groupes d'Abénaquis ou d'Agniers alliés aux Français, mais aussi à l'occasion par des miliciens et des militaires canadiens.  Ainsi, en novembre 1745, et de nouveau durant l'été de 1746, Saratoga, dans l'État actuel de New York, est frappé par de puissantes expéditions venues du Canada sous la conduite du commandant Paul Marin de La Malgue.

 

Une réplique abominable

Le gouverneur du Massachusetts renforcera la défense de ses frontières en y établissant des forts.  Aux 445 hommes qu'il mobilise pour servir de garnisons, s'ajoute en 1746 un renfort de 200 autres.  Pour exacerber quelque peu la haine des Amérindiens, il instaure un système de récompenses basé sur l'obtention de scalps de Français ou de leurs alliés, dont ceux de « femelles ou mâles ayant moins de douze ans ». Cette piètre politique ne donnera pas les résultats escomptés.  En août, une importante expédition, sous le commandement de Rigaud de Vaudreuil, rase le fort Massachusetts (aujourd'hui Adams, Massachusetts).

Entre temps, le gouverneur de New York ne reste pas inactif.  Il invite les miliciens du New Jersey, du Connecticut et du Maryland à joindre les siens pour prendre le fort Saint-Frédéric.  Les troupes sont finalement rassemblées à la fin de 1746 à quelques kilomètres au nord d'Albany, mais de multiples malentendus, qui ont leurs échos dans le New York Gazette, au sujet du paiement des frais de l'expédition et d'une certaine « peculation » qui entoure l'achat des habits bleus et des culottes rouges des 500 volontaires du New Jersey, provoquent l'effondrement du projet.

Pendant que les miliciens des colonies britanniques font marche arrière, les raids des Canadiens et de leurs alliés continuent de plus belle.  Le fort No 4 (aujourd'hui Charlestown, New Hampshire) et le nouveau fort Massachusetts, reconstruit en mai, résistent tant bien que mal, mais la garnison du fort Clinton (près d'Easton, New York) est quasiment décimée par Luc de La Corne de Saint-Luc à la tête d'une vingtaine de militaires et de miliciens et de quelque 200 Amérindiens.  Plusieurs villages entre Deerfield, Massachusetts, et White River (dans la région de Hartfort, Vermont) doivent être abandonnés.  Ce sera en définitive la paix, signée en Europe le 7 octobre 1748, qui ramènera un peu de calme dans les colonies.  Lorsque la nouvelle en parviendra à Boston, le 10 mai 1749, elle apportera un certain soulagement aux Américains dont le problème demeure cependant entier, puisqu'ils ne peuvent défendre leurs frontières contre les raids provenant du Canada.

 

Objectif : Ohio. Un point sensible

La possession de la vallée de l'Ohio est un autre point litigieux entre la France et la Grande-Bretagne qui, toutes les deux, la revendiquent, la première en raison des explorations de La Salle au siècle précédent, et la seconde parce qu'elle fait partie du territoire occupé par les Iroquois, sujets britanniques, et qu'elle désire y exercer librement son droit de propriété.  Bien que la France n'entretienne aucun doute quant à la justesse de ses propres prétentions, un seul poste, le fort Vincennes au confluent de l'Ohio et de la rivière Wabash, assure la sécurité de cette route fluviale.  Déjà, au cours des années 1740, on y note la présence d'un nombre croissant de marchands américains.

En juin 1749, une trentaine de militaires et 180 miliciens, accompagnés de quelques Amérindiens, partent de Montréal en expédition de reconnaissance.  Sous la conduite du capitaine Céloron de Blainville, ils remontent la rivière Allegheny pour atteindre l'Ohio.  En cours de route, ils enfouissent des plaques de plomb indiquant que ce territoire appartient au roi de France.  Après un périple de six mois, Céloron rapporte des nouvelles alarmantes : il n'a pu aboutir à aucune entente avec les marchands américains.  Leur intransigeance n'a même fait que grandir au cours des négociations qu'il a entreprises avec eux.  Quant aux Amérindiens de la région, ils semblent ralliés aux Anglais.  L'occupation militaire du territoire s'impose.

 

Suprématie française établie

Homme indécis, le gouverneur La Jonquière hésite.  Pendant qu'il tergiverse, l'hostilité antifrançaise des Amérindiens se conjugue à celle des Américains qui veulent coloniser la vallée.  Durant l'été, en effet, les Onontagués donnent leur accord à des colons de Virginie désireux de s'établir et de construire un fort dans la vallée.  Par ailleurs, les Miamis, autrefois amis des Français, se montrent, sous le chef Memeskia, hostiles.  Ils ont même accueilli des commerçants américains dans leur village de Pickawillany (aujourd'hui Piqua, Ohio), sur lequel flotte le drapeau britannique.  Sans attendre les instructions de Versailles, ni celles du gouverneur, les militaires des forts de l'Ouest réagissent.  Le cadet Charles-Michel Mouet de Langlade, fils d'un important marchand de fourrures et d'une princesse, fille d'un chef de la nation des Outaouais, prend la tête d'une expédition punitive d'environ 250 Amérindiens et de quelques miliciens canadiens, et mène une attaque-surprise contre Pickawillany pendant que les guerriers sont partis à la chasse.  Memeskia est tué et mangé par ses ennemis amérindiens, tandis que les commerçants sont faits prisonniers et emmenés au Canada.  Avant de partir, la troupe hisse non pas un, mais deux drapeaux français sur les ruines de Pickawillany.  Cet incident eut des répercussions considérables sur la suite des événements.  L'influence des Britanniques décrut chez les Amérindiens de la région, avertis du sort qui les attendait à courtiser les marchands américains.  Les Miamis eux-mêmes furent divisés, la plupart choisissant de renouer des liens d'amitié avec les Français.

Quand le gouverneur La Jonquière meurt, finalement, en mars 1752, sans avoir pris aucune décision, le marquis de Duquesne, qui lui succède, arrive de France avec des instructions spécifiques : assurer l'Ohio à la France.  Il mobilise d'importantes ressources en vue d'ériger de nombreux forts dans la vallée et confie cette tâche au capitaine Paul Marin de La Malgue, officier d'expérience dans les campagnes de l'Ouest, qui s'est signalé notamment durant la guerre contre les Renards.  Celui-ci quitte Montréal en direction de l'Ohio accompagné de 300 soldats des Compagnies franches de la Marine, de 18 de la Compagnie des canonniers-bombardiers, et d'environ 1200 miliciens et 200 Amérindiens.  Le fort Presqu'île (aujourd'hui la ville d'Érié, sur la rive sud du lac du même nom, en Pennsylvanie) sera complété en mai 1753, et le fort Le Bœuf en juillet.  Puis, un détachement se rendra au confluent de la rivière au Bœuf et de l'Allegheny et commencera la construction du fort Machault au village amérindien de Venango (aujourd'hui Franklin, Pennsylvanie).  Mais tous ces travaux sont réalisés dans des conditions climatiques difficiles, les pluies froides de septembre succédant aux chaleurs accablantes de l'été.  De plus, les vivres, trop souvent gâtés, provoquent de nombreuses maladies.  Marin lui-même décède et est remplacé par un autre vétéran des campagnes de l'Ouest, Jacques Le Gardeur de Saint-Pierre.

 

La Virginie prend les choses en main

 

Plan du fort Duquesne en 1754
Le fort Duquesne est construit en 1754 par les Français sur le site de l'actuelle Pittsburgh. Il est une réponse aux menaces que les britanniques font peser sur le contrôle français du pays de l'Ohio.

 

Le gouverneur de la Virginie, Robert Dinwiddie, alors persuadé que la vallée de l'Ohio appartient au roi d'Angletrerre, regarde d'un mauvais oeil la construction de tous ces forts.  Il envoie porter au fort Le Bœuf un ultimatum enjoignant la garnison de quitter les lieux.  L'émissaire du message fera parler de lui un jour.  C'est George Washington.  Quant au contenu, il n'impressionnera ni le capitaine Saint-Pierre, qui le recevra le 11 décembre 1753, ni le gouverneur Duquesne qui, le 3 février 1754, enverra une importante expédition, sous le commandement de Claude Pécaudy de Contrecoeur, assurer du renfort en Ohio.  Arrivant le 16 avril à la croisée des rivières Monongahela et Ohio, Contrecoeur y trouve une compagnie de soldats de la Virginie occupée à construire un fort.  Il les invite à quitter les lieux immédiatement, ce qu'ils feront le lendemain.  Les soldats français continuent ensuite tout bonnement la construction du fort qu'ils nommeront Duquesne (aujourd'hui Pittsburgh, Pennsylvanie) en l'honneur du gouverneur général de la Nouvelle-France.

Alarmé par la tournure des événements en Ohio, le gouverneur Dinwiddie propose alors des mesures énergiques : l'érection d'un fort sur la rivière Monongahela, la mobilisation de 800 miliciens pour une durée de quelques semaines et la levée immédiate d'un corps provincial de 300 volontaires.  Il ne s'agit de rien de moins que de démanteler les possessions françaises en Ohio !  Mais la Pennsylvanie, colonie voisine, est alors gouvernée par une secte religieuse pacifiste, les Quakers, et est la seule, parmi les 13 colonies américaines, à n'avoir aucune loi obligeant les hommes à faire partie d'une milice.  Son gouverneur est tout au plus autorisé à convier des volontaires non Quakers, qui sont cependant soldés par la colonie.  Donc, peu d'espoir de lever là une force armée imposante.  Même à Philadelphie il n'y a pas de garnison régulière !  Tel n'est pas le cas, cependant, en Virginie, colonie prospère et populeuse qui peut compter sur 27 000 miliciens.  En février 1754, l'Assemblée législative approuve les mesures proposées par Dinwiddie.  Le régiment de la Virginie est rapidement formé, armé, on le dote d'un uniforme rouge, et un détachement est aussitôt en route pour l'Ohio.  Le jeune colonel est nul autre que George Washington.

 

L'incident de Jumonville

Informé par ses éclaireurs de l'approche de cette troupe, le commandant du fort Duquesne, Claude Pécaudy de Contrecoeur, envoie au-devant d'elle une mission parlementaire sous le commandement de l'enseigne Joseph Coulon de Villiers, sieur de Jumonville.  Mais le matin du 28 mai 1754, le détachement de Washington, fort de 400 Américains et de leurs alliés amérindiens, attaque la petite escorte.  En 15 minutes, 10 hommes sont tués, dont Jumonville, un autre est blessé et 21 sont faits prisonniers.  Un seul membre de la mission parvient à s'échapper et à retourner au fort Duquesne, un milicien canadien nommé Monceau.

On ne saura sans doute jamais ce qui s'est passé au juste sur le site de la ville actuelle de Jumonville, en Pennsylvanie, ce 28 mai 1754, et la controverse demeure entière à ce sujet.  Selon plusieurs témoignages, Jumonville fut tué alors qu'il tentait de parlementer, ce que nia Washington.  Pour les historiens canadiens, il s'agit donc d'un assassinat pur et simple.  Mais pour bien des historiens américains, soucieux de défendre la réputation du futur père de la nation américaine, Jumonville serait tombé dans un piège, une fusillade aurait éclaté et il aurait été, malheureusement, un de ceux qui y perdirent la vie.  Quoi qu'il en soit, cette grave erreur diplomatique ébranla sérieusement la paix entre la France et l'Angleterre.

 

"Fort Necessity"

 

Jean-Baptiste-Philippe Testard de Montigny (1724-1786)
Testard est officier dans les Compagnies franches de la marine. Il se distingue lors de raids menés contre la Nouvelle-Angleterre en 1746 et 1747, puis durant la guerre de Sept Ans en Ohio et dans les Grands Lacs. Il est fait chevalier de Saint-Louis en 1757.

 

L'événement connaît un second rebondissement, le 26 juin suivant, quand le capitaine Louis Coulon de Villiers, des troupes de la Marine, arrive au fort Duquesne avec des renforts et apprend la mort de son frère.  Il obtient qu'on lui confie le commandement d'une troupe de quelque 600 militaires et miliciens canadiens ainsi que d'une centaine d'Amérindiens, et se lance à la poursuite des volontaires américains.  Il arrive au site de l'embuscade, fait enterrer les cadavres français scalpés et laissés sans sépulture, et continue sa course.  Les Américains ne sont pas aussi habiles que les Canadiens pour disparaître dans les bois.  Ils se réfugient dans un petit fort, baptisé à bon escient Fort Necessity (près de Farmington, Pennsylvanie) où Coulon de Villiers les rejoint, le 3 juillet.  Après une fusillade nourrie qui fait une centaine de morts du côté américain, Washington capitule.  Coulon de Villiers donne alors la preuve d'une grande modération : il laisse repartir au-delà du plateau des Alleghenys celui qu'il considère comme l'assassin de son frère.

Bien que l'acte de capitulation signé par Washington reconnaisse l'agression dont a été victime Jumonville et l'usurpation d'un territoire appartenant à la France, les Américains ne manifestent aucune intention de respecter ni leur signature ni les clauses se rapportant à l'occupation du territoire.  Bien au contraire, par la suite, les effectifs du régiment de Virginie sont portés à 700 hommes, tandis que les renforts de trois compagnies franches arrivent de New York et de la Caroline du Sud.  À la fin de 1754, ces troupes sont postées à l'est des Alleghenys afin d'empêcher toute incursion française.  Ces suites de « l'incident Jumonville » soulèveront une nouvelle tempête diplomatique en Europe, mais en se retranchant ainsi au lieu d'attaquer, les Américains donnaient la preuve une fois de plus que, du strict point de vue militaire, ils étaient incapables d'affronter les troupes du Canada.

 

La découverte de la « mer de l'Ouest ». Expédition de La Vérendrye

 

Carte des explorations de La Vérendrye dans l'Ouest, années 1730 et 1740
Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye (1685-1749) cartographie de vastes régions des Prairies durant les années 1730 et 1740, alors qu'il tente sans succès de découvrir le légendaire passage du Nord-Ouest, censé relier l'Atlantique et le Pacifique.

 

Alors que les Français viennent enfin à bout des Renards et établissent leur hégémonie sur les plaines centrales, un autre volet de la création de l'empire français en Amérique du Nord se joue au nord-ouest.  Elle a pour principal héros un obscur officier canadien sans ressources, malgré ses brillants états de service, et commence vers la fin des années 1720 quand Pierre Gaultier de La Vérendrye, commandant d'un poste situé aux confins du monde connu, Kaministigoyan (aujourd'hui Thunder Bay, Ontario) entend les Amérindiens parler des vastes plaines qui s'étendent plus loin et du soleil qui se couche dans la mer de l'Ouest.  Il se passionne pour ces récits et, en 1730, propose une mission d'exploration qu'approuvent tant au Canada le gouverneur général, Beauharnois, qu'en France, le ministre de la Marine, le comte de Maurepas.  Après deux siècles d'expéditions aussi bien au nord qu'au sud, les explorateurs européens n'ont toujours pas trouvé le fameux passage vers l'Ouest et la cartographie de toute une partie du continent reste encore très fragmentaire.  Du côté français, malgré quelques tentatives que la crainte de l'hostilité amérindienne fit avorter, on ne s'est guère aventuré encore au-delà du lac Supérieur.  Un projet qui peut apporter réponse à une des grandes énigmes des XVIIe et XVIIIe siècles trouve donc écho dans la volonté royale - en l'occurrence celle de Philippe d'Orléans qui assure la régence pendant les jeunes années de Louis XV.  L'année suivante, le lieutenant La Vérendrye prend la tête d'une expédition qui comprendra notamment quelques cadets - dont trois sont ses propres fils - et un missionnaire.  Ce type d'organisation sera retenu pour toutes les explorations vers l'Ouest par la suite.  Quels que soit la participation des missionnaires et des voyageurs, l'encadrement et le commandement seront militaires, aspect de tous ces voyages de découverte qu'on a rarement soulignée.

Alors commence une quinzaine d'années d'explorations remarquables.  L'expédition est organisée de façon systématique car, pour financer le tout, les La Vérendrye doivent commercer avec les Amérindiens.  À mesure qu'ils progressent, ils érigent des fortins : les forts Saint-Pierre (Fort Frances, Ontario) en 1731, Saint-Charles (Magnussen Island, Manitoba), l'année suivante, et Maurepas, au sud du lac Winnipeg, en 1734.  Les quelques coureurs des bois qui sillonnent déjà la région doivent s'accommoder de la venue de l'autorité royale et les nations amérindiennes dont ils traversent les territoires se montrent généralement accueillantes.  Cependant, les Sioux tendent un guet-apens au cours duquel ils tuent 21 Français, dont un des fils de La Vérendrye et le missionnaire de l'expédition.  Au lieu de risquer une confrontation militaire, La Vérendrye joue le jeu des alliances.  Il sera vengé huit ans plus tard quand les Cris et les Assiniboines écraseront les Sioux.

Cependant, on a beau nommer « mer de l'Ouest » les immenses prairies où on érige ces fortins, le ministre de la Marine désire qu'on trouve la véritable mer.  La Vérendrye pousse plus loin encore et érige le fort La Reine (Portage-la-Prairie, Manitoba) puis atteint le pays de la nation des Mandans, près de la ville actuelle de Spanish, dans le Dakota du Nord.  Toujours pas de mer de l'Ouest !  Épuisé, il revient au fort La Reine, laissant ses deux fils poursuivre seuls les explorations.

 

Les fils de La Vérendrye continuent les recherches

Statue de l'explorateur Pierre Gaultier de la Vérendrye (1685-1749)
On ne connaît aucun portrait authentique de Pierre Gaultier de Varennes et de la Vérendrye (1685-1749), cet officier qui est devenu l'un des grands explorateurs de l'Ouest canadien. Cette statue, qui se dresse à l'Assemblée nationale du Québec, est probablement sa représentation la plus connue. Dans cette représentation, il scrute symboliquement l'horizon lointain.

 

Ceux-ci, Louis Joseph et François, après s'être rendus séparément, l'un jusqu'à l'actuel Cedar Lake, au Manitoba, en remontant la rivière Saskatchewan, l'autre, dans la direction opposée, jusqu'à l'actuel Nebraska, non loin probablement des missions espagnoles situées au nord du Nouveau-Mexique, mèneront ensemble la plus importante de toutes ces expéditions.  Partis du fort La Reine le 29 avril 1742 en compagnie de deux autres Français et de guides amérindiens, ils sont, au début d'août, dans l'est du Montana ou au sud-ouest du Dakota du Nord, en décembre, dans le nord-ouest de l'État actuel du Wyoming.  Ces hommes blancs en quête de la mer de l'Ouest sont une véritable curiosité pour les Amérindiens nomades des plaines, qui finissent par se joindre à eux.  Et c'est bientôt un cortège d'environ 2 000 Amérindiens qui s'avance lentement dans les plaines avec les jeunes explorateurs.  Le 8 janvier 1743, enfin, ils aperçoivent au loin de hautes montagnes aux sommets enneigés - les Rocheuses !  S'en étant approchés, ils réalisent que c'est là un obstacle insurmontable et qu'ils ne peuvent aller plus loin.  Ils décident alors de revenir au fort La Reine, où ils arrivent, sains et sauf, le 2 juillet 1743, après 14 mois d'absence.  Ces deux cadets des Compagnies franches de la Marine du Canada viennent d'accomplir l'une des grandes explorations de l'histoire nord-américaine.

Malheureusement, ce qu'on veut en haut lieu, c'est la mer de l'Ouest !  Ces extraordinaires découvertes ne seront donc pas reconnues et les La Vérendrye seront rappelés.  Le père sera quand même promu capitaine et décoré de la croix de Saint-Louis peu avant sa mort, qui survient en 1749, mais ses fils resteront cadets pendant plusieurs années encore avant de devenir officiers et ne seront jamais décorés pour leur exploit.

 

Les frères La Vérendrye, 1743
Les frères Louis-Joseph et François de la Vérendrye, d'anciens cadets des Compagnies franches de la marine du Canada, se mettent en route pour découvrir la « mer de l'Ouest » et atteignent les montagnes Rocheuses en janvier 1743.

 

Après le départ des La Vérendrye, d'autres poursuivent leurs explorations.  Le fort La Jonquière est érigé au bord de la rivière Saskatchewan, au centre de la province actuelle du même nom, probablement dans la région de Nipawin.  C'est sans doute le poste le plus à l'ouest où l'on trouve une petite garnison de militaires français.  Il reste qu'un réseau de fortins parsème les Prairies, à compter des années 1730 et qu'ils sont sous autorité militaire, bien que ce soit des postes de commerce.

 

Le feu aux poudres

La vie des quelques officiers et soldats postés dans les petits forts des Prairies, entourés de nations amérindiennes aux humeurs changeantes, était loin d'être de tout repos.  L'incident suivant, survenu au fort La Reine, illustre bien jusqu'à quel point il fallait à ces hommes des nerfs d'acier pour survivre.

Vers la fin de l'année 1751, le fort n'avait pour toute garnison que cinq soldats français, commandés par le capitaine Jacques Le Gardeur de Repentigny, des Compagnies franches de la Marine.  C'était un homme qui avait acquis une grande expérience dans les relations avec les Amérindiens et qui était décoré de la croix de Saint-Louis.

Un matin, donc, quelque 200 guerriers assiniboines font irruption dans le fort.  Le commandant court vers eux, leur dit « vertement » qu'ils sont bien hardis d'entrer ainsi, met à la porte les plus insolents, demande aux autres de sortir et retourne dans son quartier.  Mais un soldat vient bientôt l'avertir qu'ils ont pris le corps de garde et se sont emparés des armes qui s'y trouvaient.  Repentigny se dirige à la hâte vers eux et les interpelle de nouveau.  Cette fois, il apprend que les Assiniboines ont l'intention de le tuer et de piller le fort.  Sans perdre un instant, Repentigny saisit un tison au feu ardent, se précipite dans la poudrière et ouvre un baril.

Les Assiniboines qui le suivent s'arrêtent net quand ils le voient leur faire face en promenant le tison au-dessus de la poudre !  Repentigny rapporte ensuite avoir fait dire aux Amérindiens par son interprète « d'un ton assuré, que je ne périrais pas par leurs mains, et qu'en mourant, j'aurais la gloire de leur faire tous subir mon même sort.  Ces sauvages virent plutôt mon tison et mon baril de poudre défoncé qu'ils n'entendirent mon interprète.  Ils volèrent tous à la porte du fort, qu'ils ébranlèrent considérablement, tant ils sortirent avec précipitation.  J'abandonnais vite mon tison, et n'eus rien de plus pressé que d'aller fermer la porte de mon fort ».

Les Français passèrent « tranquillement » l'hiver sur place, mais décidèrent finalement d'évacuer le fort au printemps 1752, car, nous dit Repentigny, « il n'aurait pas été prudent d'y laisser des Français ».  En effet, quatre jours après leur départ, les Assiniboines le brûlèrent.

 

L’apogée

Au milieu du XVIIIe siècle, les territoires du roi de France en Amérique du Nord forment donc une espèce de grand « T », traversant le Canada d'est en ouest depuis l'île du Cap-Breton jusqu'au milieu de la Saskatchewan, et du nord au sud à partir des Grands Lacs jusqu'au golfe du Mexique.  Malgré les distances considérables qui séparent les forts et les établissements, on trouve des détachements de troupes de la Marine parsemés sur toute l'étendue des possessions françaises.  Ces soldats montent la garde dans des conditions infiniment variées, selon qu'ils sont à Québec, à La Baie ou au fort La Reine.  Ils parviennent à en imposer aux Amérindiens hostiles, comme les Renards, mais forgent avec de nombreuses autres tribus indigènes des liens et des alliances qui jouent un rôle fondamental dans l'établissement de l'empire français.  C'est par la diplomatie de ses officiers, autant que par les armes, que la France s'assure l'hégémonie sur les relations commerciales et diplomatiques dans ces immenses étendues.  Sans enlever leur mérite aux colonies britanniques qui se développent lentement et parallèlement sur le territoire actuel du Canada, la première moitié du XVIIIe siècle est vraiment l'époque qui voit l'apogée des Français en Amérique du Nord.

Tout ceci fut possible, vers la fin du XVIIe siècle, parce que la Nouvelle-France se dota d'une solide organisation militaire et que les Canadiens, après avoir vivoté durant des décennies à la merci des indigènes, purent en tirer profit.  Une remarquable milice était en place et les officiers des troupes régulières furent recrutés de plus en plus chez les gentilshommes canadiens, de naissance ou d'adoption.  L'administration en Nouvelle-France était structurée et gérée de façon tout à fait militaire et son influence s'étendait aux affaires civiles, à la justice et à l'économie.  La présence militaire se faisait même sentir au sein de l'Église, soit par l'entremise des soldats qui assuraient la protection des missionnaires, soit par celle des ingénieurs militaires à qui on demandait de fournir les plans architecturaux des églises.

La transformation de la façon européenne de faire la guerre en une tactique canadienne originale, durant la seconde moitié du XVIIe siècle, fut aussi d'une importance primordiale dans l'histoire de la Nouvelle-France, car elle permit de tenir en respect les colonies américaines.  Du coup, les militaires et miliciens de la Nouvelle-France, aidés de leurs alliés amérindiens, parvinrent à contrôler presque complètement le centre de l'Amérique du Nord, car ils étaient les seuls à pouvoir mener des expéditions très loin de leurs bases, les seuls aussi à être capables d'aller rencontrer l'ennemi amérindien chez lui et de le battre sur son propre terrain, malgré quelques revers mineurs.

L'évolution militaire exceptionnelle de la Nouvelle-France favorisa le développement du sens de la nation canadienne dès la fin du XVIIe siècle.  Comme les institutions militaires étaient prépondérantes, puisqu'elles fournissaient le cadre de l'organisation sociale et gouvernementale, massivement dominée par les officiers canadiens, en adaptant les structures européennes aux besoins et à la géographie nord-américaine, elles renforcèrent le sens d'une identité distincte.  Les Canadiens étaient aussi Français, mais se définissaient de plus en plus selon leur nouveau pays.  Au début, celui-ci était une entité théorique, irréelle, mais pour les militaires et les miliciens qui traversaient le territoire en tout sens - à pied, en canot, en raquettes l'hiver -, il devenait peu à peu une réalité.  Ils l'exploraient, ils s'y battaient, ils en parlaient entre eux.
C'est à partir de cette vision du pays, que ces hommes voyaient de leurs yeux et défendaient de leurs mains, que naquit le sens de la nation dans leur cœur.
 



31/12/2012
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