Histoires-du-Canada

Histoires-du-Canada

Les soldats du roi1000-1754

Les soldats du roi. Le contrôle royal remplace les compagnies privées

Tambour du régiment de Carignan-Salières 1665-1668, représenté pendant le service de ce régiment en Nouvelle-France. Il porte la livrée du prince de Carignan. Les armoiries de Carignan sont peintes sur le cylindre du tambour; l'écu central est une croix blanche sur fond rouge. Le tambour a pour rôle de communiquer les ordres du commandant par les roulements de son instrument. Reconstitution de Michel Pétard.

 

Quand meurt le cardinal Mazarin, en mars 1661, le jeune roi Louis XIV décide de gouverner par lui-même et prend les rênes du pouvoir.  Jetant un regard critique « sur toutes les parties de l'État », il conclut que « de désordre régnait partout » dans son royaume. Ou bien la France est absente des terres nouvellement découvertes, ou bien son drapeau flotte sur de petits postes sans défense, à la merci des indigènes.  Un vent de réformes, auquel l'armée n'échappe pas, s'abat immédiatement sur toutes les institutions françaises.  C'est une véritable révolution que le souverain de 22 ans accomplit ainsi, « sans peine et sans bruit ».

Dès 1663, les grandes réformes étant bien amorcées dans la métropole, le roi et ses ministres s'attaquent au problème colonial.  La première mesure qui s'impose est de briser le monopole des compagnies de commerce et de leur substituer l'autorité royale.  Pour les remplacer on met sur pied les Compagnies des Indes occidentales et orientales.  À la différence de celles qui les ont précédées, celles-ci sont des créations royales où le trésor de l'État se joint au capital privé, où la marine royale escorte la marine marchande, et où le roi exerce un droit de regard accru sur la gestion des colonies.

Cette importante mesure administrative ne change cependant rien au fait que les colonies restent toujours aussi faibles.  Le roi en prend conscience et décide alors de donner une puissante impulsion au monde colonial français en jetant dans le jeu son armée.

 

L'envoi de troupes royales. La première priorité des Antilles

Pour la première fois de l'histoire militaire française, on va donc détacher des troupes de l'armée royale pour servir outre-mer.  En 1664, 200 soldats se rendent aux Antilles.  Ils accompagnent le marquis Prouville de Tracy, nommé lieutenant général de toute l'Amérique française, qui fait route vers la Guyane et la Martinique.  Ces soldats, les premiers du contingent destiné aux colonies, appartiennent à quatre compagnies d'infanterie tirées des régiments de Lignières, de Chambellé, de Poitou et d'Orléans.  L'année suivante, en 1665, quatre autres compagnies quitteront la France, cette fois à destination de Madagascar et des îles de l'océan Indien.

 

Un régiment pour le Canada

Dans cette nouvelle politique coloniale, le Canada se voit attribuer « la part du lion ».  Durant l'été 1665, un régiment entier - 1 000 hommes répartis en 20 compagnies - débarque à Québec : le régiment de Carignan-Salières, devenu quasi légendaire dans l'histoire de notre pays.

Ce corps militaire tenait son nom du colonel Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, qui, en 1644, le leva au Piémont, dans le nord de l'Italie.  Au cours de la décennie suivante, on fit du recrutement en France, et ce caractère piémontais fut noyé graduellement.  La paix des Pyrénées de 1659, signée entre l'Espagne et la France, entraîna dans l'armée la réduction du nombre de régiments.  Au lieu d'être dissous, celui de Carignan fut fusionné avec un autre.  Le 31 mai de cette année-là, le prince de Carignan fut avisé, fort civilement, qu'en son absence le commandement avait été donné « à une personne d'expérience et de capacité ... le sieur de Salières ... colonel d'un régiment d'infanterie qui est à présent incorporé dans le vôtre ».  Le régiment de Salières avait été levé en 1630.

 

Offensives contre les Iroquois. Un nouvel équilibre du pouvoir?

Fantassins français au camp, 1667
Les troupes françaises du régiment de Carignan-Salières stationnées au Canada à partir de 1665 ont vraisemblablement la même apparence que les soldats montrés dans cette image de 1667.

 

La présence d'un tel corps de troupes au Canada ne pouvait que changer radicalement la situation, jusqu'alors fort précaire, de la colonie.  Enfin, on peut pourvoir les villes de garnisons !  Enfin, on peut construire les forts qu'il faut pour contrôler le Richelieu, route traditionnelle des Iroquois !  L'enthousiasme est tel que de nombreux volontaires canadiens se mobilisent pour appuyer le régiment de Carignan-Salières.  En quelques semaines, la petite colonie française, que la nécessité avait obligée depuis un quart de siècle à se replier dans une attitude défensive, modifie sa mentalité d'assiégée au profit de l'esprit d'offensive.  On envisage une nouvelle tactique : attaquer l'Iroquois chez lui !

 

Le premier fort Chambly, construit en 1665
Cette maquette représente le premier fort Chambly. L'édifice original en billots de bois, construit en 1665, est typique des plus anciens forts du Canada.

 

Une attaque contre les Iroquois

Carte des campagnes menées par le régiment de Carignan-Salières en 1665-1666
En 1665 et en 1666, le régiment de Carignan-Salières fait campagne contre les Iroquois dans la région montrée par la carte. Après être débarqué à Québec, le régiment se rend à Montréal, construit plusieurs forts sur la rivière Richelieu, mène sans succès un raid hivernal contre les Iroquois au sud, puis réussit dans une deuxième tentative en septembre.

 

L'idée ne manque pas d'audace.  Les nouveaux arrivés ne sont pas familiers avec le pays, ni avec les distances, les tactiques amérindiennes et le climat.  Tout ceci rend l'entreprise périlleuse, mais les commandants ne veulent pas perdre l'initiative de l'action.  Dès janvier 1666, quelque 300 soldats, auxquels se sont joints 200 volontaires canadiens, partent à pied de Québec, sous le commandement du gouverneur Courcelles, et, marchant péniblement dans la neige, entreprennent de se rendre au pays des Iroquois.  Campagne étonnante, étant donné qu'à cette époque ni les Européens ni les Amérindiens ne se battent habituellement en hiver.  Au fort Sainte-Thérèse, un groupe de volontaires montréalais vient grossir les rangs de cette troupe et l'expédition se remet en marche, connaissant à peine sa position exacte.  Et le 17 février, les Hollandais du village de Schenectady ont la surprise de voir surgir du bois un grand nombre de soldats français, certains chaussés de raquettes, plusieurs tirant des « traînes sauvages » (toboggans) sur lesquelles sont empilées de maigres provisions...  N'étant pas en guerre, ils veulent bien les tolérer le temps qu'ils refassent leurs forces.  Mais les événements se précipitent.  À peine les Français se sont-ils arrêtés qu'éclate une escarmouche avec les Agniers, jusqu'alors introuvables.  Puis survient une délégation qui demande à Courcelles le pourquoi de cette incursion si près des postes du roi d'Angleterre !  Courcelles va de surprise en surprise : il se trouve chez les Hollandais alors qu'il se croyait chez les Iroquois, il apprend que la NouvelleHollande est devenue la colonie de New York et qu'Orange se nomme maintenant Albany...  C'est qu'en effet le territoire hollandais est passé aux mains des Anglais l'année précédente, nouvelle qui n'était pas encore parvenue à Québec avant son départ.  Les villages agniers ne sont plus désormais qu'à trois jours de marche de Schenectady, mais les Français sont épuisés et près de la famine.  Ils obtiennent des Hollandais du pain et des pois, et, la rage au cœur, prend le chemin du retour...

 

Résultats variés

Les pertes furent difficiles à évaluer de part et d'autre.  Les Agniers prétendirent avoir tué une douzaine de soldats français, en avoir capturé deux et en avoir trouvé cinq autres morts de faim et de froid, tout en déclarant n'avoir eu que trois guerriers tués et cinq blessés.  Ils ajoutèrent n'avoir pu causer de sérieux dommages à l'expédition française, qui était très mobile.  Ceci concorde avec les rapports français.  On croit d'abord avoir perdu une soixantaine d'hommes, mais on se ravise, car on signale par la suite « que la plupart des soldats qu'on croyait perdus reviennent tous les jours ».

En définitive, cette première sortie du régiment de Carignan-Salières fut un fiasco par rapport aux objectifs qu'elle poursuivait, à savoir la destruction des villages iroquois.  D'autre part, on y a accompli quelque chose de quasiment impensable : mener une expédition guerrière en plein hiver canadien, déplaçant plus d'un demi-millier d'hommes sur des centaines de kilomètres, en pays vierge et en terrain accidenté, ceci dans un des environnements les plus hostiles qui soient.

Les Français tirèrent de nombreuses leçons de cette expédition hivernale d'envergure, la première à n’avoir jamais été tentée en Nouvelle-France.  Ils y apprirent, notamment, l'importance cruciale d'avoir des guides fiables, car, pour ajouter aux difficultés de la chose, les 30 Algonquins qui devaient mener la troupe en Iroquoisie ne furent d'aucune utilité durant près de trois semaines, s'étant enivrés.  Ils comprirent aussi la nécessité d'avoir une logistique solide ainsi qu'un équipement et un habillement permettant de survivre dans des conditions aussi difficiles.  Toute cette expérience leur servira plus tard.

 

La lutte se poursuit

Fantassins français en marche, 1667
Aux XVIIe et aux XVIIIe siècles, les armées ne marchent pas nécessairement en rangs, et même la marche au pas est peu commune jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Les soldats français du régiment de Carignan-Salières stationnés au Canada à partir de 1665 auraient eu le même genre de démarche.

 

Durant le printemps et l'été 1666, les rapports entre Français et Iroquois alternent entre escarmouches et tentatives de pourparlers de paix.  En juillet, le capitaine Sorel, à la tête de 200 soldats et volontaires accompagnés d'environ 80 Amérindiens alliés, parvient à se rendre à proximité d'un village iroquois.  Ceux-ci envoient une ambassade de paix et libèrent quelques captifs français, avec lesquels Sorel rentre à Québec.  Cette expédition apprend à ses chefs qu'on peut pénétrer facilement le pays iroquois.  Fatigué des longs palabres ponctués d'incidents sanglants, le marquis de Tracy se prononce alors en faveur d'une expédition majeure.  Celle-ci a lieu en septembre 1666.  À la tête d'une petite armée composée de 700 soldats, de 400 volontaires canadiens - dont un bataillon de Montréalais, les plus expérimentés dans la guerre amérindienne - et d'une centaine d'alliés hurons et algonquins, Tracy, Courcelles et Salières marchent, tambour battant, jusqu'au cœur du territoire des Iroquois.  Ceux-ci se cachent dans la forêt et n'opposent aucune résistance, laissant les Français brûler quatre de leurs villages et leurs récoltes de maïs.  Ces fiers guerriers, invincibles à la guérilla mais impuissants quand on les attaque chez eux, se rendent alors compte que leurs voisins et amis, les Anglais et les Hollandais, ne les appuient pas militairement.  D'autres considérations assombrissent encore leurs perspectives d'avenir.  Leurs forêts se dégarnissent tandis que les Outaouais, dont le territoire, au nord, abonde en animaux à fourrure, sont en train de s'emparer du marché.  Enfin, la famine engendrée par la destruction de leurs récoltes a fait périr des centaines d'Agniers.  Toutes ces raisons incitent les Iroquois à refaire leurs forces en attendant des jours meilleurs.  Leurs chefs se décident alors à conclure la paix et amorcent des pourparlers avec les Français.  On déplore peu d'incidents par la suite, et celle-ci est signée en juillet 1667, après de longues et tortueuses négociations.

 

La paix

Le succès de la mission du régiment de Carignan-Salières assure à la Nouvelle-France une ère de paix et de prospérité.  Ses colons peuvent maintenant s'établir et travailler sans craindre constamment pour leur vie.  Les forts qui se dressent tout le long du Richelieu sont destinés non seulement à gêner tout mouvement venant du sud, mais à servir de bases pour porter la guerre jusqu'au cœur de l'Iroquoisie.  C'est donc dire que l'initiative de l'offensive a changé de camp.  Devant les explorateurs et les commerçants français s'ouvre toute grande la route vers l'Ouest, aux territoires riches en fourrures.  Enfin, aux nations que les Iroquois ont anéanties se substituent les Outaouais, les Ojibwés et les Algonquins, à titre de partenaires commerciaux et d'alliés militaires.

 

La colonisation militaire

Le roi réservait cependant une autre mission pour ses troupes au Canada.  Prévue avant leur départ pour la colonie, elle avait été tenue secrète jusqu'à la fin des hostilités.  La Nouvelle-France est peu peuplée.  Pour corriger la situation, le roi désire que l'on incite les soldats des 24 compagnies « à demeurer dans le pays » en leur procurant les moyens « de s'y établir ».  Ainsi, les officiers se voient offrir des seigneuries.  Offre alléchante puisque posséder ses propres terres, c'est-à-dire devenir seigneur, est presque impossible en France.  Quelque 30 officiers se prévaudront de ce privilège en 1667 et 1668.  Les titres de la plupart des nouvelles seigneuries seront officiellement concédés à leurs propriétaires cinq ans plus tard.  Plusieurs porteront le nom de leur titulaire.  Ainsi, les villes actuelles de Berthier, Chambly, Contrecoeur, Boisbriand, Saint-Ours et Sorel commémorent leurs premiers seigneurs, auparavant capitaines du régiment de Carignan-Salières ; Lavaltrie, Soulanges et Varennes rappellent le souvenir d'anciens lieutenants, tandis que les enseignes Brucy et Verchères ont enrichi de leurs noms la toponymie québécoise.

Pour les simples soldats il y a également de nombreux avantages à rester.  Posséder sa propre terre et s'y établir avec une aide substantielle sous forme de bétail et de vivres, au lieu de s'en retourner et possiblement travailler comme serf, quoi de plus tentant ?  Aussi, 404 d'entre eux et 12 sergents se laisseront-ils gagner.  En France, le sentiment de confiance engendré par l'action vigoureuse des troupes du roi favorise sans aucun doute l'émigration vers le Canada, car, à la même époque, plus de 2 000 Français se décident à partir.  Avec tous ces apports, le chiffre de la population double, de 1665 à 1672, et passe à 7 000 personnes.
Ces mesures n'entraînent pas la dissolution complète du régiment de Carignan-Salières.  Les deux compagnies colonelles rentrent en France avec le colonel Salières, en juin 1668, et le régiment y fait un nouveau recrutement.

 

Une garnison « royale »

Louis de Buade, comte de Frontenac (1622-1698)
On ne connaît aucun portrait contemporain de Louis de Buade, comte de Frontenac (1622-1698). Cette statue du célèbre gouverneur général de Nouvelle-France (1672-1682, 1689-1698) provient de la façade de l'hôtel du Parlement à Québec, conçue par Eugène-Étienne Taché (1836-1912). On la voit ici dans une gravure du début du XXe siècle.

 

Au Canada, on garde sur pied quatre compagnies de 75 hommes chacune, officiers compris.  Deux de ces compagnies sont affectées à Montréal et deux à Chambly.  De ces dernières, 30 hommes seront détachés à Saint-Jean et 20 autres au fort Sainte-Anne.  Ces quatre compagnies montent la garde jusqu'en 1670, alors qu'elles sont renforcées par cinq compagnies de 50 hommes chacune, envoyées de France et commandées par des officiers du régiment de Carignan-Salières.  Il semble que ces troupes maintiennent la filiation avec le régiment par un genre de statut de compagnies détachées outre-mer.  L'intendant Talon note que le capitaine Laubia « de Carignan-Salières » commande l'une des « compagnies... renvoyées en Canada en 1670 ». Cependant, en 1671, on licencie toutes ces troupes, enjoignant les officiers à ne pas revenir en France et encourageant « fortement tous les soldats à travailler au défrichement et à la culture des terres».

Le licenciement des compagnies, décision favorable au peuplement, ne laisse cependant sur place qu'une très mince garnison à Québec, deux sergents et 25 soldats; dans chacune des villes de Trois-Rivières et de Montréal, 10 soldats seulement.  Avec les 20 gardes du gouverneur général et les 10 soldats du fort Frontenac, que le sieur de La Salle a l'obligation d'entretenir « à ses dépens », à partir de 1675, on obtient un total de 77 hommes.  Cette pénurie de soldats de métier laisse les forts sur le Richelieu pratiquement sans défense.  Aussi, durant cette période, assiste-t-on à une lente détérioration des relations franco-iroquoises.

Les Iroquois, observant l'affaiblissement de la défense militaire canadienne, songent en effet à reprendre la guerre.  Pour se venger des humiliations qu'ils ont subies, ils cherchent, depuis que la paix est conclue, à neutraliser les nouveaux alliés amérindiens des Français et à s'emparer de leur commerce de fourrures.  Dans la colonie, d'autre part, on a de bonnes raisons de craindre que les 2 500 guerriers des Cinq Nations, bien pourvus en fusils britanniques, ne détruisent les tribus de l'Ouest avec qui les rapports sont bons, comme ils l'ont fait des Hurons, ainsi que les postes de traite et les missions jésuites récemment établies à Michillimakinac et dans les Illinois.  La situation s'aggrave durant les années 1670 mais, grâce en bonne partie à l'habile diplomatie de Louis de Buade, comte de Frontenac, le danger est contenu.  À peine celui-ci est-il remplacé au poste de gouverneur général, en 1682, par Joseph-Antoine Lefebvre de La Barre, que les Illinois, les Miamis et les Outaouais, attaqués, se voient forcés de demander la protection française.  Pour défendre ce vaste territoire et venir en aide à ses alliés, de La Barre, dont le projet de conférence générale a essuyé le refus dédaigneux des Iroquois, ne dispose que d'une poignée de soldats.  Mais il peut aussi compter sur environ 1 000 miliciens car, au cours de la décennie qui vient de se terminer, la colonie s'est dotée de cette importante ressource, appelée à jouer un rôle décisif dans la défense du pays : une milice.

 

La fondation de la milice canadienne

Le château Saint-Louis et son fort à Québec, en 1683
Les murs du fort surmontant le cap Diamant sont construits en 1636 et démolis en 1693. Cette gravure de l'époque montre le premier château Saint-Louis en 1683. Il est construit en 1647 et démoli en 1694 pour faire place à un édifice plus grand. C'est dans le deuxième château qu'un messager va présenter, de la part de Sir William Phips, une sommation à se rendre au comte de Frontenac, qui répond par la phrase célèbre : « Je vous répondrai par la bouche des mes canons. » Durant le siège de 1690, le fort sert de citadelle des fortifications de Québec. Les maisons à droite bordent un chemin étroit (aujourd'hui la rue du Petit-Champlain) qui mène à la basse ville. Gravure d'après Jean-Baptiste Franquelin.

 

Avant 1669, à moins de situations d'urgence, le colon français au Canada n'était pas obligé de servir à l'occasion en tant que soldat.  Il n'existait pas, non plus, d'organisation militaire permanente visant à regrouper les hommes.  Une lettre de Louis XIV va changer tout cela.  Le 3 avril 1669, en effet, le roi ordonne à Courcelles, alors gouverneur, de « diviser » ses sujets au Canada par compagnies « ayant égard à leur proximité, qu'après les avoir ainsi divisés, vous établissiez des capitaines, lieutenants et enseignes pour les commander... vous donniez les ordres qu'ils s'assemblent une fois chaque mois pour faire l'exercice du maniement des armes ».  On doit prendre soin, ajoute-t-il, qu'ils soient « toujours bien armés, et qu'ils aient toujours la poudre, plomb et mèches nécessaires pour pouvoir se servir de leurs armes dans les occasions ».

Ces quelques lignes signent l'acte de naissance de la milice canadienne.  Elles sont l'équivalent d'un programme général d'organisation et de mobilisation dont la réalisation va demander plusieurs années d'efforts.  C'est surtout au comte de Frontenac, qui succédera à Courcelles en 1672, qu'incombera la tâche de mettre en place cette considérable organisation à travers le pays.  Pour ce faire, il s'inspira certainement de la milice garde-côte telle qu'elle existait en France à l'époque, car la milice canadienne offre beaucoup de parenté avec elle.

Il lui semble tout naturel, par exemple, d'utiliser la paroisse comme point de ralliement.  Chacune possédera donc sa propre compagnie de milice, et les plus populeuses en auront même plusieurs.  La composition de ces compagnies est exactement calquée sur celle des troupes régulières : à la tête, un capitaine, assisté d'un lieutenant et d'un enseigne, ensuite quelques sergents et caporaux, puis de simples soldats.  En tout, une cinquantaine d'hommes.

Chaque paroisse se trouve rattachée à l'un des trois districts gouvernementaux de la colonie : Québec, Trois-Rivières ou Montréal.  Dans chacun d'eux se trouve un état-major de milice comportant un colonel, un lieutenant-colonel et un major.  Le gouverneur du district détient le commandement supérieur, tandis que le gouverneur général du pays est en même temps le commandant suprême de toute la milice.  L'intendant peut, cependant, requérir les miliciens pour des causes civiles.

Tous les hommes en état de porter les armes, âgés de 16 à 60 ans, doivent faire partie de la compagnie de milice de leur paroisse et participer à ses activités, ce qui représente entre le cinquième et le quart de la population totale de la colonie.  Il y a environ 3 500 miliciens en 1710; on en compte 11 687 en 1750, et ils sont divisés en 165 compagnies commandées par 724 officiers et 498 sergents.  Seuls les religieux et les seigneurs sont exemptés de ce service, encore que ces derniers soient presque tous officiers dans les troupes régulières ou dans la milice.

 

Franc-tireur et voyageur endurci

Le colon français de la seconde moitié du XVIIe siècle était un homme qui, par son mode de vie même, avait développé de multiples habiletés.  L'ensemble de la population de la Nouvelle-France était alors groupé le long des rives du Saint-Laurent, où plusieurs possédaient des terres.  Il n'était pas rare de voir le cultivateur de l'été se métamorphoser en chasseur l'automne venu, puis s'adonner à quelque petit métier, peut-être à la trappe ou à la traite, durant l'hiver, ce qui l'obligeait à parcourir de grandes distances en raquettes, pour ensuite retourner à ses champs au printemps.  Sans parler des excursions de pêche qui lui fournissaient maintes occasions de s'entraîner au canotage !  Un observateur donne des Canadiens de cette époque la description suivante : ils sont « bien faits, agiles, vigoureux, jouissant d'une parfaite santé, capables de soutenir toutes sortes de fatigues... et belliqueux ... nés dans un pays de bon air, nourris de bonne nourriture et abondante... ils ont la liberté de s'exercer dès l'enfance à la pêche, à la chasse et dans les voyages en canot où il y a beaucoup d'exercices ».  Un autre ajoute que le « Canadien est très brave » et qu'il est plus habile à tirer du fusil « que tout autre au monde ».

Voilà qui annonce un type d'hommes possédant une aptitude exceptionnelle pour la guerre de raids !  On décèle pourtant chez les Canadiens une certaine réticence à participer aux activités militaires.  Frontenac note que, comparés aux soldats de métier, les miliciens ne veulent guère quitter leurs foyers et ne peuvent être très utiles pour les expéditions.  Mais ceci concerne la période paisible des années 1670.  Vingt-cinq ans plus tard, on constatera chez eux un changement d'attitude considérable, engendré par la guerre intermittente menée contre les Iroquois depuis le début des années 1680.  Aux côtés de leurs alliés amérindiens, les robustes Canadiens sont alors de tous les raids, et ces excursions militaires sont si pénibles qu'il « n'y a pas 300 hommes dans les troupes régulières capables de les suivre »

 

L'Acadie

Dans sa nouvelle politique coloniale, Louis XIV n'oublie pas l'Acadie.  Elle aussi recevra ses « soldats du Roy », mais il faudra d'abord attendre qu'elle soit rétrocédée à la France par le traité de Bréda, en 1667, car les miliciens du Massachusetts l'occupent depuis 1654.  La prise de possession effective n'a lieu que trois ans plus tard, en août 1670, quand le sieur de Grandfontaine, débarquant en Acadie en qualité de gouverneur, exige et obtient des Anglais la restitution de la colonie, conformément au traité.  Il est escorté d'une compagnie de 50 soldats dont il est le capitaine.  Celle-ci se trouve être la sixième du contingent de soldats de Carignan-Salières renvoyés en Nouvelle-France, et le sieur de Grandfontaine est lui-même un vétéran des campagnes de 1665 et 1666 contre les Iroquois.  C'est la première fois que des troupes royales sont envoyées en Acadie.

Tout comme les cinq compagnies affectées au Canada, celle de Grandfontaine est licenciée en 1671 et ses membres peuvent choisir de s'établir au pays.  La perspective semble leur plaire car plusieurs font déjà de la pêche et « presque tous les soldats se disposent à s'habituer et même à se marier, s'il leur vient des filles de France ».


Ils auront peu de temps pour le faire.  En 1672, Louis XIV déclare la guerre à la Hollande.  Deux ans plus tard, un corsaire battant pavillon de ce pays mouille dans les eaux acadiennes.  Aucun navire français n'assure la défense des côtes et celle des forts est faible également.  Les Français résistent de leur mieux, mais ne peuvent empêcher que Pentagoët et Jemsec ne soient pris et pillés.  Le capitaine Chambly, qui est alors gouverneur, et ses officiers sont fait prisonniers et emmenés à Boston.  Libérés peu après, sans doute en raison de la neutralité des Anglais dans le conflit franco-hollandais, ils retournent en Acadie, mais la colonie, n'ayant pas de troupes régulières ni encore de milice, est pratiquement sans défense, situation qui persistera tout au long des années 1680.

 

Plaisance, Terre-Neuve

Au milieu du XVIIe siècle, on ressent de plus en plus fortement, tant du côté anglais que français, le besoin d'avoir une base navale permanente à proximité des grands bancs de Terre-Neuve, afin que les morutiers puissent faire escale pour approvisionner leurs navires et trouver protection contre les navires ennemis.  En 1651, Olivier Cromwell, alors « Seigneur-Protecteur » de la Grande-Bretagne, nomme un gouverneur à St. John's, établissement situé dans la partie est de l'île.

Le havre de Plaisance, au sud-est de Terre-Neuve, déjà fréquenté par les pêcheurs français, sembla tout indiqué à la France de Louis XIV pour y établir sa propre base.  Une première colonie y fut fondée en 1660 et fut pourvue d'une petite garnison en 1662.  Mais bientôt les soldats se mutinèrent, assassinèrent le gouverneur, Du Perron, et pillèrent le fort avant de s'entre-tuer.  Les huit survivants tentèrent d'atteindre les établissements anglais, de sorte que, l'année suivante, lorsque les navires amenèrent de France une vingtaine de colons et de soldats, ils trouvèrent la colonie dévastée et le fort abandonné.  D'autres soldats arriveront en 1667, mais la garnison semble quasi inexistante par la suite.  C'est dans cet état que vivotera la base jusqu'à l'arrivée des troupes de la Marine, en 1687.

 

Une ère de progrès

La période marquée par l'envoi du régiment de Carignan-Salières apporta à la colonie française une paix que l'on désespérait de voir jamais se réaliser et donna un essor extraordinaire à la colonisation.  Elle a été l'une des plus déterminantes de l'histoire de la Nouvelle-France.  Le licenciement des troupes, s'il affaiblit la défense du pays, donna lieu à une autre initiative royale qui se révéla tout aussi profitable, la fondation d'une milice canadienne.  Sur ces acquis solides, qui permirent une première percée vers l'ouest et vers le sud, commença à prendre forme un rêve à la mesure de l'Amérique : la création d'un grand empire français.  Cependant, le contrôle de l'accès au continent par le Saint-Laurent, particulièrement en Acadie et à Terre-Neuve, demeura faible.  De plus, un autre ennemi pointait à l'horizon : les colonies britanniques, déjà populeuses et de plus en plus agressives.



01/01/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 5 autres membres