Histoires-du-Canada

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D'une guerre mondiale à une autre (1919-1943)

Le retour à la vie civile. Les anciens combattants rentrent au pays

Un soldat canadien à domicile, 1919. Les vétérans du Corps expéditionnaire canadien ont dû faire face à une réalité qui ne correspondait pas à ce regard idyllique du retour de ce soldat.

 

La guerre ne sera jamais tout à fait finie pour ceux qui l'ont vécue de près.  Plusieurs anciens combattants seront hantés le restant de leurs jours par de vieilles blessures physiques ou psychologiques.  Beaucoup mourront prématurément, d'autres se suicideront.
Le pays veut oublier la guerre et ceux qui l'ont faite.  Ces derniers, qui n'ont pas toujours apprécié ce qui se passait sur le front intérieur, refusent de parler de ce qu'ils ont vécu, qu'il s'agisse des pertes massives subies ou des actions individuelles ou collectives admirables dont ils ont été les témoins.  Parallèlement, ils en viendront peu à peu à idéaliser la camaraderie des tranchées et à appuyer les vertus civiques.  Parmi eux, le pacifisme aura facilement prise : comment ne pas les comprendre !

Une pension substantielle, la meilleure au monde, fait partie des avantages obtenus par les veuves et les orphelins de guerre, ainsi que par les grands handicapés.  Les hôpitaux pour anciens combattants se multiplient.  Mais, pour tous les autres, le gouvernement d'Union se montre mesquin, peu enclin à la générosité.  L'ancien combattant reçoit une petite somme d'argent dont l'importance dépend de la durée de son service, 35 $ pour l'achat de vêtements civils, et il obtient une année de soins médicaux gratuits.

Les gouvernants ont la hantise du déficit, d'autant plus que le pays sort de l'épreuve très endetté.  Ils ne veulent absolument pas encourager la dépendance et le manque d'initiative, disent-ils.  Parmi les mesures prévues, il y a une aide pour les anciens combattants qui veulent s'établir en tant que cultivateurs.  On leur donne des terres et on leur accorde des prêts à bas taux d'intérêt : en 1930, 50 pour cent de ceux qui auront choisi cette option auront tout perdu.
Peu de personnes ont prévu ce qui suivrait la fin des hostilités.  Un aumônier militaire presbytérien, Edmund Oliver, écrit dans Social Welfare, à l'automne 1918, que ceux qui vont revenir du front ne se contenteront plus de l'ancien ordre.  « Nous sommes aveugles si nous n'entrevoyons pas devant nous des bouleversements sociaux profonds et des ajustements politiques. » Oliver croit que les Églises canadiennes devront défendre les droits des anciens combattants en demandant, entre autres, qu'à leur retour on les éduque et on leur offre une formation professionnelle.

 

Inflation et chômage

Les hommes qui reviennent souhaitent des changements, mais lesquels ?  Chacun des grands débats socio-politico-économique de l'époque les divise.  L'élan du Corps d'armée canadien vient se briser contre la dure réalité du front intérieur trop souvent faite d'inflation et de chômage.  Le pays, qui devient plus urbain que rural et dont la classe ouvrière a énormément crû entre 1914 et 1919, est mal préparé à convertir son industrie de guerre.  Souvent, les usines d'armement se contentent de fermer leurs portes.  Au fil des années, face à une situation économique difficile, qui ne décolle vraiment qu'entre 1924 et 1930, et une société civile qui se durcit, on tentera de trouver des emplois aux plus démunis des démobilisés.

Une brisure politique interne s'est effectuée dès la Loi de conscription de 1917, suivie d'une élection truquée qui laisse le gouvernement d'Union dans un état de mort anticipé : beaucoup de régimes politiques ne survivront pas à cette guerre.  La gestion militaire, qui n'avait jamais été le point fort du Canada d'après 1867, n'allait pas s'améliorer soudainement au retour des troupes.  Lorsque Meighen remplace Borden, il ne fait que reprendre les problèmes là où son prédécesseur les a laissés.  Mackenzie King poursuivra dans cette voix même si, à force de pressions et de démonstrations, les anciens combattants verront lentement leur sort s'améliorer.  Leurs revendications serviront à leurs successeurs.

 

Indépendant et isoliationniste

Tambour, Princess Patricia's Canadian Light Infantry, 1924-1927. Le PPCLI a commencé à porter l'uniforme rouge à revêtements bleu pâle, dit gris français, en 1924. À cette époque, le voile du casque colonial était aussi bleu pâle, mais cela ne suivait pas les règlements et le régiment a dû commencer à porter le voile blanc en 1927. Finalement, le régiment a pu porter de nouveau le voile bleu pâle suite à la Seconde Guerre mondiale.

 

L'entre-deux-guerres militaire au Canada. La planification militaire entre les guerres

Tableau résumant l'état de la Défense dans l'entre-deux-guerres
Ce tableau fournit des renseignements portant sur les budgets, le personnel militaire, les navires de guerre et les aéronefs militaires de 1923 à 1939.

 

Le Canada est pris dans une dichotomie presque humoristique.  Les États-Unis, dans les années 1920, sans beaucoup se tromper sur le fond, perçoivent toujours le Canada comme une colonie britannique.  En conséquence, leurs plans de guerre prévoient qu'en cas de conflit armé avec la Grande-Bretagne, ils attaqueraient le Canada.  Pour sa part, le plan de défense nº 1 du Canada s'énonce ainsi : en cas de guerre anglo-américaine, les Canadiens s'empareraient de certaines régions des États-Unis.  Ce plan de défense secret sera écarté en 1926.

La période 1919-1939, du point de vue de la défense du Canada, est marquée par plusieurs réorganisations.  Les forces de défense du Canada retournent à leur rôle d'avant-guerre.  Elles sont peu nombreuses, avec un plafond total de 10 000 hommes pour les trois armées, chiffre qui ne sera jamais atteint jusqu'à l'entrée dans la Deuxième Guerre mondiale.  La période 1922-1935, marquée par une inflation galopante suivie d'une crise, voit les capacités financières du pays justifier les changements militaires.

En 1918, le Canada a un ministère de la Défense et de la Milice, un ministère de la Marine et une commission pour l'aviation.  En 1922, la Loi du ministère de la Défense nationale rassemble ces trois éléments.  Cette législation, qui cherche à entraîner des économies, entre en vigueur au début de 1923.  Comme suite à cet encadrement, on tente de fusionner les trois armées.  Le chef de l'état-major général devient chef d'état-major du ministère de la Défense nationale (CEMMDN) et, à ce titre, inspecteur des trois armées.  La Marine s'oppose à cet arrêté ministériel qui ne deviendra jamais exécutoire.  Le directeur du Service naval, membre du Conseil de la Défense (qui remplace celui de la Défense et de la Milice de 1904) devient chef de l'état-major de la flotte, en 1927 et le CEMMDN reprend son ancien titre.  Au sein du Conseil, se trouve également le directeur du Corps d'aviation royal canadien.

Les budgets de ce ministère remanié ne sont pas très imposants.  En 1924-1925, il est de 13,5 millions de dollars, et de 23,7 en 1930-1931.  Mais la crise entraîne des compressions et, en 1932-1933, l'effort budgétaire tombe à 14 millions.  Plus tard, certains fonds de chômage financent des constructions militaires, mais ils n'aident guère à l'efficacité de l'institution.  À compter de 1936, on entreprend un programme de réarmement qui arrive bien tard.  On accorde la priorité à la défense du territoire, en particulier aux côtes : en conséquence, on entreprend des travaux sur la côte ouest à compter de 1936-1937, mais ceux-ci ne sont pas terminés en septembre 1939 et la partie qui l'est s'avère peu utile.  Les armes installées en batteries sont souvent dépassées ou mal situées.  Les unités prévues ont des effectifs incomplets.  Les avions de patrouille et d'attaque sont presque inexistants.

 

La marine 1919-1939

Le Canada décide de se garder une marine et, à cet effet, il achète un croiseur léger, deux destroyers et deux sous-marins de la Grande-Bretagne.  Le Niobe et le Rainbow sont pour leur part envoyés à la ferraille.  En adoptant cette solution, le gouvernement d'Union, qui inclut plusieurs des Conservateurs de 1913, revient à la logique d'une marine nationale qu'avait préconisée Laurier.  Quant aux chefs de cette marine, ils cherchent des solutions qui, sur le plan du personnel et du matériel, leur permettront d'être plus actifs qu'ils ont pu l'être depuis 1910.  En 1939, la Marine aura plus de 1 800 marins professionnels.  Elle aura également créé, en 1923, la Réserve de la Marine royale du Canada, avec un effectif maximal de 500, et, plus tard, la Réserve volontaire de la Marine royale du Canada, qui ne dépassera pas un effectif de 1 500 avant 1939.  À compter des années 30, laborieusement, la Marine met en marche un programme de réarmement.  En 1931, elle acquiert deux destroyers récents de la Royal Navy, les NCSM Saguenay et Skeena.  Ces navires de 1 360 tonnes ont une vitesse maximale de 31 nœuds, un armement principal de quatre canons de 4,7 pouces et un équipage de 181 hommes.  À la fin des années 30, quatre destroyers similaires, le Fraser, le Saint-Laurent, le Restigouche et l'Ottawa, s'ajoutent aux deux précédents, en plus de l'Assiniboine, un peu plus gros que les précédents.

 

L’armée planifiée 1919-1939

Pour faire des recommandations sur ce que devrait être l'après-guerre pour l'Armée de terre, l'état-major général confie à une commission, dirigée par le major général Otter, la réorganisation de la Milice.  En ce qui concerne la force professionnelle, on conservera deux des nouveaux régiments apparus durant la Première Guerre mondiale, soit le PPCLI, et le Royal 22e Régiment.  Ainsi, le Corps d'armée canadien sera-t-il perpétué et, pour la première fois, les francophones auront-ils accès à une unité d'infanterie permanente de langue française.  Le RCR et les autres unités de la Milice permanente d'avant-guerre survivent également.  Mais toutes ont des effectifs réels moindres que les maximums approuvés.  Entre 1919 et 1939, le Canada ne disposera jamais d'une brigade d'infanterie prête au combat et ces unités de la Force régulière ne seront pas rattachées officiellement à des brigades de la Milice non permanente, ni aux forces prévues pour l'outremer en cas de conflit.  La première concentration de la Force permanente de l'après-guerre a lieu en 1936.

Quant à la Milice non permanente, on conclut qu'il lui faudrait 15 divisions (11 divisions d'infanterie et quatre divisions de cavalerie) pour assurer la défense du pays.  Un des débats ayant alors cours est de savoir si l'on gardera les bataillons numérotés de la Force expéditionnaire canadienne ou si on fera disparaître ces unités de combat au sein des unités de milice d'avant 1914.  Les anciens combattants désirent la survie des unités de 1914-1918 qui maintiendraient les liens avec le Corps d'armée commandé par Currie et serviraient bien le recrutement.  Mais, bien appuyés par une panoplie de politiciens, ce sont les régiments de milice qui survivent.  Ils recevront toutefois les honneurs de guerre et les récentes traditions des bataillons numérotés auxquels chaque unité de milice a le plus contribué.

 

La réduction de la milice

Après la disparition du plan de défense nº 1, les 15 divisions du début des années 1920 sont jugées trop coûteuses et doivent faire place à six divisions d'infanterie et une division de cavalerie, ce qui correspond plus ou moins à la force maximale que le Canada pourrait fournir lors d'une prochaine guerre.  Quant aux unités et sous-unités de service ou d'artillerie, elles ne sont allouées à aucune des brigades de ces formations.  Le chef de l'état-major général tente de vendre ce projet de réduction, au tournant des années 1930, en disant qu'avec moins d'unités (la majorité de celles qui existent ne parvenant pas, tout comme avant 1914, à remplir ses cadres), on pourra mieux entraîner et équiper les unités en place.  Il ne réussira qu'en 1933 et par un artifice : la réduction devient politiquement acceptable une fois placée à l'intérieur de la contribution canadienne aux pourparlers de désarmement de Genève.  Cela dit, les 15 divisions étaient des tigres de papier.

En 1936 donc, l'ordre de bataille de la milice, tel qu'il était constitué en 1920, a diminué de plus de la moitié et plusieurs régiments ont disparu pour de bon ou ont été amalgamés à d'autres.  Certains changent aussi de rôles, reflétant ainsi l'avancée technologique.  Des fantassins deviennent artilleurs ou membres d'unités dites « blindées » (le Corps blindé n'apparaîtra qu'en 1940).  La réorganisation de 1936 est largement faite sans rancœurs ou protestations, car on a assuré aux défenseurs de la Milice non permanente que les unités survivantes auraient de vrais rôles dans une éventuelle mobilisation.  Dans les faits, l'état-major général tiendra sa promesse : lors de la mobilisation de 1939, la Milice non permanente sera à la base du recrutement des volontaires pour l'outremer et des conscrits pour la défense territoriale, contrairement à ce qui s'était passé en 1914.  Par ailleurs, en 1939, on attendra encore le nouveau matériel promis au moment de la réorganisation.  Le cheval a disparu, mais les unités de cavalerie n'ont presque pas de chars.  Les unités dites motorisées de la Milice active non-permanente n'ont pas de véhicules.

 

La force aérienne de 1919-1939

Hydravion Vickers Vedette, Aviation royale du Canada, vers la fin des années 1920. Cet hydravion fut le premier aéronef commercial construit selon des spécifications canadiennes afin d’affronter les conditions propres au pays. L’Aviation royale du Canada avait besoin d’un avion pouvant faire des relevés topographiques et la surveillance des incendies de forêt. L’avionnerie Canadian Vickers de Montréal proposa le Vedette de conception britannique avec quelques ajustements pour le Canada et l’ARC fit l’acquisition de 44 hydravions qui entrèrent en service en 1925. Ces engins furent très utilisés dans les régions sauvages du pays, assurant les communications avec les petites communautés isolées et faisant des levés aérophotogrammétriques pour la préparation des cartes de la Commission géologique du Canada.

 

Le Canada de nouveau en guerre

Le monde continue pourtant sa route inexorable vers la catastrophe.  Le 25 août 1939, le pacte de non-agression germano-soviétique est signé.  Aussitôt, le Canada prend des mesures de pré-mobilisation, incluant la protection de points stratégiques, avec deux divisions incomplètes de troupes auxiliaires.  Le ler septembre, la Pologne est envahie par l'Allemagne.  Le 3 septembre, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l'Allemagne, suivies par le Canada, le 10 : mais, déjà, le 4 septembre, 303 Allemands qui séjournaient au Canada sont arrêtés.  Le manque de préparation flagrant du pays ne l'empêchera pas, comme on le constatera, de participer de façon appréciable à l'écrasement des forces de l'Axe.

Le recensement national de juin 1941 compte 115 06 655 Canadiens, ce qui est environ quatre fois moins que la population britannique et douze fois moins que la population américaine.  En 1939, après quelques années d'une très lente reprise économique consécutive à la grande dépression, le Canada a 530 000 chômeurs.  Deux ans plus tard, ce nombre a baissé à 200 000, le PNB a augmenté de 47 pour cent, la production de fer et d'acier a doublé et le Canada a repris sa marche sur la route de l'industrialisation.  En 1941, les fabrications militaires tiennent une grande place : blindés légers et cellules d'avions (sans les moteurs, dans les deux cas), munitions, corvettes et frégates.  Le Canada qui a multiplié par six ses rentrées d'argent en moins de deux ans, peut couvrir 70 pour cent de ses dépenses de guerre à partir de ses revenus courants.  Ce résultat tient en grande partie à l'augmentation des impôts personnels et des taxes des corporations, rendue possible par une entente avec les provinces qui devait se terminer un an après la fin de la guerre.  Cette ponction fiscale fédérale a d'autres effets : elle réduit le pouvoir d'achat, contrôle en partie la concurrence ainsi que la flambée des prix, deux secteurs qui sont de plus réglementés par la Commission du commerce et des prix en temps de guerre.  L'effort financier canadien sera également important et prendra diverses facettes : prêts sans intérêts et dons de sommes importantes à la Grande-Bretagne, ainsi que des déboursés de guerre qui, en 1945, totaliseront 21 786 077 519 $, hors les services médicaux et les pensions d'invalidité fournis aux anciens combattants.

Sur la scène internationale, le Canada joue un rôle, mais très modeste.  Il est absent du Comité des chefs d'état-major et oublié lorsque la Déclaration des Nations unies est proclamée.  Deux grandes réunions stratégiques, auxquelles participent Roosevelt et Churchill, ont bien eu lieu à Québec (août 1943 et septembre 1944), mais le Premier ministre du Canada évite de prendre part aux discussions.  Cependant, des Canadiens en viendront à faire partie de grands comités alliés (ceux des munitions, du transport et des richesses naturelles).

Sans entrer dans les détails, soulignons que c'est durant les années 1939-1945 que la base du système social que nous connaissons aujourd'hui s'élargit avec l'arrivée de l'assurance-chômage et des allocations familiales.  Les Canadiens n'ont généralement pas conscience que la société dans laquelle ils vivent actuellement a été considérablement façonnée par les années 1939-1945.

 

La mobilisation au Canada

Après avoir déclaré la guerre à l'Allemagne, notre pays s'installe lui aussi dans la drôle de guerre.  La base de Valcartier est remise à contribution.  Contrairement à 1914-1918, elle fonctionnera toute l'année comme centre de mobilisation et d'instruction des unités du 5e District militaire, et centre d'instruction de l'infanterie en général.  Entre 1933 et 1936, grâce au programme de secours aux hommes sans travail, les infrastructures ont été très améliorées.  De 1939 à 1946, on y construira de nombreux bâtiments « temporaires » qui dureront souvent plus de 30 ans.

Dès le désastre de Dunkerque, en juin 1940, le Canada vote la Loi de la mobilisation des ressources nationales qui apportera, entre autres choses, 98 000 conscrits pour la défense territoriale.  En ce qui concerne l'outremer, la décision de 1939 de n'y employer que des volontaires est maintenue.  Disons tout de suite que 64 000 conscrits se porteront volontaires pour les combats dont plus de 58 000 dans l'Armée de terre.

Entre 1939 et 1945, plus d'un million d'hommes et de femmes auront porté l'uniforme, soit environ un habitant sur douze.  Durant les six années de guerre, 41 pour cent des hommes de 18 à 45 ans ont servi, d'une façon ou d'une autre, dans les Forces armées canadiennes.  À la suite de la défaite de l'Allemagne, le Canada est la quatrième puissance militaire après les États-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne.  Dans quelques domaines, comme certains types de navires marchands ou le caoutchouc synthétique, la production canadienne est proportionnellement supérieure à celle des États-Unis.  Un engagement militaire d'une telle amplitude a encore des répercussions de nos jours.  Ainsi, il reste environ 400 000 anciens combattants canadiens.  La vaste majorité d'entre eux est issue de la Deuxième Guerre mondiale, dont des dizaines de milliers de mutilés.  Un Canadien sur trois de plus de 65 ans était un vétéran en 1994.

 

L’armée de terre jusqu’en 1942. Une armée en guerre

Soldat en tenue de combat d'hiver, 1943.  L'entraînement de combat d'hiver a eu lieu dans le Parc national du Canada Yoho. En dépit de quelques années d'entraînement et d'organisation pour la possibilité d'une campagne en Norvège, l'opération n'a jamais eu lieu. La coupe de l'uniforme d'hiver illustrée dans cette photographie de 1943 a été adoptée pour la patrouille dans le saillant de Nimègue pendant l'impasse là de novembre 1944 à février 1945.

 

Au maximum de ses effectifs de combat, en 1943, l'Armée de terre dispose de cinq divisions : trois d'infanterie et deux de blindés en plus de deux brigades blindées indépendantes.  La 1re Division est arrivée en Angleterre en décembre 1939, sous la conduite du major général A. McNaughton qui sera plus tard promu pour devenir commandant de la 1re Armée canadienne.  En mai 1940, la 2e Division, d'abord prévue pour la défense territoriale, part pour le Royaume-Uni et on annonce la formation de la 3e Division.  Le danger est devenu très présent.

Ceux qui ont vécu ce début de guerre se rappellent que, souvent, les volontaires n'avaient pas d'uniformes, pas de bottes, pas de manteaux d'hiver, peu ou pas de matériel de campagne.  Nous savons déjà que l'armement était déficient.  Encore une fois, le Canada doit initialement compter sur sa mère patrie.

La division d'infanterie de la Deuxième Guerre mondiale compte en principe 18 376 hommes.  Le cœur de cette formation est constitué de 8 148 fantassins qui représentent 44,3 pour cent des effectifs soit la plus basse proportion pour cette catégorie parmi les divisions d'infanterie alliées et ennemies.  Les autres membres de la division se retrouvent dans l'artillerie de campagne (2 122) ; l'intendance (1296) ; les ingénieurs (959) ; le service médical (945) ; les techniciens et artisans en électricité et mécanique (784) ; les signaleurs (743) ; le groupe antichar (721), plus une panoplie d'autres petits groupes de spécialistes.  Lorsque les 7 400 premiers hommes de la 1re Division arrivent en Angleterre, en décembre 1939, ils retrouvent le froid et la pluie de la plaine de Salisbury qu'avaient connus leurs prédécesseurs de 1914.  La division ne sera au complet qu'en février 1940.  Les chefs, qui veulent véritablement contribuer à la victoire, seront servis.  Leur volonté de voir leur pays être reconnu comme l'une des puissances militaires alliées leur sera toutefois déniée par les autorités politiques nationales qui refusent de participer aux réunions stratégiques de haut niveau.

 

Morceaux d'une torpille allemande trouvée sur une plage à Saint-Yvon près de Gaspé en 1942.  Suite à l'implication des Américains dans la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs sous-marins allemands ont été envoyé au large de l'Amérique du Nord en 1942. Au cours de 1942, les Allemands ont coulé vingt-quatre navires dans le golfe du Saint-Laurent. Grâce à des améliorations dans l'entraînement et une percée dans le déchiffrement des codes allemands qui a donné un avantage aux Alliés, la crise s'est terminée en septembre 1943.

 

Jusqu'à 1943, l'Armée canadienne est engagée dans plusieurs actions pas toutes glorieuses.  Les 12 et 13 juin 1940, des éléments de la 1re Brigade (artillerie et logistique) pénètrent en Bretagne et avancent vers Laval et Le Mans.  Devant la progression allemande irrésistible, ils reçoivent l'ordre de revenir.  Le 17 juin, ils rembarquent avec leurs canons et une partie de l'équipement, le reste étant détruit.  Le réduit breton ne sera pas défendu.  La 1re Division canadienne sera cependant la seule qui, durant de longs mois après Dunkerque, aura suffisamment d'équipement pour s'opposer sur les plages anglaises du sud-est à une éventuelle invasion allemande : telle sera d'ailleurs sa mission. En juin 1940, 2 500 hommes de la 2e Division sont envoyés en Islande, point important de contrôle de l'Atlantique Nord.  La vie du soldat y est dure et ennuyeuse, mais aucun combat n'a lieu.  En octobre suivant, ces hommes rejoignent leurs compagnons en Grande-Bretagne sauf ceux du Cameron Highlanders, qui resteront en Islande jusqu'au printemps 1941.

 

La menace dans le Pacifique

 

 

Fantassin canadien, Hong-Kong, décembre 1941. Lorsque les relations avec les japonais s'empirent, les Britanniques demandent des renforcements pour la garnison à Hong Kong. Le gouvernement du Canada envoie deux régiments : le Royal Rifles of Canada de Montréal, Québec, et le Winnipeg Grenadiers du Manitoba. Les deux unités était classées 'inapte pour le combat' par le Ministère de la défense nationale à cause de leur manque d'entraînement, mais les japonais n'étaient pas considérés une menace. Les Canadiens ont été dotés d'un équipement tropical et ils sont arrivés seulement six semaines avant que la guerre se déclenche dans le Pacifique. Les hommes ont été courageux mais ils étaient accablés par la puissance des japonais.

 

En septembre 1940, l'Allemagne, l'Italie et le Japon signent un pacte.  Durant plus d'un an, le Japon reste coi.  Puis, le 7 décembre 1941, il attaque les États-Unis à Pearl Harbor.  Dans les heures et jours qui suivent, une série d'objectifs sont visés dans le Pacifique, dont la colonie britannique de Hong Kong, où viennent à peine d'arriver deux bataillons canadiens et un quartier général de brigade, en tout 1 973 hommes et deux infirmières, commandés par le brigadier J.K. Lawson.

Depuis le début des années 1920, le plan de défense no 2 du Canada prévoit ce qu'il faudrait faire en cas d'attaque par le Japon.  En 1930, cela se transforme en dispositions à prendre pour protéger le territoire canadien en cas de guerre entre les États-Unis et le Japon.  À la suite de l'attaque contre Pearl Harbor, le Canada entre en guerre contre le Japon dès le 7 décembre, 24 heures avant les États-Unis et le Royaume-Uni.  Comme on le sait déjà, la côte du Pacifique est mal préparée.  En 1939, le Canada y a huit avions, tous désuets, sans armes, parfois sans radio et au rayon d'action problématique.  En 1941, cet état des choses n'a guère changé.  Par ailleurs, les unités antiaériennes et l'artillerie côtière sont insuffisantes : dans ce dernier cas, l'élévation possible des canons limite la portée du tir.  Environ 10 000 hommes de l'Armée de terre sont dispersés le long de la côte.  Certains voudront sans doute trouver une consolation dans le fait que la côte nord-ouest des États-Unis est à ce stade plus mal défendue que la canadienne.  En 1942, des radars commencent à y être installés.

Toujours est-il que l'intérêt du Canada pour le Pacifique, mais surtout sa subordination aux intérêts britanniques, l'a amené à promettre, à l'automne 1941, deux bataillons pour renforcer la garnison de Hong Kong.  Le départ de cette force se fait de Vancouver, le 27 octobre 1941, sur l'Awatea et le Prince Robert.  À la fin de novembre, les troupes arrivent à Hong Kong.  Peu entraînés, ces volontaires ont à peine le temps de prendre leurs positions que le Japon passe à l'attaque.  La situation est perdue d'avance.  Le brigadier Lawson est tué le 19 décembre en défendant son quartier général : ce vétéran de la Première Guerre mondiale a le triste honneur d'être le premier officier canadien de ce grade à mourir au combat au cours de la Deuxième Guerre mondiale.  Le 25 décembre, tout est fini.  Au total, 557 hommes mourront, dont près de la moitié dans les camps japonais.  Le sergent John Osborne, du Winnipeg Grenadiers, recevra la Croix de Victoria à titre posthume, après la guerre, pour avoir sauvé la vie de camarades en se jetant sur une grenade.

Les choses ne s'arrêtent pas là.  Les Japonais, en effet, s'approchent du continent par les Aléoutiennes.  Les 6 et 7 juin 1942, les îles Attu et Kiska tombent entre leurs mains.  Plus tard, un de leurs sous-marins tire contre la station de télégraphie et le phare de la pointe d'Estevan, en Colombie-Britannique, sans causer de dommages sérieux.

La réaction canadienne s'organise vite.  L'armée de la côte du Pacifique prend de l'ampleur ainsi que son budget.  L'aviation fait passer son nombre d'escadrons à 36, avec des appareils plus modernes.  Jusqu'à un certain point, les politiciens cèdent ici aux exigences des habitants de la Colombie-Britannique, face à une menace d'invasion peu plausible étant donné les engagements militaires nippons dispersés dans leur vaste sphère d'influence et même au-delà de celle-ci.

La situation des Nippo-Canadiens est précaire depuis l'ouverture du conflit.  Ils sont mal intégrés et mal acceptés par la population locale.  L'armée a décidé de ne pas les utiliser ainsi que les Asiatiques d'origine chinoise.  Après Pearl Harbor, des manifestations anti-japonaises deviennent possibles en Colombie-Britannique.  Pour éviter toute provocation, des écoles et des journaux de langue japonaise sont fermés volontairement.  Après la défaite à Hong Kong, la passion populaire se déchaîne.  On demande l'internement de ces Japonais locaux qui pourraient former une cinquième colonne.  Localement, journalistes et politiciens rivalisent de zèle pour démontrer le danger et les conséquences de l'immobilisme en la matière.  Au bout de quelques semaines, le gouvernement fédéral cède et annonce, le 27 février, l'évacuation de toutes les personnes d'origine japonaise de la côte Ouest.  Les 22 000 personnes concernées seront déracinés, et leurs biens vendus.  Ce cas de discrimination flagrante et injustifiée - les études des militaires concluaient en l'absence de danger - ne rehausse pas le profil moral du Canada, officiellement en guerre pour écraser les injustices de ce type.

 

Le désastre de dieppe 1942

Mais la descente aux enfers du Canada n'est pas terminée.  En effet, le 19 août 1942, c'est le désastre de Dieppe.  Dans ce raid d'envergure, mal planifié, qui n'aurait jamais dû avoir lieu, peu importe les raisons avec lesquelles on l'a justifié après coup, les Canadiens subissent en moins de cinq heures d'une bataille impossible, 68 pour cent de pertes, incluant 907 morts.

Il faut dire qu'au moment de Dieppe, plusieurs de nos volontaires, de nos politiciens et de nos médias se plaignent du fait que nos troupes d'outre-mer soient demeurées en Angleterre, pendant qu'Anglais, Australiens, Néo-Zélandais, Américains et une panoplie d'autres alliés étaient engagés partout dans le monde.  Bien que la marine japonaise ait déjà subi quelques revers d'importance, la situation n'est pas particulièrement rose pour les pays engagés contre l'Axe.  Pour leur part, Américains et Soviétiques poussent pour l'ouverture d'un deuxième front sur le continent européen, où seuls les Soviétiques se battent.  Plusieurs raisons, dont le manque d'équipement et d'hommes, militent contre ce projet.  Mais les raids, parfois lourds, sont à la mode.  On en prévoit un, contre Dieppe, pour juin 1942, avec l'équivalent d'environ deux brigades de la 2e Division canadienne.  Pour diverses raisons, ce projet est abandonné et les unités concernées retournent, déçues, dans leurs casernes.

Environ deux mois plus tard, le même raid est soudainement réactivé : il aura lieu le 19 août 1942.  Le plan est très complexe et sa réalisation dépend d'un minutage précis de toutes les phases.  Malheureusement, le renseignement sur l'ennemi est inadéquat ; on n'a pas tenu compte des inévitables problèmes qui peuvent survenir ; l'appui-feu aux troupes engagées au sol est très déficient aussi bien de la part de la marine que de l'aviation.  Quant à la surprise, elle n'a aucun succès à peu près partout sur les différentes plages de débarquement.  Par hasard, une unité allemande de défense côtière est en exercice cette nuit-là et peut sonner l'alarme très tôt.

Bien que toute la planification soit britannique, les exécutants canadiens, en partie emportés par leur enthousiasme d'un premier combat, n'en font pas une critique sérieuse.  Seule une grossière incompétence allemande aurait pu changer le cours des choses.  Il y a 4 963 Canadiens engagés dans le raid qui commence mal, car les débarquements prévus se font rarement à l'endroit et au moment voulus.  Des 2 210 qui reviendront en Grande-Bretagne, seulement 336 sont indemnes.  Toutes les unités (six régiments d'infanterie, un de blindé, puis des centaines d'hommes du génie, du Corps de santé, de l'artillerie et d'un régiment de mitrailleuses moyennes) subissent des pertes.  Dominés à peu près partout face à des falaises imprenables et en l'absence d'une artillerie massive et d'une force aérienne bien utilisée, les hommes glissent vers la mort (907, plus de 18 pour cent des effectifs), les blessures (2 460 ou à peu près 50 pour cent) ou les geôles (1 874, ou 37 pour cent, incluant 568 blessés).  En tout et pour tout, les Alliés (Canadiens, Britanniques et quelques Américains) ont subi 4 350 pertes (3 610 dans l'armée, 550 dans la marine et 190 dans l'aviation).  Quant aux Allemands, ils s'en tirent avec 591 pertes (316 dans l'armée, 113 dans la marine et 162 dans l'aviation).

Le calvaire des prisonniers canadiens du raid n'est pas terminé.  Parmi les papiers récupérés à leurs ennemis, les Allemands découvrent que les Canadiens prévoyaient enchaîner leurs éventuels prisonniers, en vue d'en faciliter le contrôle durant l'opération, ce qui contrevient aux lois de la guerre.  Aussitôt, ils mettent aux chaînes nos propres prisonniers : pour certains, cette humiliation durera 18 mois.  Au Canada, on agira de la même façon durant quelques mois avec des prisonniers de guerre allemands.  En décembre 1942, on abandonnera cette méthode qui, encore une fois, nous rapproche beaucoup trop de l'hydre que nous cherchons à abattre.

 

L'aviation jusqu'en 1942. L'expansion de l'ARC et le Programme d'entraînement aérien du Commonwealth

Avion de reconnaissance Westland Lysander IIIa. Le solide avion Westland Lysander fut conçu pour accomplir des reconnaissances à basse altitude et guider le tir des artilleurs. Il était capable de décoller et d’atterrir sur des petites pistes. Bien qu’il prenne son envol en 1936, le Lysander était déclassé quand la guerre se déclara trois ans plus tard. Entre-temps, on commença à fabriquer des Lysander II sous licence au Canada en 1938 à Malton (sur le site de l’actuel aéroport international Pearson à Toronto). La première escadrille de l’Aviation royale du Canada envoyée en Grande-Bretagne au début de 1940 en était équipée. Les Lysander IIIa produits plus tard — tels que celui illustré et conservé au Musée canadien de l’aviation —  étant  surtout utilisés pour tirer des cibles pour l’entraînement de l’artillerie anti-aérienne.

 

Après juin 1940, l'aviation britannique joue un rôle primordial dans la guerre.  Jusqu'à l'automne 1940, le Canada n'essaie pas de faire identifier ses milliers d'aviateurs servant dans la Royal Air Force.  Par la suite, quelques dizaines d'escadrons seront marqués aux couleurs canadiennes.  Cette façade ne peut guère cacher plusieurs faits : 60 pour cent des aviateurs canadiens servent dans la RAF, et ils composent 25 pour cent des effectifs du British Bomber Command.  Les activités des quelques unités aériennes canadiennes sont contrôlées par les Britanniques qui leur fournissent la plupart de leurs équipes au sol et même une partie de leur personnel volant.

L'effort aérien canadien serait incomplet si l'on ne mentionnait pas le Plan d'entraînement aérien du Commonwealth britannique, mis en application au Canada, et grâce auquel 131 000 membres d'équipages alliés, dont 73 000 Canadiens, ont été formés avant d'entrer en action.  En prévision de la guerre imminente, la Grande-Bretagne avait essayé, à l'été 1939, de relancer sur une base plus large le plan d'entraînement de pilotes au Canada qui avait connu un bon succès durant la Première Guerre mondiale.  Mackenzie King en avait repoussé l'idée.  Après le déclenchement des hostilités, ce projet refait surface et le premier ministre canadien y trouve désormais des avantages.  En effet, ce serait une participation importante à l'effort de guerre, tout en étant peu coûteuse en vies humaines.  La hantise de Mackenzie King est que cette guerre entraîne une conscription qui diviserait encore une fois le pays.

 

Bombardier Bristol Bolingbroke IVT. Ce bimoteur était une version canadienne du bombardier léger britannique Bristol Blenheim. Le nom de Bolingbrooke fut donné à la version du Blenheim Mk. IV construite au Canada. Plus de 600 furent produits par l’avionnerie Fairchild à Longueuil, au Québec, à compter de 1939. Le Bolingbrooke fut le premier avion moderne fait en aluminium construit au Canada mais, avant même que le premier exemplaire prit son envol, il était déjà déclassé. On s’en servit néanmoins, faute de mieux. En juillet 1942, un Bollingbrooke contribua à couler un sous-marin japonais au large des côtes de la Colombie-Britannique. La photo montre un Bollingbroke Mk IVT dans la collection du Musée canadien de l’aviation. 457 MK IVT furent construits et utilisés pour l’entraînement des navigateurs et des artilleurs.


En décembre 1939 donc, le Plan d'entraînement aérien du Commonwealth sera signé.  Le Canada paiera une bonne partie des frais ainsi encourus.  Les équipages canadiens produits par le Plan serviront en Grande-Bretagne.  Les premiers diplômés du Plan seront prêts vers la fin de 1940, année où l'on commencera à discuter de la mise en application d'un des articles du protocole d'entente, celui disant que des escadrons d'outre-mer seront identifiés clairement comme canadiens.  À la fin de 1942, le Plan a 107 écoles au Canada, la plupart ayant nécessité la construction d'infrastructures nouvelles qui donneront naissance aux grands aéroports du Canada contemporain.

Toutefois, durant cette guerre, notre pays ne contrôlera pas le travail de ses propres escadrons qui ne disposeront pas d'équipages au sol à majorité canadienne.  Lors de la bataille aérienne du 19 août 1942, qui a lieu au-dessus de Dieppe et qui est presque indépendante de ce qui se passe au sol, huit escadrons de chasse canadiens sont impliqués sans même l'aval des officiers supérieurs de l'air canadiens affectés en Grande-Bretagne.  On oublie souvent de mentionner que le raid de Dieppe a été une occasion, pour la RAF, de provoquer le plus important combat aérien au-dessus du continent européen.  Bien que les pertes en appareils aient été de deux contre un en faveur des Allemands, ceux-ci ne parviennent plus à bâtir autant d'avions qu'ils en perdent, alors que les Alliés peuvent facilement combler leurs pertes.
Du côté de l'aviation, le Canada cherche son identité durant toute la guerre.  Sa participation significative dans ce domaine sera plus ou moins diluée à l'intérieur du grand ensemble du Commonwealth.

 

La marine jusqu’en 1942. L'expansion de la Marine et la menace des sous-marins

 

 

Matelot ordinaire, Women's Royal Canadian Naval Service, 1942-1946. Membre du service féminin de la marine canadienne, le Royal Canadian Women's Naval Service, formé en 1942 et qui compta quelque 4 300 femmes. L'élégante tenue d'été bleu ciel illustrée ici distinguait les Canadiennes des Britanniques et des Américaines qui portaient le blanc. La tenue d'hiver bleu foncé était identique à celle portée par le British Royal Navy, le service féminin de la marine britannique. Le WRCNS a aussi adopté le surnom "Wrens" de leurs homologues britanniques, c'est-à-dire, le Women's Royal Naval Service.

 

 

 

La marine est la plus petite des armées canadiennes, mais certainement pas la moins importante par les services rendus.  Durant la Première Guerre mondiale déjà, des sous-marins avaient menacé les côtes canadiennes et le commerce maritime sans que la marine britannique, stationnée dans les eaux européennes, ne puisse y faire quoi que ce soit.  Le 11 novembre 1916, l'Amirauté avait signalé au Canada qu'il devait lui-même accroître ses patrouilles navales côtières.  Les Canadiens, de façon on ne peut plus claire, venaient de se faire dire de ne plus compter sur les Britanniques pour leur défense maritime.

 

La Première Guerre mondiale a rapproché certains points de vue.  Une marine totalement canadienne est plus attrayante aux yeux des Canadiens français que les dons d'argent désirés par les Conservateurs d'avant 1914.  Quant aux Canadiens anglais, leur identité s'est développée et l'idée d'une marine nationale est devenue une nécessité.  La petite marine canadienne d'après 1920 rappelle celle de Laurier de 1910, mais aussi les nombreux plans précédents que nous avons survolés.  En 1939, notre marine possède quatre destroyers (contre-torpilleurs) opérationnels qui passent en Grande-Bretagne.  À la suite de l'entente américano-britannique qui, en 1940, donne aux Britanniques 50 vieux destroyers américains, en échange de bases à installer à Terre-Neuve et dans les Antilles, six autres destroyers sont pris en charge par le Canada.  Mais ceux-ci datent de la Première Guerre mondiale et sont plus ou moins fiables.  L'un d'entre eux, rebaptisé NCSM Ste-Croix, doit revenir à Halifax lors de sa première sortie en route vers les eaux britanniques : la mer est trop rude pour ce navire dont la structure au-dessus de sa ligne de flottaison est trop lourde.

 

 

Officier, Marine royale du Canada, 1940-1945. Avec son duffel-coat et les jumelles en main, cet officier porte la tenue pour prendre le quart. On ne peut pas savoir son grade car tous les insignes son couverts, ni si il fait partie de la Marine royale du Canada ou de la Réserve des Volontaires de la Marine royale canadienne.

 

En juin 1941, les 10 destroyers reviennent au Canada et s'ajoutent aux corvettes construites sur place pour accompagner, tout en les protégeant, les convois de ravitaillement reliant l'Amérique du Nord à l'Angleterre.  Ce service armé canadien qui, encore aujourd'hui, est sans doute le plus britannique des trois, est pourtant le seul qui, durant la guerre et malgré les nombreuses vicissitudes qu'il rencontrera, obtiendra un commandement autonome.  Cette marine, mal équipée au début et dépourvue d'équipages d'expérience, sera lancée dans une guerre anti-sous-marine qui, dans un premier temps, aura peu de succès.

Les Allemands se sont mis à augmenter leur flotte d’U-boot durant la dernière année précédant l'entrée en guerre.  À l'ouverture du conflit, ni la Grande-Bretagne ni le Canada ne sont prêts à faire face à cette menace.  De fait, le lendemain de la déclaration de guerre anglaise, le paquebot Athenia, en partance de Liverpool pour Montréal, est coulé par un sous-marin allemand, sans avertissement, à 400 kilomètres à l'ouest de l'Irlande : cela rappelle le triste sort subi par le Lusitania durant la Première Guerre mondiale.  Or, il apparaît évident, surtout après juin 1940, que la reconquête du continent européen reposera largement sur le lien vital transatlantique qui permettra de réunir, en Angleterre, les hommes et le matériel nécessaires à d'éventuels débarquements.

 

Hydravion Short Sunderland Mk. I de la Royal Air Force, 1940. Cet aéronef fut conçu avant la guerre par l’avionnerie Short Brothers comme l’hydravion postal transatlantique « S.23 ». De 1939 à 1945, ce grand quadrimoteur fut utilisé pour les missions de reconnaissance lointaines et contre les sous-marins par la Royal Air Force. Le Sunderland était très bien armé et capable de se défendre efficacement contre les chasseurs ennemis ou de couler des sous-marins. L’Aviation royale du Canada eut deux escadrilles équipées d’hydravions Sunderland Mk. II et Mk. III. Il s’agissait des escadrilles de reconnaissance 422 et 423 qui faisaient partie du commandement côtier de la Royal Air Force; ils coulèrent sept sous-marins ennemis.


Bien que l'on se soit préparé en fonction d'une guerre de surface, l'expérience des convois acquise quelque 25 ans plus tôt n'a pas été perdue.  Entre-temps, les Allemands ont pour leur part amélioré leurs sous-marins et, après avoir conquis la côte atlantique française, ils deviennent très dangereux.  Leurs sous-marins ont un long rayon d'action (plus de 10 000 kilomètres, pour les moins performants) une vitesse en surface entre 17 et 19 nœuds (alors que les convois font de 8 à 12 nœuds), une possibilité d'immersion de 24 heures et de bonnes communications avec leur quartier général en Europe.  Peu à peu, les Allemands développent la tactique de la meute : un sous-marin repère un convoi et rameute ses collègues des environs avant de passer à l'attaque, généralement dans un secteur de l'Atlantique Nord qu'aucun avion de patrouille ne peut couvrir au cours des premières années de guerre.  La constitution des stocks stratégiques en Grande-Bretagne est mise en péril.
Pour les marins canadiens, les choses ne vont pas très bien.  Le NCSM Fraser est coupé en deux par le Calcutta britannique, le 25 juin 1940, dans l'estuaire de la Gironde : 47 morts.  Plus tard, c'est au tour du NCSM Margaree, en patrouille à l'ouest de l'Irlande, de subir le même sort de la part d'un navire marchand 142 morts.  Par ailleurs, le 6 novembre 1940, le NCSM Ottawa participe à la destruction d'un sous-marin italien.

 

Terre-Neuve et la bataille de l’Atlantique

Au début de la guerre, les Allemands cherchent leurs cibles dans les eaux européennes, très rarement dans les eaux terre-neuviennes qui sont sous la responsabilité canadienne.  Entre septembre 1939 et octobre 1941, ils coulent 164 navires marchands au service des Alliés, mais seulement sept de ceux-ci faisaient partie de convois.

En août 1941, une rencontre dans la baie de Placentia, à Terre-Neuve, entre le premier ministre britannique, Winston Churchill, et le président américain, Franklin Delano Roosevelt, amène les États-Unis à accepter de participer à la protection des navires marchands naviguant dans l'Atlantique Ouest.  Jusque-là, les Américains avaient assuré la sécurité navale le long des côtes, les Canadiens allant en mer, à l'est de Terre-Neuve ; les deux autres segments de la route des convois étaient entre Terre-Neuve et l'Islande, et l'Islande et la Grande-Bretagne.  Du coup, la petite marine canadienne tombe sous commandement américain.  Lorsque les Américains vont en haute mer, ils accompagnent les convois les plus rapides et sont donc moins faciles à atteindre par les Allemands.

À la suite de la guerre avec le Japon, les États-Unis transfèrent une bonne partie de leur flotte de l'Atlantique vers le Pacifique.  À l'automne 1942, les Américains ne fournissent plus que deux pour cent des unités de protection des convois transatlantiques, bien que le commandement de la zone reste entre leurs mains.
Vers juin 1942, environ la moitié des navires escorteurs et le quart des patrouilles aériennes des côtes au nord de New York sont canadiens.  Comme les États-Unis ne protègent presque plus leur côte atlantique, les Allemands y frappent leur commerce de plein fouet.  Le Canada doit envoyer des corvettes au sud, affaiblissant d'autant ses groupes d'escorteurs du nord.  Au moment où les Allemands vont s'installer solidement au creux de l'Atlantique Nord, les Canadiens se retrouvent plus ou moins seuls avec une flotte de petits navires d'escorte en croissance, des équipages mal entraînés et de l'équipement désuet.

 

La marine de corvettes

NCSM Sackville, corvette de la classe 'Flower', Marine royale canadienne. Durant la Seconde Guerre mondiale, la marine canadienne fut surnommée 'la marine des corvettes' car elle comptait plus de 130 de ces petits navires qui escortaient les convois et pourchassaient les sous-marins allemands. La coutume de peindre une feuille d’érable verte sur la cheminée, commençée en 1917, devint généralisée durant la Seconde Guerre mondiale. Ce cliché montre la seule corvette encore existante, le Sackville construit en 1941 à Saint-Jean (NB), restaurée au début des années 1980 et amarrée à Halifax comme musée naval.

 

À compter de 1940, les Canadiens se sont mis à construire des corvettes, de petits navires d'une soixantaine de mètres de long, dont les plans sont fondés sur les baleinières britanniques de la fin des années 30.  Très remuantes sur la mer, elles ont une vitesse maximale de 16 nœuds, un canon de quatre pouces, un ASPIC (version britannique du SONAR) désuet et une mitrailleuse antiaérienne.  Bien que pouvant résister à tous les gros temps de l'Atlantique Nord et tout en étant excellentes pour les manœuvres, les corvettes sont aussi très inconfortables.  Qui plus est, la plupart des officiers professionnels sont sur les navires plus importants (destroyers, croiseurs et plus tard porte-avions), se préparant à la guerre à la Nelson désirée par leurs collègues britanniques et laissant le convoyage et les corvettes à la Réserve navale et à la Réserve volontaire navale.

Au fur et à mesure que nos chantiers navals produisent ces corvettes, celles destinées aux équipages canadiens sont lancées dans la bataille avec des volontaires assez verts.  On n'a pas le temps, au Canada, de former des groupes solides de navires escorteurs dont les équipages apprendraient à travailler ensemble.  Les périodes de repos sont rares.  L'équipement, comme les radars, les ASPIC ou les détecteurs des hautes fréquences émises par les radios des sous-marins ennemis, est dépassé, souvent reçu de six mois à un an après que les navires britanniques en eurent été munis.  En 1941, il arrive même que des corvettes, n'aient pas de radar.  L'enthousiasme évident des volontaires canadiens ne peut combler totalement les lacunes laissées avant-guerre par le manque d'infrastructure industrielle adéquate et d'une marine expérimentée et assez nombreuse pour assumer ses rôles.  Au sommet de cette faible charpente règne, depuis 1934, l'amiral Percy W. Nelles, compétent dans son domaine, mais sans inspiration et dépassé par une situation qu'il n'avait pas prévue et à laquelle il ne parvient pas à s'adapter.

Dès l'été 1941, la Force d'escorte de Terre-Neuve nouvellement créée va vivre des expériences traumatisantes.  Un de ses grands problèmes est le manque de couverture aérienne en certains endroits du parcours.  Le convoi SC-42, parti le 30 août 1941 de Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour la Grande-Bretagne, se fait couler 16 navires marchands en plus d'un des escorteurs, les 9 et 10 septembre.  Le SC-44 ne perd que quatre navires marchands et une corvette ; le SC-48 est très touché, mais pas autant que le SC-42 ; le SC-52 fait demi-tour et rentre au port par une mer déchaînée.

Puis les choses semblent se tasser dans l'Atlantique, lorsque les sous-marins allemands attaquent en priorité le trafic du sud de l'État de New York.  Quand à la fin de l'été et à l'automne 1942, l'intérêt allemand reprend envers l'Atlantique Nord, la situation devient rapidement intenable.  Le convoi ON-127, avec 32 navires marchands partis d'Angleterre le 5 septembre 1942 pour le Canada, est escorté par deux destroyers canadiens et trois corvettes dont une britannique, le seul des navires à avoir un radar performant qui ne fonctionne d'ailleurs que par intermittence.  Neuf navires marchands sont coulés, plus le destroyer Ottawa qui perd 114 membres d'équipage.  Le 30 octobre, le SC-107 part du Canada vers la Grande-Bretagne et perd 15 navires marchands.  Dans ces deux cas, aucun sous-marin ennemi n'a été détruit.  Britanniques et Américains s'interrogent sur l'efficacité des escorteurs canadiens lorsqu'ils sont au centre de l'Atlantique.  Entre les 26 et 28 décembre 1942, l'ONS-154, vers le Canada, perd 14 navires marchands plus un navire de guerre britannique.  Cette fois, les escorteurs munis de radars récents et de bons détecteurs de hautes fréquences (HF/DF), même si le personnel n'a aucune expérience de leur utilisation, ont pu couler un sous-marin allemand.

 

La bataille du ST-Laurent

Le 9 janvier 1943, pressé par ses alliés, le Canada décide d'abandonner momentanément son rôle d'escorte au milieu de l'Atlantique.  Il utilisera les quelques mois à venir pour munir ses escorteurs de nouveaux équipements et pour former ses équipages à leur utilisation.  La Marine royale du Canada atteint ici le nadir.  Encore plus quand on considère que, quelques mois plus tôt, on a dû fermer le fleuve Saint-Laurent à toute circulation commerciale.

En effet, en mai 1942, les sous-marins allemands ont croisé dans l'estuaire du Saint-Laurent.  Puis, d'août à novembre, ils s'y sont installés de façon presque constante.  Huit sous-marins participent, à des moments différents et sans subir de pertes, à une chasse fructueuse, car ils y détruisent une corvette, un yatch armé, 19 navires marchands ou de passagers en plus d'en endommager deux autres.  Devant la panique qui s'installe dans les populations locales, le gouvernement doit expédier quelques-uns de ses escorteurs de l'Atlantique - déjà pas assez nombreux - vers le golfe du Saint-Laurent.  En octobre, finalement, on ferme cette voie de navigation : tout le commerce transatlantique se fera directement des côtes.  Le Canada pourra ainsi dégager des escorteurs vers la Méditerranée, où l'on prépare le débarquement en Afrique du Nord (opération Torch).

À la mi-novembre 1942, un sous-marin allemand débarque un espion en Gaspésie, mais il se fera arrêter presque aussitôt.  Enfin, le 14 octobre, le SS Caribou, un traversier entre North Sydney, Nouvelle-Écosse, et Port-aux-Basques, Terre-Neuve, a été coulé par un sous-marin : 136 des 237 passagers et membres d'équipage périssent.  Jusqu'en 1943, la Marine royale du Canada n'a détruit que quatre sous-marins ennemis.

Après plus de trois ans de guerre, le Canada a réussi sa mobilisation totale, mais n'a guère pu se faire valoir sur le plan strictement militaire.  De nouvelles occasions se profilent à l'horizon qui permettront de mieux mettre en valeur les qualités des combattants militaires en mer, dans les airs et sur terre.
 



07/01/2013
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