Histoires-du-Canada

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Les défis de la nature1000-1754

Les défis de la nature Paysages canadiens

L'espace canadien est immense.  Il s'étend de l'Atlantique au Pacifique, se divise en plusieurs zones horaires de l'est à l'ouest et son climat, tempéré au sud, est arctique au nord.  Au total, ce vaste territoire pourrait facilement englober l'Europe occidentale.  Il a fallu des siècles d'explorations - celles-ci souvent menées par des militaires - pour en établir la géographie précise, depuis les premières cartographies esquissées par les découvreurs du XVIe siècle jusqu'aux grands relevés aériens exécutés par l'Aviation royale canadienne.

L'environnement y est resté pratiquement inchangé depuis quelque 3 500 ans.  De l'Atlantique jusqu'à l'extrémité ouest des Grands Lacs, une vaste forêt couvre le sud du pays.  Viennent ensuite des centaines de kilomètres de prairies, qui ne prennent fin qu'aux montagnes Rocheuses.  Le versant du Pacifique est le plus tempéré avec sa dense forêt bordant la côte jusqu'à l'Alaska.  Au nord du Saint-Laurent, des Grands Lacs et des Prairies, la végétation devient peu à peu boréale, puis se transforme en toundra à mesure que l'on approche de l'océan Arctique.

 

La zone habitable se limite, du moins en ce qui concerne l'agriculture, à la partie la plus méridionale du pays.  Les établissements se feront donc surtout au sud, puisque la taïga et la toundra subarctiques ne permettent pas de faire subsister une population nombreuse.  Au Moyen Âge, le climat du Canada était plus tempéré.  Il l'est resté jusqu'au XIVe siècle, alors que débutait le petit âge glaciaire, dont l'apogée se situe entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XIXe siècle.  Ce phénomène de refroidissement ne s'est d'ailleurs pas produit uniquement au Canada, il a affecté tout l'hémisphère nord de la planète.  Les cultures furent bouleversées et les populations, y compris les militaires, durent transformer leurs façons de se nourrir, de se vêtir et de se déplacer pour tenir compte de nouveaux facteurs, telle la neige, qui constitue, notamment dans le domaine des transports, un obstacle de taille.  Dans la vallée du Saint-Laurent, où les températures annuelles varient énormément, pouvant descendre à - 40° C en hiver pour remonter à 35° C en été, les Européens empruntèrent aux Amérindiens une foule de moyens de survie pour pouvoir affronter un environnement présentant des écarts de température aussi extrêmes.  Ce facteur influença également leurs méthodes de combat.

 

Les voies navigables

Une autre particularité de l'immense territoire canadien est d'être arrosé par de nombreux cours d'eau.  Aussi le contrôle des rivières et des fleuves, qui, jusqu'au milieu du XIXe siècle, étaient les seules véritables grandes voies de communication, revêtira-t-il pour les Européens, dès le début, une importance stratégique de premier ordre.  Tant qu'il n'y eut pas de routes terrestres, naviguer représenta, pour les explorateurs, l'unique façon de pénétrer à l'intérieur des terres.  Afin d'atteindre le cœur du continent, ils adoptèrent, rapidement, le canot d'écorce des Amérindiens, embarcation légère et maniable.  Pendant très longtemps, la navigation estivale resta le seul moyen de transporter des tonnes de matériel et des centaines d'hommes sur de grandes distances.  Lorsque, vers 1730, sera construite la première route reliant Montréal et Québec, le chemin du Roy, elle sera surtout utilisée pour les déplacements légers.  Le transport des marchandises et des troupes continuera de se faire par les cours d'eau jusqu'à ce que le chemin de fer soit suffisamment développé pour prendre la relève, ce qui se produira durant la seconde moitié du XIXe siècle.

 

Un monde déjà habité. Cultures nomades

Perishka-Ruhpa, guerrier Moennitari (ou Hidatsa) costumé pour la danse du Chien
Bodmer et le prince Maximilien de Wied (principauté allemande) rencontrent Perishka-Ruhpa, un chef Moennitari (ou Hidatsa), pendant un séjour à Fort Clark à l'hiver 1834. Bodmer esquisse à l'aquarelle Pehrishka-Rupa dans son costume de la danse du Chien, pour ensuite préparer l'image à la gravure et faire prendre à son sujet une position de danse.

 

En effet, quand les Européens « découvrirent » l'Amérique, ils ne mirent pas le pied dans un monde désert, mais sur un continent où se trouvaient déjà, depuis quelque 12 000 ans, les descendants de nomades venus d'Asie.  Dans la partie septentrionale de l'Amérique du Nord, les vastes plaines de l'ouest, les régions essentiellement boisées du centre et de l'est, la côte rocheuse du Labrador, depuis l'estuaire du Saint-Laurent jusqu'aux zones arctiques, tout cela, qui deviendrait un jour le Canada, était habité par divers peuples qui constituaient presque autant de groupes culturels.  Dans la zone arctique, les Inuit étaient arrivés depuis à peu près l'an 1000 de notre ère.  La partie du Québec située au nord du Saint-Laurent, le centre et le nord de l'Ontario, ainsi que de grandes régions du Manitoba et de la Saskatchewan, étaient occupés par le groupe algonquien (Cris, Ojibwas, Algonquins, Montagnais).  L'île de Terre-Neuve était le territoire des Béothuks.  La péninsule de Gaspé, la Nouvelle-Écosse et l'île du Prince-Édouard formaient le domaine des Micmacs, des Malécites et des Abénaquis.  Celui des Amérindiens des Plaines commençait à l'ouest du lac Winnipeg, au Manitoba, où se trouvaient d'abord les Ojibwas et les Cris des plaines, puis, un peu plus loin, jusqu'aux montagnes Rocheuses, les Assiniboines, les Gros Ventres, les Pieds noirs et les Sarsis.

 

Un village de tentes d'Indiens Assiniboins dans les années 1830
Les Amérindiens des grandes plaines, des nomades, habite ces tentes coniques faciles à transporter. Elles sont faites de longues perches et de peaux d'animaux

 

Premières nations déjà établies

Village typique d'Amérindiens du Nord-Est.
Presque tous ces villages sont constitués de longues maisons à toit d'écorce défendues par une palissade en rondins. Gravure inspirée des rendus réalisés par John White à la fin du XVIe siècle.

 

Tous ces peuples, essentiellement nomades, vivaient de chasse et de pêche, tandis que, dans la vallée du Saint-Laurent, au sud du Québec et de l'Ontario, et à l'ouest de ce qui est maintenant l'État de New York, se trouvaient les Iroquois (Hurons, Iroquois, Neutres, Pétuns ), qui, dépendant déjà largement de l'agriculture, étaient sédentarisés et habitaient dans des villages.

 

Parmi les peuplades du nord-est, celles qui appartenaient au groupe iroquois apparurent comme les plus militarisées.  Elles étaient aussi les seules à avoir formé des associations : la Confédération huronne, fondée vers 1440, et la Ligue des Cinq Nations iroquoises, qui remonte aux alentours de 1560.  Cette dernière joua un rôle prépondérant dans l'histoire de la colonie française.  Elle regroupait les Agniers, que les Anglais appelèrent Mohawks, les Goyogouins (Cayugas), les Onontagués (Onondagas), les Onnéiouts (Oneidas) et les Tsonnontouans (Senecas).

Les Iroquois et les Hurons vivaient dans des villages fortifiés, entourés de palissades.  Ces ouvrages défensifs étaient des constructions fort développées.  Ainsi, la bourgade de Hochelaga, qui occupe le site sur lequel s'élève aujourd'hui la ville de Montréal, est « toute ronde et close de bois à trois rangs, en façon d'une pyramide croisée par le haut », d'environ neuf mètres de hauteur.  Le sommet de la palissade est parcouru « de manières de galeries et échelles à y monter, lesquelles sont garnies de roches et de cailloux ».  Il n'y a qu'une seule porte, qui « ferme à barre ».  De même, un village iroquois est habituellement solidement fortifié de « quatre bonnes palissades de grosses pièces de bois, entrelacées les unes parmi les autres... de la hauteur de trente pieds, et les galeries, comme en manière de parapets ».  Il s'agit bien, dans les deux cas, du type de fortifications commun aux villages hurons et iroquois.  Les fouilles archéologiques confirment qu'un rang de pieux doublait parfois, à l'extérieur, la palissade principale et qu'à l'intérieur l'enceinte était toujours tracée selon un plan ovale ou rond.  Ces constructions, d'une façon générale, ne sont pas sans rappeler les forts de bois érigés dans le nord de l'Europe occidentale durant le haut Moyen Âge.

 

Les bourgades de moindre importance et les postes isolés étaient aussi fortifiés, mais plus modestement.  Un fortin en bois que les Iroquois avaient construit « est fait de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en rond » 3, de sorte que la palissade qui l'entoure est relativement basse.  La description de l'attaque de cette petite place forte par les Hurons révèle quelques-uns des moyens qu'utilisaient les Amérindiens pour assiéger un camp ennemi.  Les Hurons s'approchèrent d'abord des murs qu'ils voulaient saper en se cachant derrière de grandes parois mobiles en bois.  Ils abattirent les arbres les plus grands, à proximité de la palissade, de manière au faire tomber sur celle-ci.  Toujours abrités derrière leurs parois mobiles, ils tentèrent ensuite d'attacher des cordes aux piliers de soutien et de renverser ceux-ci à la force des bras.

Les Iroquois ne furent pas les seuls à ériger des fortifications aussi imposantes en Amérique du Nord.  Dans la vallée du Mississippi, foyer de multiples civilisations précolombiennes, des peuples, disparus avant l'arrivée des Blancs, bâtirent de nombreux forts.  Vers l'an 1200 de notre ère, la grande cité de Cahokia, qui se trouvait près de la ville actuelle de Collinsville, en Illinois, était ceinte d'une palissade de quatre à cinq mètres de hauteur, ponctuée de nombreuses tours de garde et entourée d'un fossé.  Ces fortifications assuraient la protection d'une population de quelque 20 000 habitants.  De récentes fouilles archéologiques, menées au fort de Kitwanga, en amont de la rivière Skeena, en Colombie-Britannique, confirment que les nations amérindiennes de la côte du Pacifique construisaient également des fortifications imposantes.  L'idée même de fortifier ne se limitait pas aux peuples sédentaires.  Les Amérindiens nomades du nord des grandes plaines, par exemple, érigeaient occasionnellement des huttes en bois entourées de petites palissades en guise de fortification temporaire.

 

Les rites amérindiens. Guerre chez le peuple Autochtone

La guerre jouait un rôle primordial dans la vie de tous les peuples de l'Amérique du Nord précolombienne.  Se distinguer au combat représentait pour le jeune homme la manière par excellence de gagner l'estime et le respect des autres guerriers et d'attirer l'attention des femmes.  Par ailleurs, le dogmatique « crois ou meurs » des guerres de religion européennes était inconnu dans les sociétés amérindiennes du Canada.  Il en allait de même de l'adhésion à un parti de guerre.  Le guerrier n'était pas soumis à une discipline rigide.  Il pouvait décider à son gré de se battre ou non, ou cesser à n'importe quel moment de guerroyer, s'il le jugeait ainsi.  La raison en était que, pour l'Amérindien, le sens de la vie réside en grande partie dans la liberté individuelle, liberté des croyances, liberté des êtres.

Néanmoins, c'était surtout la vengeance d'actes commis par d'autres tribus qui constituait le motif de guerre par excellence.  Un conflit iroquois traditionnel avait généralement pour origine la réparation exigée par la famille d'un guerrier tué.  Le conflit pouvait couver pendant un certain temps, puis dégénérer en une série de raids, ou d'attaques et de contre-attaques qui étaient autant de revanches, dont la dernière se justifiait toujours par la précédente.  Ainsi se perpétuait un climat de violence et d'hostilité à peu près permanent entre les diverses nations.  La décision de mener une expédition guerrière pouvait également être la conséquence d'un songe qu'avait fait un chef ou un prêtre de guerre, appelé à tort sorcier par les Blancs.

 

La plupart des mâles devenaient guerriers dans les sociétés amérindiennes de l'Amérique du Nord.  Très tôt, le jeune garçon s'entraînait à maîtriser les armes de trait, arc, javelot et fronde, s'exerçait à lutter corps à corps, apprenait à se déplacer furtivement, à se camoufler et à 7 l'ennemi par des cris.  En cas d'hostilités, des bandes plus ou moins importantes se formaient, puis se divisaient en escouades de cinq ou six hommes.  Les guerriers reconnus comme les plus braves étaient élus chefs de guerre et constituaient une sorte d'état-major.  C'était eux qui, réunis en conseil, débattaient et traçaient le plan de campagne.  Avant le combat, ils établissaient une stratégie sommaire prévoyant une certaine disposition des guerriers sur le terrain et la tactique à suivre.

 

Partie de guerre

Toute expédition guerrière faisait l'objet de préparatifs méticuleux.  D'abord, il fallait réunir tous les hommes entre 15 et 35 ans pour former le parti de guerre.  On accordait la préférence aux guerriers expérimentés qui voulaient s'y joindre. Cependant, il fallait composer avec les jeunes guerriers, pressés de se distinguer, qui se présentaient sans invitation.  On les acceptait aussi, mais à la condition qu'ils se soumettent à l'autorité du chef.  À l'approche du territoire ennemi, il devenait parfois difficile de contenir ces adolescents dont l'impétuosité pouvait compromettre l'attaque surprise.  Ensuite, il fallait rassembler tout le matériel nécessaire pour la durée de l'expédition, dont une partie était camouflée en cours de route, en prévision du retour.  On apportait des vivres, de la colle pour réparer les canots et les armes, des mocassins de rechange, de la peinture sèche, des armes, des boucliers et des armures de bois.

Lorsqu'ils arrivaient à proximité du territoire de l'ennemi, les guerriers laissaient leurs canots et continuaient à pied à travers bois.  Ils marchaient toujours à la suite les uns des autres, « en file indienne », le chef ouvrant le défilé, suivi des guerriers d'expérience, puis des jeunes.  Entre l'aube et le crépuscule, ils pouvaient parcourir ainsi jusqu'à 40 kilomètres, selon les difficultés qu'ils rencontraient.  À l'approche du camp ennemi, ils se préparaient pour le combat en s'enduisant le corps de peinture, pour se donner une apparence hideuse, revêtaient leurs armures et prenaient leurs armes.  Ils invoquaient ensuite les Esprits pour les rendre favorables à leur combat, puis se dirigeaient vers leurs victimes éventuelles sans laisser de trace et sans faire le moindre bruit.

 

Même quand ils attaquaient en bandes, les Amérindiens privilégiaient le combat de type individuel.  Au cours de la mêlée, les chefs se trouvaient dans l'impossibilité d'exercer un contrôle rigoureux sur les combattants, de sorte qu'ils leur donnaient très peu de directives.  Quand une bataille mettait aux prises deux groupes assez nombreux d'autochtones, ils s'affrontaient d'abord avec des armes de trait, puis en venaient au corps à corps en terrain relativement dégagé.  Telles furent aussi les premières batailles entre Amérindiens et Européens.  Mais les engagements pouvaient prendre également une toute autre forme, telle l'attaque surprise perpétrée par une escouade en maraude contre des guerriers ennemis isolés ou même contre des gens sans défense.  Dès leurs premiers échanges militaires avec les Européens, les Amérindiens comprirent la futilité de se battre en rangs serrés contre des opposants mieux armés qu'eux, rompus à cette discipline sur les champs de bataille européens.  Grâce à leur intelligence de la guerre, ils saisirent que leur principal avantage résidait dans leur plus grande mobilité.  Ils se concentrèrent dès lors sur les attaques surprise et misèrent sur la tactique du harcèlement, que les Français du XVIIIe siècle nommèrent « la petite guerre » - terme dans lequel on perçoit toute leur lassitude - et qui n'est rien d'autre que la guérilla moderne, cette méthode de combat qui tient en échec les armées les mieux équipées au monde.

 

Armes et armures des Amérindiens

L'équipement offensif du guerrier autochtone se composait essentiellement d'un arc et de flèches ainsi que d'un gourdin.  Celui-ci était soit un casse-tête, pièce de bois sculptée d'un seul tenant, dont la tête, un peu courbée, comportait une boule, soit une hache de guerre faite d'une pierre solidement fixée au bout d'un manche de bois.  On se servait aussi de frondes et, plus rarement, de lances.  Le guerrier amérindien possédait également un attirail défensif, c'est-à-dire une armure, qui lui protégeait le devant et l'arrière du corps, de même que les jambes.  Elle était faite « de baguettes blanches, serrées l'une contre l'autre, tissées et entrelacées de cordelettes fort durement ».  La mobilité constituant l'atout majeur à la guerre, l'armure, à l'instar des canots d'écorce, se devait d'être légère.  Son usage était manifestement très répandu chez les Amérindiens partout en Amérique.  Un bouclier plus ou moins imposant, désigné souvent sous le terme de « rondache » , sans doute par affinité avec un petit bouclier rond, de ce nom, en usage en Europe au XVIe siècle, la complétait.

Toutes ces pièces d'armement étaient surtout utiles pour les batailles en terrain découvert, mais elles servaient probablement aussi pendant les embuscades.  Les armures ainsi fabriquées étaient à l'épreuve des pointes de flèche en pierre, « mais non toutefois de [nos pointes en] fer », et certainement pas des balles.  L'usage croissant des armes à feu européennes entraînera leur disparition.  Cependant, les boucliers resteront en usage, durant le XVIIe siècle, parmi plusieurs nations amérindiennes, notamment les Hurons, les Iroquois, les Montagnais et les Algonquins.  Armures et boucliers pouvaient comporter des armoiries peintes.  Chez les Hurons, celles-ci indiquaient le village du porteur.  Par exemple, celles du village de Quieunonascaran représentaient un canot.

 

Un acte rituel de rétribution. Torture

Torture dans un tribunal de l'Inquisition, au XVIe siècle.
Les Européens connaissent bien la pratique de la torture. Elle est couramment employée par les autorités judiciaires pour obtenir des aveux de suspects. Les tribunaux de Nouvelle-France recourent parfois à ces pratiques. En Europe, les exécutions publiques de condamnés peuvent donner lieu à d'horribles spectacles de torture. Les tribunaux de l'Inquisition l'appliquent sans merci à de présumés hérétiques au nom du christianisme, comme le montre cette gravure.

 

Si, chez plusieurs peuples amérindiens, il suffisait de « toucher » un ennemi sans le tuer pour prouver sa bravoure, l'un des principaux objectifs de la guerre consistait à capturer et à ramener vivants quelques guerriers de l'autre camp.  Le captif savait ce qui l'attendait et c'était avec stoïcisme qu'il subissait des tourments qui pouvaient se prolonger durant plusieurs jours.  La torture était considérée, dans la plupart des sociétés amérindiennes, comme un acte rituel de rétribution et, comme telle, demeura absolument hors de la compréhension d'un Français ou d'un Anglais du XVIIe siècle.

 

Le sort que les Amérindiens réservaient à leurs prisonniers a été le sujet d'innombrables récits depuis 500 ans, récits d'une lecture insoutenable, la plupart du temps, tant est grande la cruauté qui s'y manifeste.  Les Iroquois et les Sioux n'allaient-ils pas jusqu'à crucifier des enfants captifs ?  Encore faut-il faire des distinctions.  Chez les Iroquois, où la torture rituelle était la plus répandue, nombre de prisonniers ne terminaient pas leurs jours au poteau de supplice, mais était tout bonnement adoptés par les familles de leurs ennemis et jouissaient des mêmes privilèges que les membres de ces dernières.  Quant aux Abénaquis, ils préféraient garder leurs prisonniers comme esclaves plutôt que de les faire périr à petit feu.

 

Cannibalisme et scalpage

Guerrier amérindien brandissant un scalp
Cette gravure montre une vision européenne classique de la pratique du scalp. Cette pratique, répandue chez les Amérindiens des forêts et des plaines, remonte au début du XVIe siècle au moins. Les scalps sont considérés comme des trophées de guerre et font partie d'un rite de châtiment des ennemis.

 

Il est une autre pratique amérindienne sur laquelle les Européens jetèrent l'anathème : le cannibalisme.  Les Amérindiens consommaient parfois le cœur ou d'autres parties du corps d'un ennemi qu'ils avaient jugé particulièrement brave face à la souffrance et à la mort, au lieu de simplement le jeter aux ordures, afin de s'approprier son courage et parce qu'ils le croyaient digne d'être perpétué de cette manière.  Si cette macabre coutume pouvait avoir un sens dans certains cas, il y eut d'autres occasions où la déraison l'emporta.  Tel cet infortuné prisonnier qu'ils éventrèrent sans rituel afin de pouvoir s'abreuver de son sang et manger son cœur « encore chaud ».

La coutume de lever des scalps, c'est-à-dire d'arracher la chevelure d'un ennemi en découpant le cuir chevelu, semble très ancienne.  Dès 1535, un explorateur remarqua « les peaux de cinq têtes d'hommes » à Hochelaga.  Cette pratique était fort répandue, aussi bien chez les Amérindiens des forêts que chez ceux des plaines.  Le scalp était de toute évidence un trophée de guerre.  S'il était prélevé sur un blessé, la victime avait peu de chances de survie.  On préférait couper la tête du vaincu et l'emporter; mais si l'on était trop encombré, on enlevait simplement la chevelure.  Telle aurait été l'origine de cette horrifiante coutume.

 

Horrifiante aux yeux des Européens, qui la condamnaient à grands cris.  Il se pratiquait pourtant à ce sujet une morale bien douteuse durant les guerres coloniales.  En effet, à partir de la fin du XVIIe siècle, les autorités de la Nouvelle-Angleterre offrirent des primes importantes pour les scalps de leurs ennemis.  Les Français, dont les chevelures se trouvaient ainsi mises à prix, rétorquèrent en faisant de même pour celles des Britanniques, bien que la valeur de leurs primes n'ait été qu'un dixième de celles payées par les Anglais.  En fait, ils préféraient consacrer leur argent à racheter aux Amérindiens les Blancs qu'ils gardaient en captivité.  Enfin, il arriva que des combattants blancs des deux côtés s'adonnèrent eux-mêmes à lever des scalps.  En réalité, sous leurs protestations officielles, les autorités coloniales perpétuaient donc cette pratique dont ils faisaient porter l'odieux aux Amérindiens.

 

Massacre de la Saint-Barthélémy, 24 août 1569
Le massacre du 24 août et les journées sanglantes qui suivent montrent au monde entier les horreurs que des Chrétiens « civilisés » peuvent commettre dans la ville de Paris, l'un des centres de la civilisation occidentale. Ces horribles scènes de torture et de carnage se répètent partout en Angleterre, en Allemagne, en France et dans d'autres pays durant les guerres de religion d'Europe.

 

L’habillement et les parures

Guerriers amérindiens du Canada central, au XVIe siècle
Trois types de costumes communs à toutes les tribus amérindiennes sont montrés ici. Reconstitution de David Rickman.

 

L'habillement de la plupart des Amérindiens des forêts de l'Est, à l'époque de leurs rencontres initiales avec les Européens, était relativement simple.  L'été, ils allaient torse nu, mais portaient le brayet, sorte de pagne ou de bande-culotte qui passait entre les jambes, retenu à la taille par une ceinture.  Ils se chaussaient de mocassins en cuir souple et, à l'occasion, enfilaient des mitasses, longues jambières attachées aussi à la ceinture.  L'hiver, ils se couvraient d'un vêtement de fourrure à longues manches.  Toutes les pièces de leur habillement étaient taillées dans des peaux que leurs femmes tannaient, apprêtaient et cousaient.

Les Hurons portaient sur la tête, « principalement quand ils allaient à la guerre », des panaches « faits de poils d'élan, peints en rouge et collés à une bande de cuir large de trois doigts ».  Les Iroquois, eux, arboraient dans les mêmes circonstances un genre de casque consistant en un bandeau de bois mince, pourvu d'un arceau passant par le milieu de la tête, muni de petites douilles destinées à recevoir des plumes dont la longueur distinguait les chefs des simples guerriers.  D'autres s'arrachaient « tous les cheveux de la tête, à l'exception d'une petite touffe » qu'ils laissaient croître et qu'ils ornaient de plumes colorées.  Pour se donner un aspect terrifiant, Hurons et Iroquois s'appliquaient diverses couleurs sur la figure.  Il arrivait aussi qu'ils aient sur le corps des tatouages multicolores, souvent pour des raisons religieuses et traditionnelles, mais aussi afin de faire peur à ceux qui n'y étaient pas habitués.

 

Les Skraelings

Navires vikings, vers 1000
Grâce à leurs lignes pures, ces navires sont, à leur époque, les plus rapides et les plus aptes à naviguer en mer.

 

D'après les premiers explorateurs européens, les divers peuples disséminés en Amérique avaient tous une tradition guerrière.  Les plus anciens récits connus, les Sagas islandaises, traitent des rapports qui s'établirent entre les Vikings et les autochtones - rapports de force surtout -, au cours d'événements survenus vers l'an 1000 de notre ère.  Longtemps considérés comme des légendes, les récits qui forment la trame de la Saga des Groenlandais et de la Saga d'Éric le Rouge ont été confirmés depuis quelques décennies par d'importantes découvertes archéologiques, notamment la localisation d'un établissement viking à l'Anse-aux-Meadows, à l'extrémité de la péninsule nord de l'île de Terre-Neuve.  Il semble bien qu'il s'agisse là du « Vinland » des Sagas.

À quel groupe ethnique appartenaient donc ces guerriers assez audacieux pour s'attaquer aux colonies vikings ?  Certaines indications laissent croire qu'il s'agissait d'Inuit, d'autres, d'Amérindiens.  Les Scandinaves les désignaient par le mot Skraelings, terme qui englobe tout indigène, sans distinction.  La Saga d'Éric le Rouge les décrit comme étant des hommes de petite taille, vêtus de peau, au teint foncé, aux cheveux raides, dotés de grands yeux et de pommettes saillantes.  Ces autochtones qui occupaient le Vinland - Terre-Neuve et une partie de l'est du Québec - vers l'an 1000 seraient-ils les ancêtres des Béothuks et des Algonquiens de la période historique ?

 

Maison en terre et en bois reconstruite à l'Anse aux Meadows, Terre-Neuve
Cette maison en terre et en bois a été reconstruite dans le style de celles que les Vikings ont construites à l'Anse aux Meadows, à Terre-Neuve, vers l'an 1 000.

 

Selon la Saga des Groenlandais, une attaque des Vikings contre neuf autochtones, qu'ils auraient trouvés couchés sous leurs trois embarcations de peau, aurait marqué le premier échange entre les deux peuples.  Un seul des Skraelings aurait échappé au massacre et serait parvenu à fuir.  D'une façon générale, les Vikings ne faisaient pas de prisonniers à moins d'avoir quelque profit en vue.  Une de leurs coutumes les plus redoutables était le strandhogg, raid qu'ils effectuaient sur un village côtier afin de se saisir de bétail et de vivres.  Ils enlevaient par la même occasion les jeunes filles et les enfants robustes afin de les vendre comme esclaves.  Les autres habitants, s'ils n'avaient pas réussi à fuir, étaient souvent massacrés sur place.  L'attaque dont auraient été victimes les neuf Skraelings était possiblement un strandhogg.  Quelque temps après cet événement, d'autres indigènes, venus « dans un grand nombre de bateaux en peau », attaque le navire des Vikings.  Ils sont armés d'arcs et savent s'en servir habilement, car ils tuent d'une flèche Thorvald, le chef de leurs ennemis.  Malgré cet affrontement, les Vikings restent encore deux ans au Vinland avant de retourner au Groenland.

 

Vue d'un établissement viking en Amérique
Cette vue a été élaborée durant les années 1930 par l'artiste-historien Fergus Kyle. Bien que l'on sache aujourd'hui que les casques vikings étaient dépourvus de cornes, contrairement à ce que l'on voit ici et dans d'innombrables représentations populaires, cette illustration donne pourtant une idée assez réaliste de ce à quoi cet endroit aurait ressemblé. Les Vikings pouvaient aussi bien construire des maisons en bois que des maisons en terre.

 

Puis, quelques années passent et une nouvelle colonie viking, composée de 60 hommes et de cinq femmes, s'installe au Vinland, avec du bétail, sous la direction d'un chef nommé Karlsefni.  Peu de temps après leur arrivée, des Skraelings sortent du bois.  Ils demandent à échanger leurs fourrures contre des armes, ce que Karlsefni défend formellement aux siens d'accepter.  On troquera donc les pelleteries contre du tissu rouge que les autochtones s'enrouleront autour de la tête en guise de coiffure.  Ces relations amicales tournent au vinaigre quand un indigène est tué pour avoir tenté de voler des armes.  Un combat s'ensuit.  D'après la Saga d'Éric le Rouge, les Skraelings sont armés, cette fois, d'arcs et de flèches ainsi que de frondes, et les projectiles « pleuvent comme de la grêle » sur les Vikings.  Les autochtones font usage, en outre, d'un curieux objet sphérique, d'un bleu-noir prononcé, qu'ils lancent à l'aide d'une perche dans le camp ennemi.  Pendant sa retombée, l'objet tournoie en émettant un son hideux.  Frappés de terreur, les Vikings, qui se croient encerclés, n'ont qu'une seule pensée, s'enfuir.  Voyant la débandade des siens, l'épouse de Karlsefni, Freydis, se saisit de l'épée d'un Viking, tué d'une pierre plate dans le crâne, et fait face aux autochtones.  Son courage rallie les siens et la situation est finalement renversée.  Néanmoins, à la suite de ce combat, les colons jugent la situation intenable et peu de temps après abandonnent leur village.

 

La baie à l'Anse aux Meadows, Terre-Neuve
Vers l'an 1 000, l'Anse aux Meadows accueillait un établissement Viking. Cet endroit est aujourd'hui site du patrimoine mondial de l'UNESCO.

 

Façon de faire la guerre des Skraelings

Si brefs soient-ils, ces récits des Sagas corroborent plusieurs renseignements sur l'art militaire des Skraelings.  De toute évidence, ils semblent assez bien organisés, militairement parlant, puisqu'ils peuvent réunir un grand nombre de guerriers en peu de temps.  Ils sont courageux, puisque prêts à s'attaquer à des inconnus rassemblés sur des navires ou groupés à l'intérieur d'une colonie.  La bravoure à la guerre est même l'une des valeurs qui comptent le plus pour eux, peut-on penser.  Puis, ils font preuve d'une grande mobilité, qu'ils doivent certainement, en bonne partie, à la légèreté de leurs embarcations.  Ils sont capables également d'une retraite rapide, ce qui n'est pas nécessairement la déroute à laquelle conclut les Vikings.  Comme les Européens l'apprendront au fil des combats qui les opposeront pendant des siècles aux autochtones, une attaque éclair suivie d'un repli tout aussi brusque est typique de leur manière de guerroyer.  Enfin, ils manient leurs armes de façon redoutable et connaissent même la psychologie du combat, pour inventer et utiliser des objets destinés à effrayer l'ennemi, comme ces boules bleu-noir lancées avec le résultat escompté contre les Vikings.  De plus, ceux-ci ne semblent pas avoir découvert les bases ou les villages des Skraelings, alors que les autochtones ont repéré les établissements européens assez rapidement, ce qui dénote, chez eux, l'existence d'un système de surveillance efficace.

 

L'expansion des Vikings vers l'ouest

Le monde tel qu'il était connu par les savants européens vers 1350, transposé sur une carte moderne
Au Moyen Âge, les connaissances géographiques, qui remontent pour l'essentiel à l'antiquité grecque, sont complétées par divers récits, dont les voyages des Vikings dans les mers nordiques et de Marco Polo en Extrême-Orient au cours du XIIIe siècle. Jusqu'aux découvertes de Christophe Colomb en 1492, les cartes ressemblent presque toutes à celle-ci. Chez les Européens, les Asiatiques et les Africains, personne ne se doute que d'autres continents peuvent exister. Carte tirée de la Ridpath's Cyclopedia, 1885.

 

Les Skraelings pourraient être les premiers autochtones à avoir rencontré l'homme blanc en Amérique du Nord, il y a de cela près de 1000 ans.  Les envahisseurs, pour leur part, étaient issus de l'un des peuples les plus agressifs et les plus guerriers du haut Moyen Âge européen.  Navigateurs intrépides, les Vikings avaient abordé le continent au terme d'un long périple.  Partis à l'aventure sur les mers, ils avaient mis le cap vers l'ouest - qui représentait l'inconnu - et avaient atteint l'Islande vers 860.  Ils commencèrent à coloniser cette île dès la fin du IXe siècle, et c'est de là qu'en 982 Éric le Rouge mit la voile pour découvrir le Groenland, « Terre Verte », où deux colonies s'établirent.  Quelques années plus tard, un navire, commandé par Bjarni, entrevit une nouvelle terre, à l'ouest - le Canada actuel.  Bjarni fut bientôt suivi par Lief Erickson, qui longea les côtes du « Helluland », du « Markland », et du « Vinland », qui pourraient être, respectivement, l'île de Baffin, la côte du Labrador et Terre-Neuve.  La découverte de ruines à l'Anse-aux-Meadows, à Terre-Neuve, confirme d'ailleurs que des tentatives d'établissement de petites colonies eurent lieu.

 

Équipement du guerrier viking

 

L'équipement du guerrier viking était plus ou moins important selon ses moyens, mais tous possédaient des armes offensives.  Au premier rang, se trouvait la hache de guerre, qu'ils maniaient d'une façon redoutable.  Au début, ils étaient les seuls à se servir de cette arme, mais leurs adversaires l'adoptèrent rapidement.  L'épée était également fort prisée et le javelot était une pièce d'armement d'usage courant.  Enfin, chaque guerrier portait un couteau à la ceinture.  Pour les combats à distance, on utilisait l'arc et les flèches.  Les Sagas rapportent que les colons vikings, au Vinland, avaient en leur possession des épées, des haches et des javelots.  Toutefois, elles ne disent pas qu'il y ait eu d'archers dans leurs rangs.

 

 

En ce qui concerne les armes défensives, le bouclier occupait la place d'honneur.  Tout guerrier en possédait un.  De forme circulaire, en bois, il pouvait être recouvert de cuir peint en rouge et encerclé de métal.  Au centre se trouvait l'ombon, sorte de bosse de fer destinée à protéger le poing.  Il semble que la plupart des guerriers aient possédé un casque.  Habituellement très simple, de forme conique, il était souvent prolongé par une languette servant à couvrir le nez.  Les cornes, appendices qui font généralement partie de cette pièce d'équipement dans les représentations contemporaines des terribles guerriers nordiques, sont le fait de l'imagination populaire.  Elles n'ont jamais surmonté leurs casques.  La cotte de mailles était peu portée, en raison de son coût fort élevé.  Il est probable que seuls les chefs et les hommes les plus prospères du groupe pouvaient se l'offrir, sans oublier ceux qui en avaient dépouillé des soldats ennemis.  La découverte, au cours de fouilles archéologiques récentes, effectuées dans le nord-ouest du Groenland et dans l'est de l'île Ellesmere, de deux fragments datant respectivement des XIe et XIIe siècles prouve que ce vêtement de protection s'est rendu jusqu'en Amérique.  Cotte de mailles et casques étaient en fer.

 

Casque normand (ou viking), Xe siècle
Les casques normands (ou vikings) étaient généralement pourvus d'un protège-nez, comme on peut le voir ici. Contrairement à la croyance populaire, il n'y avait pas de cornes sur les casques vikings. Gravure d'après Viollet-le-Duc.

 

La tenue vestimentaire du Viking se composait d'une tunique, de pantalons de laine, de chaussures en cuir souple, d'une ceinture sur laquelle était enfilé le fourreau de l'épée, et peut-être d'un couvre-chef.  Par temps froid, son habillement se complétait d'une cape de laine, retenue à l'épaule droite par une grosse épingle de métal.

 

Le retrait des Vikings

Est-ce le rapport de force qui s'est établi dès le premier contact avec les populations locales qui a amené les Vikings à quitter l'Amérique ?  Les autochtones étaient certainement nombreux, et les nouveaux venus, malgré leurs armes de fer, ne pouvaient espérer en avoir raison.  Comme le dit la Saga d'Éric le Rouge, les Vikings, au Vinland, « réalisèrent que, bien que ce fut une bonne terre, leur vie à cet endroit serait toujours dominée par la peur et les combats ».  Ils décidèrent donc de retourner chez eux, de sorte que la première incursion européenne armée au Canada fut repoussée.  Après l'échec des tentatives de colonisation vikings, il faudra attendre quelque 500 ans pour qu'arrive du vieux continent une nouvelle vague d'explorateurs. 



01/01/2013
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