Histoires-du-Canada

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Menaces intérieures et extérieures

La toile de fond de la rébélion du Nord-Ouest

Entre 1871 et 1898, l'événement qui va marquer le plus fortement la jeune force de défense canadienne ne sera, sans contredit, constitué par la seconde rébellion métis qui, au printemps 1885, secoue les Territoires du Nord-Ouest.  Cette crise est provoquée par des conditions à peu près semblables à celles qui prévalaient en 1870 dans la région de la rivière Rouge.  Les germes du conflit sont semés dès 1872 quand, négligeant les Métis, des émissaires gouvernementaux signent un traité avec les autochtones de la région de Qu'Appelle.
Suivent bientôt des arpenteurs qui se mettent à fractionner les grands espaces libres en terres à coloniser.  De 1878 à 1884, les Métis expédient à Ottawa des dizaines de requêtes réclamant la reconnaissance de leurs droits sur des terres qu'ils occupent parfois depuis plus d'une génération.  Rien n'y fait.  Le premier bureau d'inscription des titres dans ces territoires ouvre à Prince Albert en 1881, alors qu'au Manitoba de nombreux différends et cas de fraude entourent toujours les ententes de 1870.

Cette situation exacerbe les Métis, dont plusieurs ont reflué du Manitoba vers l'ouest devant l'envahissement des terres par des colons qui menaçaient leur mode de vie.  Au mois de mai 1884, le Conseil des Métis de Batoche tient une réunion au cours de laquelle son chef, Gabriel Dumont, fait adopter une résolution invitant Louis Riel à venir se porter à la défense de ses frères.
Marié, Riel vit alors au Montana, où il enseigne à la mission Saint-Pierre.  Les délégués des Métis de la Saskatchewan débarquent chez lui le 4 juin.  Cinq jours plus tard, Riel démissionne de son poste et, le lendemain, il prend la direction du nord.  Le Riel de 1884 est plus exalté qu'autrefois.  Il croit désormais que lui incombe la mission de conduire Métis et Indiens et de faire en sorte qu'ils soient unis en un seul peuple.

Entre le moment où il arrive à Batoche et la fin de l'hiver, en 1884-1885, le silence d'Ottawa devant les réclamations des Métis a nourri un climat d'agitation qui atteint son paroxysme au moment où, de retour de Winnipeg, un employé de la Compagnie de la baie d'Hudson, annonce aux Métis que des policiers déterminés à écraser leur fronde et à mettre Riel aux fers sont en route.  Le 19 mars, lors du rassemblement traditionnel soulignant la fête de saint joseph, leur saint patron, les Métis se donnent un gouvernement provisoire présidé par Louis Riel et par un adjudant général, Gabriel Dumont.  Batoche devient la capitale de ce gouvernement et, bientôt, le poste que les autorités gouvernementales canadiennes voudront abattre.
L'action est au programme de ceux qu'on désigne sous le nom de rebelles et qui tentent principalement d'obtenir l'adhésion des autochtones à une cause qu'ils veulent commune.  Le succès de l'opération diplomatique est mitigé puisque très peu d'Amérindiens se joindront effectivement aux Métis.  Désireux d'exercer le plein contrôle du terrain géographique, le gouvernement de Riel et de Dumont réclame, de la Police montée du Nord-Ouest, la cession des forts de Carlton et de Battleford.  À ce stade, les pions sont tous en place pour que survienne la tragédie.

 

Le gouvernement provisoire veut s’imposer

Fort Pitt, poste de la Police montée du Nord-Ouest. Fort Pitt fut construit comme un poste de commerce et d'apprivisionnement pour la compagnie de la Baie d'Hudson en 1829. Par la suite la Police montée du Nord-Ouest pris possession du fort. Finalement, en 1885, c'est un détachement de vingt-cinq policiers, dirigé par l'inspecteur Francis Dickens (fils de l'auteur Charles Dickens) qui s'installa au Fort Pitt. Fort Pitt fut assiégé, lors des hostilités entre les Cris et le gouvernement canadien, en avril. La police Garrison abandonna le poste, en se réfugiant au Fort Battleford. Cette gravure contemporaine a été tirée du « Illustrated London News ».

 

Les policiers ne sont évidemment pas disposés à obéir aux rebelles.  Le commissaire adjoint Lief N.F (Paddy) Crozier qui commande le poste de Carlton n'est pas homme à céder.  De plus, il tient au contrôle du comptoir de traite du lac au Canard, situé entre Carlton et Batoche, où sont rassemblées provisions et munitions.  Si, localement, l'enjeu revêt une certaine importance, il ne vaut guère une bataille mal préparée.  On conseille à Crozier de ne pas bouger avant l'arrivée de renforts mais, poussé par quelques volontaires zélés, sûr de son bon droit et de sa force, il part à la tête de 55 hommes.  Cette initiative lui coûtera cher.

Le 26 mars, alors qu'il marche vers le lac au Canard, qu'il sait être déjà sous contrôle métis, un parti de Métis dirigé par Gabriel Dumont lui tend une embuscade.  Le combat est bref et violent, faisant 12 morts et 11 blessés parmi les policiers.  L'effusion de sang surprend et déconcerte Riel qui s'oppose à ce que Dumont poursuive les policiers qui, dans la déroute, ont abandonné une partie de leurs morts, de leurs blessés et de leur équipement sur le terrain.

 

Louis Riel, 1870-1871. Cette image de Louis Riel fait partie d'une photographie des membres du conseil du gouvernement provisoire des Métis, 1870-1871.

 

La victoire de Dumont a lancé sur le sentier de la guerre plusieurs groupes amérindiens.  Divisés, les policiers auraient pu être des victimes faciles.  Le 28 mars, abandonnant le fort Carlton, ils se replient donc sur Prince Albert.  Plus à l'ouest, dans la région de Battleford, d'autres membres des forces de l'ordre s'enferment dans leur poste avec la population blanche, livrant les environs à des groupes de Cris et de Pieds-Noirs.  Plus à l'ouest encore, au lac à la Grenouille, des Amérindiens massacrent quelques colons.
Au début d'avril 1885, au moment où Ottawa constate enfin que le contrôle des opérations sur la rivière Saskatchewan Nord lui a échappé, le leader métis comprend que ses alliés autochtones ne sont pas entièrement sous son contrôle.

 

Le gouvernement canadien s’organise

 

Si Riel a changé, la situation qui prévaut dans l'ensemble de l'Ouest canadien de 1885 n'est plus celle qu'il a connue en 1870.  Bien entendu, des aventuriers américains pourraient à nouveau envenimer le conflit, mais ces éléments perturbateurs sont moins menaçants que les Fenians qui, dans l'affaire de la rivière Rouge, n'avaient joué qu'un rôle mineur.  Ce qui a vraiment changé se situe au niveau des moyens dont dispose le gouvernement canadien pour réprimer la rébellion.  Le plus important est sans doute le chemin de fer dont l'efficacité a amplement démontré sa valeur militaire ailleurs dans le monde, notamment au cours de la guerre civile américaine et dans le conflit franco-prussien.  La voie transcontinentale va devenir un élément déterminant dans la réaction d'Ottawa où l'on sait qu'il est désormais possible d'atteindre l'Ouest en quelques jours sans devoir circuler en territoire américain.

 

Le 23 mars, quatre jours après la proclamation du gouvernement provisoire de Riel, le premier ministre Macdonald réagit en confiant au major général Frederick Middleton, commandant de la Milice canadienne, la tâche d'organiser la contre-attaque.  La milice locale est la première à recevoir l'ordre de se tenir prête à partir.  Middleton est rendu à Winnipeg quand, le 27 mars, au lendemain du combat du lac au Canard, il part vers Qu'Appelle à la tête du Winnipeg Rifles.  En quelques semaines, plus de 8 000 hommes venus du Québec et de l'Ontario seront rassemblés sous son commandement.  Certaines des unités de l'Ouest marcheront sous le commandement du général Thomas Strange, premier commandant de la Batterie B et de l'école d'artillerie, qui s'est retiré près de Calgary, ou sous celui du colonel William Otter.

La stratégie de Middleton est simple : distribuer ses forces sur trois colonnes qui iront vers le nord.  Le commandant dirige lui-même celle qui part de Qu'Appelle vers Batoche.  Otter conduit sa colonne de Swift Current en direction de Battleford, pendant que Strange quitte Calgary vers la rivière Saskatchewan Nord dont il suivra ensuite le cours vers l'est.

 

La force conduite par Middleton. L’avance vers batoche

Bataille de Fish Creek, le 24 avril 1885. Cette estampe de la bataille de Fish Creek, le 24 avril 1885, fut tirée d'esquisses dessinées par un milicien de Toronto, qui faisait partie de la colonne du « General Middleton ». Cent cinquante Métis et Teton Sioux, dirigés par Gabriel Dumont, ont tentés de tendre une embuscade à neuf cent Canadiens, alors qu'ils arrivaient au ravin profond de Fish Creek. La Milice, très peu expérimentée, a passée la journée à tenter de bouger Dumont de sa position, mais sans succès. Même si c'était une impasse, les Canadiens ont reculé et cessé de se diriger vers Batoche pendant deux semaines. Les personnages en vert sont du 90th Winnipeg Battalion of Rifles, tandis que ceux en rouge sont du 10th Battalion Royal Grenadiers (ils n'ont pas vraiment participés à la bataille).

 

La confiance entretenue par le général Middleton à l'égard de ses soldats-citoyens est limitée, sans doute parce qu'il connaît les défaillances de la formation dispensée à la plupart d'entre eux, l'expérience militaire des autres n'ayant d'assises que dans leur bonne volonté.  Avant leur départ, ses troupes reçoivent donc un minimum d'entraînement obligatoire.  Plusieurs miliciens exécutent dans ces circonstances leur premier tir d'exercice avec des armes souvent mal entretenues, mal entreposées ou depuis longtemps inutilisées.  La compétence et l'expérience des hommes détachés auprès d'Otter et de Strange sont équivalentes et fort peu rassurantes.

 

Canon de 9 livres, lors de la bataille de Fish Creek, le 24 avril 1885. Cette photo, d'une arme de l'A Battery, Regiment of Canadian Artillery, fut prise lors du combat à Fish Creek, le 24 avril 1885. Le capitaine James Peters de la Batterie A, amateur de la photographie, avait apporté sa caméra dans le Nord-Ouest. Il semblerait qu'il aurait pris les premières photos de l'histoire d'une bataille.

 

La progression de Middleton vers Batoche est très lente.  Méfiant, le général britannique a présent à la mémoire le sort réservé au lieutenant-colonel américain George Armstrong Custer, à Little Big Horn, en 1876, par des Indiens.  La leçon servie tout récemment à la troupe de Crozier est bien vivante.  Lorsqu'on lui rapporte que les Métis sont retranchés de chaque côté de la Saskatchewan Sud, il fait traverser le cours d'eau à près de la moitié de ses troupes, s'écartant encore plus d'un principe de guerre qu'il a déjà mis à mal avec sa formation en trois colonnes : celui de la concentration des forces.  Ce n'est pas toujours une erreur d'agir comme il le fait mais, dans le cas présent, c'en est une.  Le 24 avril, la troupe qui a marché du côté est de la rivière, celui où s'élève Batoche, est embusquée à l'Anse-aux-poissons.  Après avoir subi quelques pertes, Middleton commande une retraite et une pause qui durera deux semaines.

 

La bataille de Batoche

Gabriel Dumont, commandant militaire des Métis en 1885. Gabriel Dumont (1837-1906) était une personne de tactique brillante. Les historiens concèdent, généralement, que si Dumont avait contrôlé pleinement les opérations des Métis en 1885, les volontaires canadiens auraient eu une campagne beaucoup plus difficile. Cette photo date probablement de la période où Dumont voyageait avec le spectacle « Buffalo Bill's Wild West Show », après la Rébellion.

 

Pendant ce temps, Riel expédie un message à ses alliés autochtones pour qu'ils le rejoignent à Batoche ou se dessine un affrontement décisif.  Ceux-ci mettent peu d'empressement à répondre, si bien qu'au début du mois de mai, Middleton, qui a réuni tout son monde du côté est de la rivière, peut reprendre son avance.  Son action est mieux préparée.  Ses forces ont été regroupées et elles ont reçu une formation complémentaire.  La logistique a été renforcée par l'utilisation d'un petit vapeur qui, posté devant Batoche, servira d'appui-feu aux miliciens qui attaqueront les positions terrestres des Métis.  À compter du 10 mai, Batoche est assiégée et les troupes fédérales s'installent dans une guerre de position qui frustre beaucoup de miliciens conscients de disposer de la force du nombre et de la puissance des armes, des canons, une mitrailleuse Gatling et des centaines de fusils.  Quand les coups de feu diminuent, on comprend que les Métis sont à court de munitions.  Le 12, incapables de supporter plus longtemps l'inaction, deux régiments suivent leurs colonels à l'attaque : les retranchements et le village cèdent facilement.  L'ensemble de l'opération a coûté 12 morts et 3 blessés aux Métis.  On compte 8 morts et 46 blessés parmi les hommes de Middleton.
À l'heure des bilans, Louis Riel et Gabriel Dumont ne sont plus avec les leurs.  Le 15 mai, ayant refusé de suivre Dumont dans un autre exil américain, le premier s'est rendu.

 

Une maison métise brûle à Batoche, le 9 mai 1885. Tôt le matin du 9 mai 1885, lorsque l'Armée canadienne se rendait vers l'église à Batoche, une attaque a eu lieu, provenant de deux maisons à l'extérieur du village. Ce fut le premier geste de la bataille, d'une durée de quatre jours, à Batoche. La Batterie A a ouvert le feu sur le Régiment de l'artillerie canadienne, tandis que les tireurs d'élite métis ont fuis. La Milice mis le feu aux maisons, afin d'éviter d'être réutilisées comme cachette par les Métis. Le commandant de la Batterie A, un photographe amateur, a capturé la fumée dans cette photo, et il l'a nommée « Opening the ball at Batoche ». Les chevaux et les artilleurs peuvent être vus, l'autre côté de la clotûre à droite.

 

Bataille de Cut Knife Hill, le 2 mai 1885. Trois cent cinquante milices canadiennes, dirigés par lieutenant-canadien Otter, ont attaqués un camp de Cris des plaines, à l'aube du 2 mai 1885. Surpris, les Cris ont quand même livrés une dure bataille sous le chef de guerre, Fine Day. Alors que les Canadiens se sont retirés plus tard dans la journée, les Cris ont cessé leurs poursuites envers leurs adversaires, sous l'influence du chef Poundmaker. Quelques historiens croient qu'Otter et ses hommes, peu expérimentés, aient été sauvés du massacre.

 

Partis de Swift Current, situé à l'ouest de Qu'Appelle, Otter et ses hommes ont pris la direction du nord.  Au cours de la troisième semaine d'avril, ils atteignent Battleford où ils assurent d'abord la sécurité des Blancs du village.  La colonne pivote ensuite vers le sud-ouest où des éclaireurs ont repéré des maraudeurs autochtones responsables de meurtres et d'exactions à Battleford et aux environs.  Avançant de nuit vers leur camp aménagé près de la colline du Couteau-cassé, Otter est découvert avant d'attaquer, perdant ainsi l'avantage de la surprise.  Le 2 mai, au terme d'une journée d'un combat indécis, les militaires se replient sur Battleford.

Conduits par le chef Faiseur d'Enclos, qui suit les directives de Louis Riel, les autochtones prennent alors la route de Batoche.  Le 14 mai, ils s'emparent d'un convoi de ravitaillement destiné à Battleford.  À cette date, les Métis ont été battus à Batoche et, ayant compris que l'entreprise est sans issue, la troupe de Faiseur d'Enclos commence à se disperser.  Après neuf jours d'un dangereux jeu de cache-cache, le chef amérindien arrive à Battleford où il rend les armes.

 

La colonne Strange. La marche et la poursuite de Big bear

Strange a quitté Calgary en direction de la rivière Saskatchewan Nord qu'il compte redescendre vers Battleford, complétant ainsi le mouvement de nasse ordonné par Middleton.  À la fin du mois de mai, il atteint la Butte-aux-Français où il surprend les Cris.  Le groupe de Gros-Ours relève rapidement la tête et se retranche en ce lieu qui domine les points stratégiques de la région, la rivière ainsi que Fort Pitt.  S'ils veulent en découdre au corps à corps avec les 600 hommes de Gros-Ours, les miliciens de Strange doivent traverser un terrain marécageux et s'exposer.  Au moment où, malgré une puissance de feu très supérieure à celle de l'ennemi, l'officier décide de retraiter, les Cris s'apprêtaient à faire de même.  Le 1er juin, après avoir reçu les approvisionnements qui lui manquaient, Strange remonte à l'assaut pour découvrir que la Butte-aux-Français a été abandonnée.  Les Cris ayant commencé à se subdiviser, Strange n'engage pas la poursuite.  Deux jours plus tard, il est rejoint à Fort Pitt par près de 900 hommes conduits par Middleton.  Ce dernier organise aussitôt la battue, mais il garde près de lui tous ses hommes, y compris ceux de la cavalerie légère, et avance à nouveau lourdement.  Les chariots sur lesquels 120 soldats ont pris place s'enfoncent dans la terre à peine dégelée du nord de la Saskatchewan.

Ce mouvement ne produit aucun résultat.  Le 4 juin, au lac au Canard, des cavaliers du colonel Sam B. Steele échangent quelques coups de feu avec des guerriers de Gros-Ours.  Ce combat sera le dernier de la campagne, les Cris ayant choisi d'abandonner la lutte.  La reddition de Gros-Ours aura lieu le 2 juillet suivant, près de Fort Carlton.

 

Les résultats de la rébellion

Ainsi, le feu de brousse allumé par l'insurrection a-t-il été circonscrit et éteint.  Temporairement éclipsées par l'activité militaire, la loi et la politique vont recouvrer leurs droits.  Après un procès et un jugement très controversés, Riel sera pendu, le 16 novembre 1885.  L'événement provoque le premier schisme important entre le Parti conservateur et les Canadiens français dont bon nombre ont pris fait et cause pour les Métis et pour leur chef.  En 1887, les Québécois retirent aux Conservateurs le gouvernement des affaires de la province et portent au pouvoir le nationaliste Honoré Mercier.

 

Le bilan de la campagne. Une victoire terne

Personnel et patients, de l'hôpital de campagne à Moose Jaw, en 1885. Un groupe de religieuses anglicanes de Toronto ont travaillé dans un hôpital, de quarante lits, à Moose Jaw, durant la Rébellion de 1885. Elles prirent soin des blessés et des malades, lors des batailles à Batoche et à Fish Creek. Douze femmes ont fait partie du premier groupe organisé d'infirmières dans l'histoire canadienne militaire. Notez le groupe des patients blessés, au centre, deux d'entre eux ayants perdu un bras.

 

Les Métis et leurs alliés autochtones étaient mal préparés et, par conséquent, incapables de rivaliser véritablement avec la force militaire rapidement déployée contre eux.  Malgré quelques batailles bien menées et quelques victoires isolées, leurs chances de vaincre étaient presque nulles dès le départ.

Si le gouvernement célèbre ce triomphe militaire, il n'ignore pourtant pas que son indécision a nourri la tragédie qui vient de prendre fin.  Dès l'instant où il réagissait au soulèvement des Métis, le Canada mobilisait 8 000 hommes dont 2 648 étaient affectés à la logistique.  L'Ontario en fournissait 1 929, le Québec, 1 012, et la Nouvelle-Écosse, 383.  Venus de l'Ouest, 2 010 miliciens et 500 gendarmes et membres de gardes civiles locales se joignaient à eux.  Le 27 mars, les Batteries A et B et le 65e Bataillon des carabiniers de Montréal, première unité de milice mobilisée dans ce conflit, étaient appelés au combat.  Le lendemain, la liste des unités participantes s'allonge, couvrant bientôt toutes les régions du pays.

Quant au ministre, sir Adolphe Caron, il se dépensa sans compter pour qu'un système de logistique et de transport reposant presque exclusivement sur l'entreprise privée soit mis sur pied.  Le fait que la milice ait été mal préparée aurait inspiré cette solution où patronage et politique ont pu faire le meilleur des ménages.  Le gouvernement paya une note salée, soit 4,5 millions de dollars, une somme remarquablement élevée en cette fin du XIXe siècle.

Presque rien n'avait été planifié en fonction d'une telle campagne.  En quatre jours, on improvise les services de santé et d'approvisionnement militaires.  On ne s'inquiète pas devant un armement de base disparate.  On part en guerre avec des carabines et des fusils Snider, Winchester et Martini-Henry.  On emporte, à l'avenant, trois types de munitions dont la distribution, à des unités parfois très éloignées les unes des autres, est problématique.  Il arrive que ces munitions soient inutilisables ou manquantes.  Ainsi, Strange atteint la Butte-aux-Français avec seulement 22 obus de canons.  Le leadership est des plus faibles, mais Middleton attribuera sa lenteur et ses atermoiements à l'inexpérience de ses subordonnés auxquels il a refusé sa confiance, ce que ces derniers lui ont bien rendu.  D'après le général, c'est lui qui a empêché que l'engagement de Batoche se solde par un échec.  Mais on ne peut oublier qu'il ne sait ni utiliser ses forces montées, ni faire manœuvrer ses troupes, et que son attitude timorée est à l'origine du manque de mordant de ceux qui obéissent à ses ordres.

 

La revanche des métis

Confrontés à cette machine qui, face à un ennemi vigoureux, aurait été facilement battue, on trouve à peine 1 000 insurgés, dispersés, mal armés, manquant de vivres et de munitions.  Le courage de la petite troupe de Batoche, qui se bat pour une cause perdue, surprend Middleton qui est également impressionné par la force de sa position ainsi que par l'ingéniosité et le soin investis dans la construction des tranchées-abris.  La faiblesse du vaincu va temporairement permettre au vainqueur de pavoiser mais, une quarantaine d'années après les événements, la Société historique métisse prédit avec justesse que « le temps n'est pas éloigné où l'Ouest canadien saluera (les Métis de 1870 et de 1885) comme des précurseurs et des libérateurs».

Middleton va rendre compte de son expédition.  Témoin, en 1885, au procès de Louis Riel, il comparaît, cinq ans plus tard, devant un comité spécial de la Chambre des communes pour répondre de ses actes en rapport avec la saisie, par la Police montée du Nord-Ouest, de fourrures appartenant à un Métis qui, à sa libération après les événements de Batoche, n'a pas pu en reprendre possession puisqu'elles avaient disparu.  Sur la déclaration du plaignant, on remonte la filière jusqu'à Middleton qui, prétend-il, avait le droit de faire saisir les peaux que quelqu'un d'autre avait volées.  Le comité déclare les saisies injustifiées et illégales et la conduite de Middleton dans cette affaire est décrite comme étant inqualifiable.  Il quitte le Canada sous la réprobation quasi générale.  Il n'est pas le premier des « héros » militaires canadiens à être jugé, à la fois pour ce qu'il a fait, c'est-à-dire la campagne, et pour ce qu'il n'a pas fait, voler des fourrures.  En 1896, les autorités britanniques lui confient la charge prestigieuse de gardien des joyaux de la Couronne, une « belle revanche contre ceux qui l'avaient chassé du Canada comme un voleur

 

Le 9e bataillon et la campagne du Nord-Ouest

Plusieurs bataillons ont, sous une forme ou sous une autre, témoigné de leur participation à la campagne du Nord-Ouest.  Le 9e, de Québec, est l'archétype de ces troupes.  Cette unité est commandée par Guillaume Amyot.  Son entourage est principalement composé de Canadiens français dont les compatriotes ne sont pas favorables au combat mené contre les Métis de Louis Riel.

L'ordre de mobilisation du bataillon est reçu le 31 mars.  Le 2 avril suivant, 236 hommes, dont 28 officiers, sont prêts à partir.  Or, du 13 au 25 mars, le 9e Bataillon s'est entraîné avec 22 officiers et 336 soldats.  Opinions politiques, études ou emplois privent le bataillon d'une centaine de miliciens qui ne le suivront pas sur la route de l'Ouest.  Par ailleurs, le nombre d'officiers augmente avec l'ajout de fils de bonne famille.  Au dernier moment, l'effectif intègre donc un fils du juge Adolphe Routhier, un du député provincial Joseph Sheyn, un du député fédéral P-B. Casgrain, et deux du sénateur Jean-Baptiste Fise

 

Dans le journal de marche qu'il a publié plus tard, le soldat Georges Beauregard rend compte de l'ambiguïté de la situation des soldats canadiens-français.  « Le gouvernement, écrit-il, a décidé de déranger notre petite vie tranquille pour nous envoyer contre Indiens et Métis : il a ses raisons qui ne nous regardent pas, car nous ne faisons pas de politique et ne discutons pas les ordres des autorités militaires. ».  Il n'en demeure pas moins que les volontaires se font rappeler par plusieurs de leurs connaissances qu'ils s'en vont « faire la guerre à nos frères, à des Français (sic) comme nous ... ». Cette perspective n'est pas très gaie et la création du comité d'aide aux familles des volontaires, formé de bénévoles, rappelle que l'armée fait bien peu pour ceux qu'elle envoie au combat.

Quant au voyage vers l'Ouest, il fournit amplement matière à réflexion.  Les hommes sont entassés dans des wagons parfois ouverts.  Là où la voie ferrée n'a pas été complétée, on les transfère sur des chariots et, au nord du lac Supérieur, ils subissent les désagréments d'un printemps qui se cherche à travers la chaleur, le froid et de fréquentes tempêtes de neige. Le 9e Bataillon n'a pas encore vu le feu que deux de ses soldats meurent, emportés par les rigueurs du voyage.  L'un d'eux laisse dans le deuil une femme et plusieurs enfants dont le comité d'aide prendra la charge avant et même après le versement de la dérisoire pension gouvernementale.

La tâche du 9e Bataillon consiste essentiellement à assurer la sécurité des lignes de communications.  Subdivisés en petites escouades, les hommes sont répartis entre Calgary et Fort McLeod ; pour tout abri, ils ont des tentes où peuvent dormir six soldats.  Les Compagnies 3 et 4 s'établissent à Gleichen, Crowfoot et Langdon, postes situés le long de la voie du Canadien Pacifique.  Dans ce secteur, elles rencontreront maintes fois les Indiens, dont elles voudront soulager la criante misère.  Cette attitude incite l'historien Jean-Yves Gravel à comparer, assez justement, le rôle de cette unité à celui accompli depuis plus de 50 ans par les soldats canadiens au titre du maintien de la paix dans le monde. Faut-il s'étonner qu'après un voyage d'un mois pour atteindre Calgary et un séjour de deux mois dans des postes isolés, il ne se soit trouvé aucun volontaire du 9e Bataillon désireux de rester en garnison sur place ?  Dans la plupart des autres unités, les hommes étaient également impatients de rentrer chez eux.

 

 

 

La campagne du Yukon

Soldat, The Royal Canadian Regiment of Infantry, uniforme d'hiver, vers 1899. Pour complémenter les uniformes d'hiver de l'Infanterie canadienne, les soldats avaient aussi accès à des chapeaux de fourrures, des écharpes, manteau d'hiver du style de l'armée britannique, mitaines et bottes chaudes.

 

À la fin du XIXe siècle, la découverte de métal aurifère au Yukon force les autorités canadiennes à prendre des mesures pour le maintien de la paix sur cette partie de son territoire où, on le sait, les choses peuvent facilement dégénérer.  La ruée sauvage vers l'or de l'Oregon, vers 1840, a laissé des souvenirs.  Déjà présente au Yukon, la Police montée du Nord-Ouest pourrait être rapidement débordée, en particulier si la gourmandise des expansionnistes américains incitait ces derniers à débattre de questions de juridiction territoriale.  Aux yeux des responsables politiques canadiens, la protection du territoire doit reposer sur la force militaire : une unité de volontaires recrutés parmi la force permanente est donc rassemblée à Vancouver.

Le 14 mai 1898, ce contingent de plus de 200 personnes, soit près du quart de la force permanente totale, quitte cette ville à destination du Yukon.  Six femmes, une journaliste, quatre infirmières de l'Ordre de Victoria et l'épouse de l'un des chefs de la Police montée en service au Yukon, se sont jointes au groupe.  On se déplace en bateau et à pied à travers des chemins et des sentiers mal tracés sur un sol qui, même en été, reste gelé à quelque 50 centimètres sous la surface.  Escortée par des nuées de moustiques, l'unité arrive à Fort Selkirk, le 11 septembre.  Quelques semaines plus tard, l'un de ses contingents est dépêché à Dawson.
Au printemps suivant, la ruée ayant pris fin et la population du Yukon étant en décroissance, la moitié des hommes reprennent le chemin de Vancouver.  En 1900, tous les volontaires sauf un, retenu jusqu'en 1901 pour témoigner à un procès, sont de retour chez eux.  Ils sont remplacés, l'année suivante, par une unité de milice non permanente levée à Dawson City.

Grâce à cette action énergique et malgré quelques bavures insignifiantes, la ruée vers l'or du Yukon a été très ordonnée et, surtout, elle a contribué à imposer le principe de la souveraineté canadienne dans cette région peu fréquentée avant la découverte de l'or.  Par exemple, en partant de Vancouver, l'expédition a utilisé une route d'accès qui, bien que très difficile et beaucoup plus lente que celle venant de l'Alaska, avait l'avantage d'être presque entièrement en territoire canadien.  Pour le retour, on simplifiera toutefois les choses en utilisant le territoire américain 10 jours entre Fort Selkirk et Vancouver, plutôt que quatre mois à l'aller.

En cette occasion, pour la première fois - et cette situation ne se renouvellera pas avant un demi-siècle -, des troupes canadiennes se sont aventurées et ont hiverné au nord du 60e parallèle, où se situe pourtant le tiers de la masse continentale canadienne
Parmi les participants à l'expédition, l'on retrouve le capitaine Harry Burstall, qui deviendra major général et chef d'état-major de l'armée, ainsi que S.B. Steele, surintendant de la Police montée, présent lors de la campagne du Nord-Ouest et dont la carrière le conduira plus tard en Afrique du Sud.

 

L’aide au pouvoir civil

Entre 1867 et 1898, la milice intervient à 67 reprises pour soutenir le pouvoir civil et deux fois dans des pénitenciers.  Convoqués par les autorités civiles locales, les soldats répondent avec plus au moins de bonne grâce, chacun devant alors délaisser ses occupations et renoncer à son salaire pour une période indéterminée.  Par surcroît, jusqu'en 1879, alors que le gouvernement canadien verse aux villes l'argent requis pour le paiement rapide et complet des coûts, les soldats-citoyens savent que certaines villes qui demandent leur aide ne seront pas en mesure de les rétribuer.  Aussi longtemps que les policiers n'auront pas été formés en corps solidement structurés, les miliciens seront appelés pour rétablir l'ordre : ils n'apprécient guère ce rôle.

Le rapport annuel de la milice de 1878 énumère les difficultés liées à ces interventions ponctuelles.  « Des désordres se présentent souvent chaque année.  La milice n'a pas les connaissances nécessaires, la police est trop faible, les miliciens sont obligés de combattre les gens du même coin du pays ; il faut une force militaire permanente. »

À elle seule, la formule du vote électoral à main levée provoque, entre 1867 et 1883, 13 émeutes réelles ou appréhendées, dont 11 au Québec seulement.  Des modifications à la Loi électorale vont mettre un terme aux interventions de la Milice dans ce champ d'activité.  Les querelles linguistiques, religieuses et scolaires, ainsi que les défilés annuels des Orangistes constituent autant de prétextes à un appel des troupes.  Les événements les plus difficiles à gérer sont les grèves.  Levée sur place, la force de contrôle est souvent formée d'hommes qui vivent à proximité du lieu des manifestations ou qui sont apparentés à ceux qu'ils doivent combattre.  Généralement, les miliciens sont appelés après un premier assaut violent perpétré contre la personne où contre la propriété.  Dans plus de 90 pour cent des cas, leur seule présence réussit à empêcher les débordements.  L'absence de véritables corps policiers est à la base de la plupart de ces interventions.

 

L’expédition du Nil 1884-1885

L'aptitude des Forces armées canadiennes à agir à l'extérieur du territoire national se dessine en 1884, au moment où le major général C.G. Gordon est assiégé à Khartoum dans le Haut-Nil soudanais.
La Grande-Bretagne organise une expédition de secours dirigée par le général Garnet Wolseley.  En 1881 et 1882, alors chef d'état-major de l'armée, il s'était farouchement opposé au vieux projet de construction d'un tunnel sous la Manche relancé avec force par des hommes d'affaires français et britanniques.  Cette prise de position n'atteint en rien son aura de vainqueur de Ter-et-Kebir ou son titre de lord Wolseley du Caire.  Au Canada, Wolseley a dirigé la campagne de la rivière Rouge.  Il a gardé un bon souvenir des Canadiens qui ont permis aux troupes britanniques d'être approvisionnées durant la marche et le conflit de 1870.

Dès son déclenchement et pendant l'année qui suit, l'affaire soudanaise a des échos au Canada où des colonels se disent prêts à lever leurs régiments de milice pour aller combattre dans ce Haut-Nil lointain.  Prudent, le gouvernement britannique prend le pouls du Canada par rapport aux heureuses dispositions des volontaires, mais il fait savoir que la Nouvelle-Galles, un État du sud de l'Australie, a offert un contingent.  Le premier ministre John A. Macdonald peut facilement résister aux quelques zélés pressés d'aller à Khartoum même si, ce faisant, il déçoit les autorités britanniques et froisse quelques-uns de ses compatriotes.

Cependant, dès 1884, il consent à ce que les Britanniques recrutent au Canada quelques centaines de « voyageurs » qui aideront à la logistique des combattants remontant le Nil.  Autrement dit, Wolseley, qui a été favorablement impressionné par ses Canadiens, entend leur faire jouer un rôle similaire à celui de 1870, mais sur une scène étrangère, sous un autre climat et pour une cause qui ne les regarde en rien.
Près de 400 Canadiens, dont un grand nombre ignore tout de la tâche qui les attend, vont signer un engagement de six mois : c'est que l'époque des voyageurs est déjà presque révolue en Amérique du Nord.  Les volontaires qui iront là-bas ne porteront pas l'uniforme.  Ils n'auront pas d'armes et ne participeront pas aux rares combats conduits par Wolseley.  Quant à Gordon et ses troupes, ils seront anéantis avant même que les secours leur parviennent.
Quelques personnalités dignes d'intérêt se glissent parmi ces volontaires.  L'une d'entre elles est le lieutenant-colonel Fred C. Denison, l'aide de camp de Wolseley, en 1869-1870.  Il appartient à une famille qui, depuis le milieu du XIXe siècle et jusqu'à aujourd'hui, alors que certains de ses membres sont encore dans la Réserve, a été de toutes les affaires militaires canadiennes.  On remarque également la présence d'un aumônier catholique, le capitaine A. Bouchard, qui, ayant déjà été missionnaire à Khartoum, est disposé à y retourner pour servir d'interprète et veiller sur l'âme des soldats canadiens.  Le sergent d'hôpital Gaston P Labat qui, un an plus tard environ, sera sur le Saskatchewan avec un frère de Fred C. Denison, accompagne le major T.L.H. Neilson, chirurgien-major de la Batterie B, lui-même vétéran de l'affaire de la rivière Rouge.

Les 386 Canadiens quittent Halifax le 14 septembre 1884.  Quinze jours plus tard, ils débarquent à Gibraltar.  En mer, l'un des hommes a succombé à la maladie.  Le groupe atteint Alexandrie le 7 octobre puis, en train et en bateau à vapeur, dépassant Luxor et Assouan, ils parviennent enfin aux premières cataractes.  En novembre 1884, nos hommes sont au travail.  Le 1er décembre, l'expédition est à mi-chemin entre Khartoum et Alexandrie.  À chacune des 14 cataractes, qui s'étendent sur 15 kilomètres et créent une dénivellation d'environ 40 mètres, les voyageurs canadiens sont en place, attendant l'arrivée de nouvelles troupes britanniques auxquelles ils font franchir ces obstacles.  L'Iroquois Louis Capitaine et quelques autres perdront la vie dans ces épreuves de courage et d'endurance.

Un nouvel engagement de six mois, à compter du 6 mars 1885, a été proposé aux voyageurs, mais seulement 86 hommes, sous les ordres de Denison, l'acceptent.  Pour les autres, la mission prend fin avant d'avoir véritablement commencé.  Le 10 janvier, peu avant l'expiration de leur contrat, la plupart des Canadiens reprennent le chemin du retour et se dirigent vers Alexandrie où leur embarquement débutera en février.
L'expérience a permis aux volontaires canadiens d'observer ce que d'autres participants aux guerres britanniques remarqueront à leur tour : chez les Britanniques, le traitement réservé aux officiers et aux hommes de troupe est très différent.  Comme les soldats anglais, ils ont été moins bien nourris que les officiers.  Réagissant à cette injustice, un Canadien qui a osé ouvrir une boîte de fromage a eu droit à trois mois de prison.  On prétend, parmi les Canadiens, que si un soldat anglais avait commis la même faute, il aurait pu écoper de cinq ans de travaux forcés.
En avril 1885, dans une lettre au Gouverneur général du Canada, Wolseley félicite les Canadiens.  Au mois d'août, la Chambre des lords et les Communes britanniques appuient un vote de remerciement à leur intention.  Tous les volontaires recevront la médaille spéciale britannique immortalisant cette expédition.  Ceux qui auront renouvelé leur contrat y ajouteront l'agrafe de la bataille de Kirbekan, bien qu'ils n'y aient pas combattu.

 

Le Vénézuela et le Canada

L'appartenance du Canada à l'Empire britannique peut avoir d'autres répercussions.  Ainsi en est-il du différend qui surgit, en 1895, entre l'Angleterre et le Venezuela, au sujet des frontières de la Guyane Britannique.  Or, en 1895, Grover Cleveland, le président des États-Unis, semble disposé à prendre fait et cause pour le Venezuela, contre l'Angleterre.  Poussée au pied du mur dans cette affaire, l'Angleterre pourrait décider d'entrer en guerre contre les Vénézuéliens.  Pour le Canada, cette perspective signifie un possible affrontement avec les États-Unis qui pourraient bien être tentés d'envahir cette partie de l'Empire britannique.

Le gouvernement canadien réagit aussitôt en fonction de cette éventualité en investissant trois millions de dollars dans le réarmement.  Les fusils Snider à un coup sont remplacés par 40 000 Lee Enfield .303 à répétition.  On achète quelques mitrailleuses modernes et on refait l'armement de l'artillerie.

Même si cette crise n'a eu aucune conséquence violente, elle a pourtant incité les autorités gouvernementales à agir sous l'effet de la panique.  Mauvaise conseillère en matière de gestion de crise et d'administration des affaires militaires du pays, la panique sera de plusieurs autres rendez-vous.

En 1897, pour la première fois depuis 1876, une période d'instruction annuelle de tous les régiments de volontaires devient obligatoire.  Déjà, en 1896, les premiers plans de mobilisation des forces canadiennes en cas de guerre sont publiés.  La Milice est organisée en divisions, brigades, détachements, etc., chaque unité se voyant assigner un centre de mobilisation.  La composition des unités est secrète et la nomination des états-majors doit se faire au tout dernier moment, ce qui pourrait facilement causer de la confusion en cas d'urgence.  Mais ce premier plan, malgré ses faiblesses, est important par son existence même.

 

Soldat, The Royal Canadian Regiment of Infantry, uniforme d'hiver, vers 1899. Pour complémenter les uniformes d'hiver de l'Infanterie canadienne, les soldats avaient aussi accès à des chapeaux de fourrures, des écharpes, manteau d'hiver du style de l'armée britannique, mitaines et bottes chaudes.

 

À la fin du XIXe siècle, la découverte de métal aurifère au Yukon force les autorités canadiennes à prendre des mesures pour le maintien de la paix sur cette partie de son territoire où, on le sait, les choses peuvent facilement dégénérer.  La ruée sauvage vers l'or de l'Oregon, vers 1840, a laissé des souvenirs.  Déjà présente au Yukon, la Police montée du Nord-Ouest pourrait être rapidement débordée, en particulier si la gourmandise des expansionnistes américains incitait ces derniers à débattre de questions de juridiction territoriale.  Aux yeux des responsables politiques canadiens, la protection du territoire doit reposer sur la force militaire : une unité de volontaires recrutés parmi la force permanente est donc rassemblée à Vancouver.

Le 14 mai 1898, ce contingent de plus de 200 personnes, soit près du quart de la force permanente totale, quitte cette ville à destination du Yukon.  Six femmes, une journaliste, quatre infirmières de l'Ordre de Victoria et l'épouse de l'un des chefs de la Police montée en service au Yukon, se sont jointes au groupe.  On se déplace en bateau et à pied à travers des chemins et des sentiers mal tracés sur un sol qui, même en été, reste gelé à quelque 50 centimètres sous la surface.  Escortée par des nuées de moustiques, l'unité arrive à Fort Selkirk, le 11 septembre.  Quelques semaines plus tard, l'un de ses contingents est dépêché à Dawson.
Au printemps suivant, la ruée ayant pris fin et la population du Yukon étant en décroissance, la moitié des hommes reprennent le chemin de Vancouver.  En 1900, tous les volontaires sauf un, retenu jusqu'en 1901 pour témoigner à un procès, sont de retour chez eux.  Ils sont remplacés, l'année suivante, par une unité de milice non permanente levée à Dawson City.

Grâce à cette action énergique et malgré quelques bavures insignifiantes, la ruée vers l'or du Yukon a été très ordonnée et, surtout, elle a contribué à imposer le principe de la souveraineté canadienne dans cette région peu fréquentée avant la découverte de l'or.  Par exemple, en partant de Vancouver, l'expédition a utilisé une route d'accès qui, bien que très difficile et beaucoup plus lente que celle venant de l'Alaska, avait l'avantage d'être presque entièrement en territoire canadien.  Pour le retour, on simplifiera toutefois les choses en utilisant le territoire américain 10 jours entre Fort Selkirk et Vancouver, plutôt que quatre mois à l'aller.

En cette occasion, pour la première fois - et cette situation ne se renouvellera pas avant un demi-siècle -, des troupes canadiennes se sont aventurées et ont hiverné au nord du 60e parallèle, où se situe pourtant le tiers de la masse continentale canadienne
Parmi les participants à l'expédition, l'on retrouve le capitaine Harry Burstall, qui deviendra major général et chef d'état-major de l'armée, ainsi que S.B. Steele, surintendant de la Police montée, présent lors de la campagne du Nord-Ouest et dont la carrière le conduira plus tard en Afrique du Sud.

 

L’aide au pouvoir civil

Entre 1867 et 1898, la milice intervient à 67 reprises pour soutenir le pouvoir civil et deux fois dans des pénitenciers.  Convoqués par les autorités civiles locales, les soldats répondent avec plus au moins de bonne grâce, chacun devant alors délaisser ses occupations et renoncer à son salaire pour une période indéterminée.  Par surcroît, jusqu'en 1879, alors que le gouvernement canadien verse aux villes l'argent requis pour le paiement rapide et complet des coûts, les soldats-citoyens savent que certaines villes qui demandent leur aide ne seront pas en mesure de les rétribuer.  Aussi longtemps que les policiers n'auront pas été formés en corps solidement structurés, les miliciens seront appelés pour rétablir l'ordre : ils n'apprécient guère ce rôle.

Le rapport annuel de la milice de 1878 énumère les difficultés liées à ces interventions ponctuelles.  « Des désordres se présentent souvent chaque année.  La milice n'a pas les connaissances nécessaires, la police est trop faible, les miliciens sont obligés de combattre les gens du même coin du pays ; il faut une force militaire permanente. »

À elle seule, la formule du vote électoral à main levée provoque, entre 1867 et 1883, 13 émeutes réelles ou appréhendées, dont 11 au Québec seulement.  Des modifications à la Loi électorale vont mettre un terme aux interventions de la Milice dans ce champ d'activité.  Les querelles linguistiques, religieuses et scolaires, ainsi que les défilés annuels des Orangistes constituent autant de prétextes à un appel des troupes.  Les événements les plus difficiles à gérer sont les grèves.  Levée sur place, la force de contrôle est souvent formée d'hommes qui vivent à proximité du lieu des manifestations ou qui sont apparentés à ceux qu'ils doivent combattre.  Généralement, les miliciens sont appelés après un premier assaut violent perpétré contre la personne où contre la propriété.  Dans plus de 90 pour cent des cas, leur seule présence réussit à empêcher les débordements.  L'absence de véritables corps policiers est à la base de la plupart de ces interventions.

 

L’expédition du Nil 1884-1885

L'aptitude des Forces armées canadiennes à agir à l'extérieur du territoire national se dessine en 1884, au moment où le major général C.G. Gordon est assiégé à Khartoum dans le Haut-Nil soudanais.
La Grande-Bretagne organise une expédition de secours dirigée par le général Garnet Wolseley.  En 1881 et 1882, alors chef d'état-major de l'armée, il s'était farouchement opposé au vieux projet de construction d'un tunnel sous la Manche relancé avec force par des hommes d'affaires français et britanniques.  Cette prise de position n'atteint en rien son aura de vainqueur de Ter-et-Kebir ou son titre de lord Wolseley du Caire.  Au Canada, Wolseley a dirigé la campagne de la rivière Rouge.  Il a gardé un bon souvenir des Canadiens qui ont permis aux troupes britanniques d'être approvisionnées durant la marche et le conflit de 1870.

Dès son déclenchement et pendant l'année qui suit, l'affaire soudanaise a des échos au Canada où des colonels se disent prêts à lever leurs régiments de milice pour aller combattre dans ce Haut-Nil lointain.  Prudent, le gouvernement britannique prend le pouls du Canada par rapport aux heureuses dispositions des volontaires, mais il fait savoir que la Nouvelle-Galles, un État du sud de l'Australie, a offert un contingent.  Le premier ministre John A. Macdonald peut facilement résister aux quelques zélés pressés d'aller à Khartoum même si, ce faisant, il déçoit les autorités britanniques et froisse quelques-uns de ses compatriotes.

Cependant, dès 1884, il consent à ce que les Britanniques recrutent au Canada quelques centaines de « voyageurs » qui aideront à la logistique des combattants remontant le Nil.  Autrement dit, Wolseley, qui a été favorablement impressionné par ses Canadiens, entend leur faire jouer un rôle similaire à celui de 1870, mais sur une scène étrangère, sous un autre climat et pour une cause qui ne les regarde en rien.
Près de 400 Canadiens, dont un grand nombre ignore tout de la tâche qui les attend, vont signer un engagement de six mois : c'est que l'époque des voyageurs est déjà presque révolue en Amérique du Nord.  Les volontaires qui iront là-bas ne porteront pas l'uniforme.  Ils n'auront pas d'armes et ne participeront pas aux rares combats conduits par Wolseley.  Quant à Gordon et ses troupes, ils seront anéantis avant même que les secours leur parviennent.
Quelques personnalités dignes d'intérêt se glissent parmi ces volontaires.  L'une d'entre elles est le lieutenant-colonel Fred C. Denison, l'aide de camp de Wolseley, en 1869-1870.  Il appartient à une famille qui, depuis le milieu du XIXe siècle et jusqu'à aujourd'hui, alors que certains de ses membres sont encore dans la Réserve, a été de toutes les affaires militaires canadiennes.  On remarque également la présence d'un aumônier catholique, le capitaine A. Bouchard, qui, ayant déjà été missionnaire à Khartoum, est disposé à y retourner pour servir d'interprète et veiller sur l'âme des soldats canadiens.  Le sergent d'hôpital Gaston P Labat qui, un an plus tard environ, sera sur le Saskatchewan avec un frère de Fred C. Denison, accompagne le major T.L.H. Neilson, chirurgien-major de la Batterie B, lui-même vétéran de l'affaire de la rivière Rouge.

Les 386 Canadiens quittent Halifax le 14 septembre 1884.  Quinze jours plus tard, ils débarquent à Gibraltar.  En mer, l'un des hommes a succombé à la maladie.  Le groupe atteint Alexandrie le 7 octobre puis, en train et en bateau à vapeur, dépassant Luxor et Assouan, ils parviennent enfin aux premières cataractes.  En novembre 1884, nos hommes sont au travail.  Le 1er décembre, l'expédition est à mi-chemin entre Khartoum et Alexandrie.  À chacune des 14 cataractes, qui s'étendent sur 15 kilomètres et créent une dénivellation d'environ 40 mètres, les voyageurs canadiens sont en place, attendant l'arrivée de nouvelles troupes britanniques auxquelles ils font franchir ces obstacles.  L'Iroquois Louis Capitaine et quelques autres perdront la vie dans ces épreuves de courage et d'endurance.

Un nouvel engagement de six mois, à compter du 6 mars 1885, a été proposé aux voyageurs, mais seulement 86 hommes, sous les ordres de Denison, l'acceptent.  Pour les autres, la mission prend fin avant d'avoir véritablement commencé.  Le 10 janvier, peu avant l'expiration de leur contrat, la plupart des Canadiens reprennent le chemin du retour et se dirigent vers Alexandrie où leur embarquement débutera en février.
L'expérience a permis aux volontaires canadiens d'observer ce que d'autres participants aux guerres britanniques remarqueront à leur tour : chez les Britanniques, le traitement réservé aux officiers et aux hommes de troupe est très différent.  Comme les soldats anglais, ils ont été moins bien nourris que les officiers.  Réagissant à cette injustice, un Canadien qui a osé ouvrir une boîte de fromage a eu droit à trois mois de prison.  On prétend, parmi les Canadiens, que si un soldat anglais avait commis la même faute, il aurait pu écoper de cinq ans de travaux forcés.
En avril 1885, dans une lettre au Gouverneur général du Canada, Wolseley félicite les Canadiens.  Au mois d'août, la Chambre des lords et les Communes britanniques appuient un vote de remerciement à leur intention.  Tous les volontaires recevront la médaille spéciale britannique immortalisant cette expédition.  Ceux qui auront renouvelé leur contrat y ajouteront l'agrafe de la bataille de Kirbekan, bien qu'ils n'y aient pas combattu.

 

Le Vénézuela et le Canada

L'appartenance du Canada à l'Empire britannique peut avoir d'autres répercussions.  Ainsi en est-il du différend qui surgit, en 1895, entre l'Angleterre et le Venezuela, au sujet des frontières de la Guyane Britannique.  Or, en 1895, Grover Cleveland, le président des États-Unis, semble disposé à prendre fait et cause pour le Venezuela, contre l'Angleterre.  Poussée au pied du mur dans cette affaire, l'Angleterre pourrait décider d'entrer en guerre contre les Vénézuéliens.  Pour le Canada, cette perspective signifie un possible affrontement avec les États-Unis qui pourraient bien être tentés d'envahir cette partie de l'Empire britannique.

Le gouvernement canadien réagit aussitôt en fonction de cette éventualité en investissant trois millions de dollars dans le réarmement.  Les fusils Snider à un coup sont remplacés par 40 000 Lee Enfield .303 à répétition.  On achète quelques mitrailleuses modernes et on refait l'armement de l'artillerie.

Même si cette crise n'a eu aucune conséquence violente, elle a pourtant incité les autorités gouvernementales à agir sous l'effet de la panique.  Mauvaise conseillère en matière de gestion de crise et d'administration des affaires militaires du pays, la panique sera de plusieurs autres rendez-vous.

En 1897, pour la première fois depuis 1876, une période d'instruction annuelle de tous les régiments de volontaires devient obligatoire.  Déjà, en 1896, les premiers plans de mobilisation des forces canadiennes en cas de guerre sont publiés.  La Milice est organisée en divisions, brigades, détachements, etc., chaque unité se voyant assigner un centre de mobilisation.  La composition des unités est secrète et la nomination des états-majors doit se faire au tout dernier moment, ce qui pourrait facilement causer de la confusion en cas d'urgence.  Mais ce premier plan, malgré ses faiblesses, est important par son existence même.



11/01/2013
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