Histoires-du-Canada

Histoires-du-Canada

Le tournant 1943

La marine renaissance

L'arrêt des opérations d'une partie de notre marine au début de 1943, l'installation d'équipements de détection plus performants, un entraînement plus poussé, un plus grand nombre de navires d'escorte et l'arrivée d'avions à long rayon d'action permettant de couvrir tout l'Atlantique Nord, sont autant d'éléments qui convertiront une situation navale désastreuse en un succès retentissant avant la fin de l'année 1943.

C'est un fait que lorsque l'ARC acquiert des Liberator américains qui ont une autonomie suffisante pour couvrir toute la zone atlantique à partir des côtes nord-américaines, en collaboration avec les avions alliés venus d'Europe, la liberté d'action des sous-marins allemands devient plus limitée, en particulier le jour.

D'autre part, ayant repris le contrôle de la situation, le Canada, appuyé par la Grande-Bretagne, obtiendra enfin ce qu'il recherche depuis 1942, c'est-à-dire un commandement bien à lui. Les Américains, mêmes quasi-absents de l'Atlantique Nord, veulent garder la main haute sur toutes les côtes nord-américaines. En mars 1943, le Commandement canadien de l'Atlantique du Nord-Ouest naît lors d'une conférence alliée sur les convois, tenue à Washington. La Marine royale du Canada est dès lors responsable de tous les convois circulant au nord de New York et à l'ouest du 47e méridien, soit à environ 1 000 kilomètres d'Halifax. La MRC réorganisée qui reprend charge de convois, au printemps 1943, est plus efficace et, dans les deux années qui suivront, elle détruira
17 des 27 sous-marins, qui seront portés à son actif entre 1939 et 1945. À compter de la fin de 1942, la marine allemande - tout comme son aviation d'ailleurs - n'est plus capable de compenser ses pertes.

 

La menace des sous-marins Allemands s’estompe

NCSM Minotaur, croiseur de la classe 'Colony', Marine royale canadienne. Les croiseurs britanniques Minotaur et Uganda passèrent au service de la marine canadienne en 1945. L’Uganda fut le seul navire canadien servant avec la flotte américaine dans le Pacifique. Il était identique au Minotaur illustré sinon pour le numéro de style américain 91 peint sur sa coque. Ces deux croiseurs furent rebatisés Ontario et Québec respectivement.

 

L’aviation. La stratégie des bombardements stratégiques

Le 6e Groupe de bombardement, qui devient opérationnel le ler janvier 1943 et fait partie du Bomber Command, est sans doute la formation aérienne canadienne la plus connue de la Deuxième Guerre mondiale.  En principe, aussi bien les équipages volants que le personnel au sol doit être canadiens, mais ce louable objectif ne seront jamais totalement réalisé, surtout du côté des techniciens.

Le bombardement aérien était apparu dès la Première Guerre mondiale.  Les Allemands avaient utilisé cette tactique avant les Alliés et avaient tué 1 414 civils et militaires (en plus d'en blesser 3 500 autres).  Mais, ils ont conclu à l'inefficacité du bombardement qui, pourtant, forçait leurs adversaires à organiser des batteries de canons antiaériens, munies de projecteurs puissants, et des escadrons spéciaux de chasseurs.  Le 5 juin 1918, les Britanniques ont pour leur part lancé leurs premiers gros bombardiers dans la bataille, qui feront tomber 543 tonnes de bombes sur des villes allemandes de la Rhénanie.  Malgré la recherche de cibles militaires, ce sont déjà les civils qui paient le gros prix d'un côté comme de l'autre.  Les Alliés auront tué 746 Allemands et en auront blessé 800, avant le 11 novembre 1918.

Dans les années 1920 et 1930, des théoriciens de plusieurs nations avaient prédit que l'aviation allait représenter l'arme décisive de la prochaine guerre.  Jusqu'à un certain point, les deux bombes atomiques lâchées sur le Japon, en août 1945, allaient leur donner raison.  Mais ni les expériences menées par l'Allemagne en Espagne ou encore contre l'Angleterre, ni celles tentées par les Alliés, contre l'Allemagne, à l'aide de bombardiers lourds de plus en plus nombreux, n'ont abouti à l'abandon du combat par l'ennemi.

 

L’aviation. Le 6e groupe de bombardement (ACRC)

 

Avro Lancaster X, Aviation royale canadienne. À compter de 1943, une douzaine d’escadrilles de l’Aviation royale du Canada sont aux commandes de Avro Lancasters participant au bombardement de l’Allemagne. Plus de 7,300 Lancasters furent construits durant la guerre dont 430 au Canada. Celui-ci fut restauré par le Canadian Warplane Heritage Museum porte les insignes du Lancaster X dans lequel A.C. Mynarski se sacrifia pour sauver ses camarades. La Croix Victoria lui fut décernée à titre posthume pour son héroïsme.

 

Le 6e Groupe de bombardement allait éventuellement fournir 16 escadrilles, comprenant jusqu'à 20 avions chacune : quelques dizaines de ces appareils seront de plusieurs des nombreux raids qui réunissaient parfois jusqu'à 1 000 aéronefs et plus, dirigés contre des cibles bien précises.  Le nombre de ses pertes (incluant les demi-tours avant d'atteindre l'objectif) allait être très élevé dans les premiers mois d'existence du 6e Groupe.  Mais, en 1945, il est devenu l'un des plus performants du Bomber Command.

Les 17 et 18 août 1943, le bombardement de Peenemünde, sur la côte de la mer Baltique, était mené par 541 avions, dont 57 du 6e Groupe.  Les pertes totales sont de 6,7 pour cent, mais, pour les avions canadiens, arrivés les derniers au-dessus de Peenemünde, ce pourcentage est de 19,7.  Par ailleurs, dans la bataille de Berlin, qui s'étale entre la mi-novembre 1943 et le 25 mars 1944, les bombardiers canadiens, qui font 1 086 des 10 813 sorties enregistrées, subissent 6 pour cent de pertes, contre 5,8 pour tout le Bomber Command.  Au-dessus de Nuremberg, dans la nuit du 30 au 31 mars 1944, le Bomber Command subit 12 pour cent de pertes, le 6e Groupe étant à 11 pour cent.

Certains raids resteront meurtriers, peu importe le niveau d'expérience du groupe.  Ainsi, contre Magdeburg, dans la nuit du 21 au 22 janvier 1944, les Canadiens atteignent le taux désastreux de 12,3 pour cent de pertes, alors qu'au total il n'est qu'à 9 pour cent, ce qui est déjà considéré élevé.  Un raid contre certains barrages de la Ruhr (les Dam Busters) utilisant des bombes spéciales, fera appel à 30 Canadiens, parmi les 133 hommes d'équipage des 19 bombardiers au cœur de l'action.  Quatorze Canadiens meurent, sur un total de 56 tués.

 

L’armée, la Sicile et l’Italie. La campagne d’Italie- les débuts en Sicile

Carte des avancements des Canadiens à l'est de La Sicile en 1943.
La Sicile devient le premier champ de bataille important des Canadiens durant la Deuxième Guerre mondiale.

 

Le bombardement stratégique voit ses techniques évoluer rapidement.  Les instruments de navigation permettent une précision de plus en plus grande vis-à-vis des cibles, même de nuit.  Le 8e Groupe de bombardement est également canadien, mais son rôle n'est pas de bombarder.  Ses avions arrivent au-dessus de la zone visée plus tôt que la vague des bombardiers et ils lâchent au-dessus des objectifs des fusées éclairantes munies de parachutes à l'intention de ceux chargés de laisser tomber les bombes.  On ajoute à cela, pour plus de précision, le « maître du bombardement », qui peut communiquer avec les appareils et rediriger leurs tirs, lorsque cela est nécessaire et possible.  Au total, le bombardement stratégique restera un aspect de la guerre où l'exactitude ne sera pas toujours au rendez-vous.  On sait, plus de 50 ans plus tard, que le « bombardement chirurgical » relève encore de la chimère.

Parmi les moyens pour améliorer le sort des équipages, on trouvera des radars de repérage des ennemis, des mitrailleuses dans des tourelles avant ou arrière des bombardiers, l'utilisation de méthodes de brouillage des radars ennemis auxquels on offre de multiples cibles en lançant, en des endroits éloignés des objectifs, de longs rubans de papier aluminium.

 

Tout compte fait, le bombardement stratégique restera une aventure dangereuse jusqu'à la toute fin de la guerre.  Le moral des équipages repartant nuit après nuit afin d'obtenir les 30 missions qui les libéreront de ce sale boulot sera souvent chancelant, en raison des pertes sévères subies lors de chacune des sorties, mais il ne se brisera pas. Les aviateurs canadiens serviront aussi dans d'autres secteurs et se verront confier d'autres missions : nous aurons l'occasion de les rencontrer.

 

En route pour l’Italie

 

L'assaut contre la terre ferme italienne est lancé de la Sicile par le détroit de Messine, le 3 septembre, anniversaire de la déclaration de la guerre par l'Angleterre.  Les troupes italiennes n'ayant nul désir de combattre et les Allemands nulle intention de défendre la Calabre, les Canadiens ne peut avancer rapidement dans cette région montagneuse.  Lorsque, officiellement, l'Italie signe un armistice, ce sont les Allemands, renforcés de quelques troupes fascistes italiennes, qui continuent les combats, en rien facilités pour autant.  La pluie et le mauvais état des routes causent plus de difficultés aux Canadiens que l'ennemi.  En 17 jours, ils se retrouvent à 735 kilomètres de leur point de débarquement.  Le 14 octobre, la 1re Brigade occupe Campobasso et, le lendemain, la 2e Brigade prend Vinchiaturo.  Le long de la côte Adriatique, des chars canadiens prennent part, avec des unités britanniques, à l'attaque contre Termoli.  Lorsque viennent les premières neiges, le général Montgomery attaque solidement la ligne allemande le long du Sangro.  L'offensive alliée, sur le flanc gauche, s'est embourbée au nord de Naples après le débarquement dramatique de Salerne.  Pour continuer sur la lancée initiale, on considère donc essentiel d'avancer le long de la côte Adriatique.  Cependant, le littoral est étroit et découpé à angle droit par une série de vallées profondes, de sorte que Britanniques et Canadiens ont à peine réussi à chasser les Allemands du Sangro qu'ils font à nouveau face à une situation similaire à la rivière Moro.  Certains des combats les plus acharnés de la guerre ont lieu à cet endroit.  Les Allemands contre-attaquent sans arrêt et acceptent le corps à corps, tandis que les Canadiens se frayent un chemin dans San Leonardo et traversent le carrefour Berardi (où le capitaine Paul Triquet, du Royal 22e Régiment, remporte la première Croix de Victoria décernée à un Canadien au cours de la guerre de 1939-1945), ce qui leur ouvre la route vers Ortona, sur la côte.

 

 

Carte des opérations canadiennes en Italie, 3 septembre 1943 au 25 février 1945 En tout, 92 700 Canadiens ont servi en Italie dont 5 764 ont péri.

 

Le Major-général Guy G. Simonds. La 1re Division canadienne était sous le commandement du major-général Guy G. Simonds en Italie

 

La bataille d’Ortona

Ortona, c'est l'histoire de sept pénibles journées d'un combat rapproché mené dans le froid, l'humidité et la neige, où le courage et l'héroïsme sont constamment au rendez-vous.  La ville est sise sur une falaise qui surplombe l'Adriatique.  Les Allemands décident de s'y replier.  Le port est bloqué par des épaves, de nombreux bâtiments sont rasés et les rues étroites de cette ville médiévale sont remplies de décombres.  L'ennemi sait bien que l'artillerie et les blindés ne seront pas d'une grande utilité contre eux et que la bataille qui va suivre en sera une de fantassins, menée à coups de fusils, de mortiers, de mitrailleuses, de grenades et de mines ; ses troupes sont parmi les meilleures, des hommes de la 1re Division allemande de parachutistes.  Leur faisant face, il y a la 1re Division d'infanterie canadienne formée des trois régiments de fantassins de la Force permanente, ainsi que de régiments de la Milice venus de tout les pays.

Le 20 décembre, les fantassins canadiens quittent le carrefour Berardi pour avancer lentement vers les faubourgs d'Ortona d'où, le lendemain, ils engagent le combat pour la prise de la ville.  Les Allemands tirent profit de leurs positions en tentant d'attirer les Canadiens vers la place centrale (la Piazza Municipale), où ils espèrent pouvoir les massacrer.  Se frayer un passage à travers les rues obstruées de décombres n'équivaudrait qu'à combattre de la manière voulue par l'ennemi ; les Canadiens entreprennent plutôt de percer, à coups de canons, des « trous de souris » à travers murs et bâtiments.  Pendant des jours et des nuits les canons de campagne et les chars d'assaut jouent un rôle essentiel dans la progression des fantassins en bombardant lorsque c'est possible les étages supérieurs des bâtiments occupés par les parachutistes ennemis.  La bataille se termine toutefois comme elle a commencé, par un combat entre fantassins.  Au plan stratégique, la ville a peu d'importance, et pourtant les deux camps s'y battront avec beaucoup d'acharnement.

Un débat a toujours cours parmi les experts fallait-il attaquer la ville de front, comme on l'a fait, ou la dépasser et en forcer l'abandon ?  Toujours est-il que le 22 décembre, troisième jour des combats, le commandement canadien décide de s'en prendre à la clé de la position allemande, soit la route qui longe la côte en direction du nord-ouest.  C'est par là que l'ennemi relève et renforce les défenseurs de la ville proprement dite.  Une attaque auxiliaire est donc déclenchée à l'ouest, en direction du village de San Tommaso.  Les Allemands semblent surpris, et les hommes du 48th Highlanders parviennent à occuper une position au nord-ouest de la ville et à la garder, en dépit de violentes contre-attaques allemandes.  Incapables d'infiltrer ces positions, les Allemands se rendent compte que leurs hommes sont en danger dans Ortona, dont le cœur est déjà entre les mains des Canadiens.  Au cours de la nuit du 27 au 28 décembre, les parachutistes ennemis se retirent.  Le lendemain matin, une patrouille de reconnaissance canadienne avance prudemment dans Ortona : elle n'y trouve que les morts de l'ennemi.

La 1re Division vient de remporter une des plus glorieuses batailles de son histoire, mais elle lui a coûté cher.  Les Allemands ont aussi subi de lourdes pertes.  Chacun des bataillons de la 1re Division de parachutistes a maintenant juste assez d'hommes pour former une compagnie.

Décembre a été douloureux à plus d'un titre.  Le général A. McNaughton, ayant perdu la confiance de ses chefs britanniques, circonvenu par quelques subordonnés ambitieux et abandonné par son ministre, est amené à démissionner pour raison de santé.  Pour sa part, le premier ministre garde en réserve un avenir politique pour cet homme, qui ne se réalisera cependant pas.  C'est le général H.D.G. Crerar qui remplace McNaughton à la tête de l'Armée canadienne.

 

La progression vers Rome - Les lignes Hitler et Gustav

À la différence d'Ortona, Rome a une très grande importance morale et politique.  En conséquence, la prendre aura plus d'effet sur le reste du monde que toute victoire remportée jusque-là par les Forces alliées.  Aussi, pour conserver Rome, le commandant allemand a préparé ce qui constitue peut-être sa plus solide position défensive dans toute l'Italie.  On construit deux lignes de fortifications : les lignes Gustav et Hitler, en travers de la profonde gorge située entre les monts Matese et Aurunci.  En janvier 1944, les Américains viennent bien près de rompre la ligne Gustav à l'ombre du mont Cassin.  Les Indiens et les Néo-Zélandais essaient à leur tour.  En fin de compte, le 13e Corps d'armée britannique, formé de divisions britanniques et indiennes, réussit à ouvrir une brèche dans les ouvrages de défense.  Le ler Corps d'armée canadien, commandé par le lieutenant général E.L.M.  Burns, entre dans la mêlée avec son infanterie et ses blindés.  Entre Saint'Olivia et Aquino s'offrent aux yeux des Canadiens la vallée de la Liri, la ligne Hitler ainsi que la rivière Forme d'Aquino.  Le 23 mai, l'attaque est déclenchée.  Les troupes se frayent un chemin à travers la poussière, la fumée et la brume matinale.  Secoués par des vagues de tir d'artillerie, de mortiers et d'armes portatives, les bataillons de la 2e Brigade atteignent la ligne ennemie, y font une brèche, puis s'accrochent avec acharnement et vaillance aux positions qu'ils ont remportées.  Sur la gauche, le Carleton and York Regiment, de la 3e Brigade, fait une trouée dans la ligne et, avec l'appui du West Nova Scotia Regiment et des chars du Régiment de Trois-Rivières, ouvre le passage.  Entre-temps, la 1re Brigade chasse l'ennemi de Pontecorvo.  À ce moment-là, les Allemands tiennent toujours Aquino sur le flanc ; mais à l'aube du 24 mai, les chars de la 5e Division blindée peuvent traverser les brèches ouvertes dans la ligne Hitler afin de tirer profit de la situation au-delà du front.  Les Canadiens éprouvent quelques difficultés à la rivière Melfa, où le major J.K. Mahoney du Westminster Regiment remporte la Croix de Victoria.  Mais, une fois ce cours d'eau traversé, le véritable combat pour la vallée de la Liri est terminé et l'opération se transforme en poursuite.  Le 31 mai, le Loyal Edmonton Regiment occupe Frosinone et la campagne prend fin.  Le Corps d'armée canadien est retiré des opérations et, le 4 juin, les Américains entrent dans Rome.  Les troupes canadiennes, qui ont pourtant pris part aux batailles sanglantes du mont Cassin et de la vallée de la Liri, se voient refuser l'honneur de défiler dans les rues de la Ville éternelle, au contraire de nombreux autres Canadiens servant au sein de la Force de service spécial canado-américaine.

 

Le roi George VI décerne la Croix de Victoria au major John K. Mahoney du Westminster Regiment (Motor) pour son héroïsme au combat de la rivière Melfa en Italie le 24 mai 1944.

 

La bataille de la ligne Gothique

L'automne et l'hiver de 1944 ramènent les Canadiens sur la côte Adriatique.  L'ennemi s'est replié derrière la ligne Gothique qui s'étend, en gros, de Pise à Pesaro, et qui est formée de barbelés, de fossés antichars, de tranchées-fissures et de tourelles de chars montées dans des blockhaus en béton armé.  Étant donné que les nombreuses usines du nord de l'Italie fournissent aux Allemands beaucoup du matériel dont ils ont besoin, on peut s'attendre à une lutte acharnée pour empêcher que les Alliés débouchent dans la grande plaine de Lombardie.

Le plan des Alliés consiste à attaquer le flanc est, où le terrain est plus facile d'accès, puis à tourner à gauche en direction de Bologne.  Comme le succès de l'opération repose sur la surprise, on juge essentiel de faire croire aux Allemands que le gros de l'attaque viendra du côté ouest des Apennins.  En conséquence, les Américains font étalage de leurs préparatifs dans les environs de Florence.  Puisque la présence des Canadiens est habituellement signe d'une offensive importante, les Britanniques sont en mesure de tenter, une fois de plus, la feinte qui a si bien réussi à Amiens en 1918 : envoyer la 1re Division canadienne à Florence, puis l'expédier à la dérobée dans un autre secteur du front.  En Italie, il est plus difficile de garder le secret qu'en France et on n'est pas sûr que ce subterfuge ait vraiment réussi.  Chose certaine, les Allemands résiste avec ténacité aux Canadiens dans les collines qui séparent le Métaure de la Foglia.  Mais sur deux colonnes, les 11e et 5e Divisions traversent les villages de Borgo San Maria et de Montecchio.  La ligne Gothique, qui devait résister six mois, est tombée en 24 heures.  Les Canadiens ont eu à la fois de la chance - plusieurs unités allemandes n'ont pas eu le temps d'intégrer leurs positions défensives - et ont fait preuve d'audace, en continuant d'avancer à la suite de leurs succès initiaux assez précaires.  Même si la ligne est percée dès la fin du mois d'août, il faudra tout de même trois semaines aux Canadiens pour atteindre Rimini.  En effet, la fin des chaleurs estivales et l'arrivée des pluies d'automne imposent d'autres obstacles aux assaillants qui voient les routes poussiéreuses se remplir de fondrières et les ruisseaux devenir des torrents.  Toutefois, le moral des Alliés est bon et les troupes ennemies sont de piètre qualité, sauf les parachutistes dont le nombre a cependant fondu dans des combats incessants.  À force de lutter d'arrache-pied, les Canadiens prennent Coriano et la crête qui la domine, puis la colline de San Fortunato qui bloque l'entrée de la plaine du Pô lorsqu'on vient du littoral de l'Adriatique.  Dès lors, les vastes champs du nord de l'Italie s'ouvrent devant eux : ils ont dû vaincre 11 divisions allemandes pour s'y rendre.

 

L’armée canadienne réunie

Il reste encore de difficiles combats à livrer le long des cours d'eau qui séparent Rimini de la Senio ainsi qu'à travers la Savio et les marécages de Ravenne.  Mais le Corps d'armée canadien ne les verra pas tous.  Le gouvernement canadien tient en effet à ce qu'il rejoigne la 1re Armée canadienne dans le nord-ouest de l'Europe.  En janvier 1945, à Malte, le comité mixte des chefs d'état-major accepte de respecter cette volonté canadienne malgré les difficultés que représente le retrait d'une force militaire nombreuse en pleine opération.  Le 9 février 1945, le commandant de la 8e Armée fait ses adieux aux officiers supérieurs du Corps d'armée ; c'est alors que commence, dans le plus grand secret, le déplacement vers la France.  Le 15 mars, le ler Corps d'armée canadien prend à sa charge la région de Nimègue, aux Pays-Bas.  Deux semaines plus tard, les troupes de la 5e Division blindée et de la 1re Division d'infanterie entrent en ligne pour la dernière étape de l'offensive contre l'Allemagne et l'ouest des Pays-Bas.

 

La Normandie et le nord-ouest de l'Europe. La participation du Canada aux opérations Overlord et Neptune

Opérations canadiennes dans le nord-ouest de l’Europe, du 6 juin 1944 au 8 mai 1945. Carte des opérations de l’armée canadienne dans le nord-ouest de l’Europe, du 6 juin 1944 au 8 mai 1945. Les flèches blanches dénotent les troupes canadiennes.

 

En juin 1944, il n'est pas faux d'affirmer, comme l'a fait le grand historien militaire canadien Desmond Morton, que le Canada mène une guerre totale sur son territoire (avec sa mobilisation des ressources nationales humaines, matérielles, économiques et financières, sa propagande, sa censure, etc.) alors qu'il conduit une guerre limitée à l'extérieur de chez lui qui repose entièrement, à ce moment-là, sur le sacrifice librement consenti de centaines de milliers de ses jeunes hommes et femmes.  Dans cette perspective, la participation canadienne au débarquement et à la campagne de Normandie représente une des pointes d'un effort total colossal.  Dès que le Canada accepte de participer à l'opération Overlord, ce sont des Canadiens qui prennent en main l'organisation de leur débarquement.

Le Canada est présent dans la phase navale et aérienne qui prépare le débarquement, soit l'opération Neptune.  Mais les navires canadiens utilisés ne le sont généralement pas en appui direct des forces terrestres canadiennes.  Un manque total de coordination existe entre les trois éléments canadiens, chacun opérant sous des commandements bien différents.  Ainsi, les 10 dragueurs de mines canadiens de la 31e Flottille ouvrent un chenal en face d'Omaha, dans le secteur américain.  Les six autres dragueurs seront dispersés dans diverses flottilles.  Le Canada, qui fournit 16 des 247 dragueurs, aura également deux navires de débarquement d'infanterie, qui desserviront surtout la plage britannique Gold et, un peu, la plage canadienne Juno.  Durant des semaines, 19 corvettes canadiennes, sur un total de 181 navires d'escorte alliés, protégeront la logistique à travers la Manche.  Une autre partie des Forces maritimes canadiennes, composée de destroyers et d'avions de l'aviation côtière, patrouillera l'ouest de la zone Neptune ou la haute mer, engagée dans la chasse aux sous-marins et aux navires allemands.  Le 162e Escadron de l'Aviation royale canadienne sera ainsi crédité de cinq U-boot.

La 260e Flotille de péniches de débarquement d'infanterie sera cependant attachée à la plage canadienne de Juno.  Deux destroyers canadiens (l'Algonquin et le Sioux) se rendront très utiles dans les premières phases du débarquement : par exemple, l'Algonquin canonnera et détruira une position d'artillerie ennemie.  Quant à la 29e Flotille de torpilleurs canadienne, elle travaillera à l'interception du commerce côtier et des navires de guerre de l'ennemi qui opèrent dans la zone du débarquement.

 

Vedette lance-torpille. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des forces navales utilisaient la vedette lance-torpille. Ces embarcations comprenaient des moteurs à haute vitesse, un armement de deux ou trois lance-torpilles et un assortiment de mitrailleuses et pièce d'artilleries. Malgré leur vitesse, les vedettes lance-torpille manquaient de protection et étaient employées surtout à noirceur. Deux flotilles canadiennes ont employé des torpilleurs dans la Manche en 1944-1945.

 

La 2e Force aérienne tactique inclut, pour sa part, plusieurs escadrons canadiens qui sont parmi les premiers à s'installer dans des aérodromes temporaires en Normandie même.  Dès le 10 juin, les 441e, 442e et 443e Escadrons de la 144e Escadre canadienne se posent en Normandie.  À la fin de juin, les 126e et 127e Escadres s'y ajoutent.  En juin, les pertes aériennes infligées à l'ennemi par les Canadiens s'élèvent à une centaine d'avions.

 

Croiseur anti-aérien de la classe 'Dido', Royal Navy, le 6 juin 1944. Navire escortant les troupes de débarquement canadiennes en Normandie, le 6 juin 1944.

 

Le jour (J) le débarquement du 6 juin

 

Matelot, Beach Commando 'W', Marine royale du Canada, 1944. Il y avait qu'une seule unité de la Marine royale du Canada qui a porté le nom célèbre de 'commando'. Le Beach Commando 'W' était entraîné pour aller à terre à noirceur avant les premiers combattants. Leur mission était de mettre les plages en état de sûreté et de transmettre des informations sur les états des plages de débarquement. Malgré des mois d'entraînement en Écosse, les Canadiens ne sont pas allés à terre le jour J. Ils ont atterri trois jours plus tard pour remplacer une unité britannique, le Beach Commando 'P'. Ils ont passé plusieurs semaines comme conciliateurs et agents de circulation, dirigeant les péniches de débarquements ainsi que les hommes et leur équipement à leurs déstinations. Ce matelot porte l'habit militaire britannique de 1942, le nouveau casque Mk III et la mitrailleuse Lanchester. Cette unité portait l'attribut des opérations combinées ainsi que l'insigne du Canada.

 

Le 6 juin, le Canada, qui est le seul pays à avoir tenu une comptabilité aussi précise, a pu mettre à terre environ 12 000 hommes de sa 3e Division d'infanterie et de sa 2e Brigade blindée, soit bien moins que les projections faites.  Cela représente environ 1/10e des soldats alliés ayant débarqué à ce moment-là.  Parmi eux, les premiers à arriver en Normandie sont les membres du 1er Bataillon parachutiste canadien.  À la fin de la campagne de Normandie (le 21 août), on trouve plus de 2 000 000 de soldats alliés en sol français, dont environ 100 000 Canadiens (1 sur 20).

 

 

Canon anti-aérien canadien. Canon anti-aérien installé sur la plage de débarquement Juno en Normandie, le 6 juin 1944. Les équipements utilisés par les Canadiens avaient parfois les insignes américains.

 

Entre le 6 juin et le 21 août, les Canadiens auront 18 444 pertes, dont 5 021 morts.  Et, à ce moment-là, ils ne seront pas encore à Rouen.  Bien que les choses aient été relativement faciles pour les Canadiens le premier jour, elles se compliqueront dès le 7 juin.  À la mi-septembre, force est de constater que de toutes les divisions du 21e Groupe d'armées, ce sont, dans l'ordre, les 3e et 2e Divisions d’infanteries canadiennes formant le 2e Corps d'armée canadien qui ont subi le plus de pertes.  La prise de Caen, les combats sur la crête de Verrières et autour d'elle du 25 juillet 1944 (qui devient le deuxième jour le plus coûteux de l'Armée canadienne dans la Deuxième Guerre mondiale, le premier étant Dieppe) et la fermeture de la poche de Falaise donneront malheureusement à nos soldats l'occasion de se mesurer à quelques-unes des meilleures troupes allemandes du front ouest.  Nos hommes, jeunes et inexpérimentés, sortiront de Normandie trempés au feu des pires souffrances, incluant deux bombardements aériens par leurs frères d'armes aviateurs.  Le major David Currie, du South Alberta Regiment obtient la Croix de Victoria à Saint-Lambert-sur-Dives, près de Falaise.

 

À compter du 31 juillet 1944, la 1re Armée canadienne, composée pour la moitié de troupes britanniques et polonaises, est opérationnelle.  Sous le commandement du général H.D.G. Crerar, elle sera chargée, après Chambois, du flanc gauche de la progression des Alliés en France.  Face à Rouen, dans la forêt de la Londe et aux alentours, les Canadiens resteront bloqués 48 heures, subissant encore quelques centaines de pertes, alors que Paris est déjà libre.  Bien que devant eux se dressent de nombreux mois de durs combats, les 100 000 Canadiens alors en France peuvent dire qu'ils ont largement participé aux 460 900 pertes allemandes, entre autres, par le rôle de marteau qu'ils ont joué pour écraser les Allemands contre l'enclume américaine dressée à quelques kilomètres au sud de Falaise.  L'envers de la médaille est, comme nous l'avons souligné, qu'ils occupent une place importante parmi les pertes alliées qui se totalisent à 206 703.

 

Sapeur, Corps royal du génie canadien, en Normandie le 22 juin 1944. Le sapeur C.W. Stevens de la 18è compagnie de campagne, Corps royal du génie canadien, désamorce une mine allemande en Normandie le 22 juin 1944. Il porte le nouveau casque britannique Mk III utilisé par les unités de la 3è Division canadienne en 1944-1945.

 

Le Major-général Rodney Frederick Leopold Keller (1900-1954), commandant la 3ème Division canadienne au débarquement en Normandie. Cliché daté du 20 juin 1944.

 

Char Sherman V (M4A4) canadien du 10th Régiment blindé (The Fort Garry Horse), près de Vaucelles en Normandie, en julliet 1944.

 

La Normandie et le Nord-Ouest de l’Europe. La crise des effectifs et la conscription

Les déboires des fantassins canadiens en Normandie allaient causer une crise politique au Canada, quelques mois plus tard.  Revenons en arrière.  En 1939, le Canada décide de fonder son action militaire d'outre-mer sur le volontariat.  En juin 1940, la Loi sur la mobilisation des ressources nationales prévoit la conscription pour la défense territoriale.  Avec l'extension de la guerre à la côte du Pacifique, les pressions se font de plus en plus fortes pour une conscription également pour l'outremer.  En avril 1942, Mackenzie King décide d'organiser un référendum sur la possibilité de libérer le gouvernement de la promesse qu'il a faite en 1939 de ne pas recourir à cette conscription.  Il obtient un oui à sa question (64 pour cent), mais une très grande majorité des francophones du Québec, à qui cette promesse avait d'abord et avant tout été destinée, répondent non.

Les choses en restent là, bien que le Canada, depuis le début de la guerre, ait étendu « son territoire » afin que ses conscrits puissent défendre Terre-Neuve, les Bermudes, la Guyane britannique et, même, certaines îles Aléoutiennes, dans le Pacifique.  De décembre 1942 à décembre 1944, il y aura toujours entre 60 000 et 75 000 conscrits pour la défense territoriale.

Sur les champs de bataille européens, toutefois, une situation critique se développe.  Environ 70 pour cent des pertes de l'armée de terre viennent de l'infanterie, alors que le taux projeté n'était que de 48 pour cent.  Très rapidement donc, les renforts constitués en fonction du 48 pour cent ne fournissent plus assez de fantassins.  Après avoir utilisé quelques expédients (conversion de techniciens en fantassins, par exemple), compté sur un afflux de volontaires pour l'infanterie qui ne se matérialisera pas, le gouvernement en viendra à forcer, en novembre 1944, 16 000 de ses conscrits pour la défense territoriale à passer outre-mer.  Cette ultime solution, le premier ministre Mackenzie King a tenté de l'éviter jusqu'au bout.

Les missions coûteuses qui ont été assignées aux Canadiens ont donc mené à un ébranlement de la classe politique.  Le ministre de la Défense a été forcé de démissionner quelques semaines avant la décision de novembre 1944, justement parce qu'il préconisait avec trop d'emphase l'utilisation de conscrits pour l'outremer.  C'est alors que Brooke Claxton a été remplacé par Andy McNaughton, sur qui on a compté un instant pour convaincre des conscrits de se porter volontaires.  De plus, le ministre de l'Air, Charles Power, originaire du Québec et combattant de la Première Guerre mondiale, démissionnera par principe, à la suite de cette décision d'utiliser des conscrits outre-mer.

Il y a bien quelques difficultés parmi les conscrits sélectionnés pour l'outremer, mais la population en général accepte la situation.  De toute façon, seulement 12 000 hommes environ auront le temps de traverser ; 2 463 seront utilisés au combat ; 69 d'entre eux seront tués en se battant aussi courageusement que les volontaires.  Cette décision gouvernementale ne détruira pas l'unité du pays, au contraire de ce qu'avait fait l'application de la conscription de 1917-1918.

 

Le retour à Dieppe- La libération des ports de la Manche

Une partie de cartes en France durant l'été de 1944. Soldats du 29e Régiment de reconnaissance blindé canadien (The South Alberta Regiment) en France, jouant aux cartes devant leur char Sherman camouflé durant l'été de 1944.

 

Après Falaise et Rouen, talonnant les armées allemandes décimées, les Canadiens, à l'aile gauche des Forces alliées, traversent rapidement la France en direction de la Belgique.  À Dieppe, ils sont accueillis avec allégresse lors d'un défilé où la malheureuse 2e Division, qui y avait été si éprouvée en 1942, prend la vedette.  Boulogne, Calais et le cap Gris-Nez résistent quelque peu.  Tout de même, dès la fin du mois de septembre, toute la côte de la Manche, à l'exception de Dunkerque, a été libérée et les aires de lancement des fusées allemandes V-1 mises hors d'usage.

 

Le sergent Harold A. Marshal, Calgary Highlanders, Belgique, 6 octobre 1944. Cette peinture est basée sur une photographie célèbre du photographe de guerre Ken Bell qui a été prise le 6 octobre 1944. Le sergent Harold A. Marshall était sergent du peloton de reconnaissance des Calgary Highlanders. Il était tireur d'élite, entraîné et équipé pour tuer à longue distance. Marshall porte le fusil SMLE No. 4 Mk (T) équipé avec une portée de tireur d'élite. Il porte le 'Denison smock', conçu pour les parachutistes mais qui a été adopté par les tireurs d'élite à cause de son motif de camouflage. Le voile de visage vert et brun est porté sur la tête. Marshall est mort au combat le 18 octobre 1944.

 

Entre-temps, les Britanniques et les Américains poursuivent leur avance sur un front étendu.  L'échec de l'opération aéroportée à Arnhem fait que les Alliés se trouvent engagés dans une campagne d'hiver.  Dans ces circonstances, le grand port d'Anvers, ville déjà occupée par les troupes alliées, est essentiel en tant que base de la bataille décisive à venir contre l'Allemagne.  À ce stade, les principales voies d'approvisionnement des Alliés s'étendent encore jusqu'en Normandie.  Occuper Anvers n'est pas suffisant tant que les Allemands sont maîtres des voies d'accès maritimes et du long estuaire sinueux qui y mène.  La tâche de nettoyer ces positions allemandes incombe aux Canadiens.  Le plan d'attaque prévoit plusieurs opérations distinctes mais simultanées : sceller la région de Zuid-Beveland en faisant une percée au nord de l'Escaut, dégager la « poche » de Breskens derrière le canal Léopold, au sud de l'Escaut, réduire l'isthme de Beveland et, enfin, attaquer l'île de Walcheren par la mer.

 

La pénétration en Hollande

L'opération débute le let octobre, alors que la 2e canadienne traverse le canal d'Anvers.  Au même moment, la 3e Division, appuyée par la 4e Division, déclenche l'attaque de l'autre côté du canal Léopold.  L'entreprise est des plus ardues.  Le terrain est difficile ; les digues et les champs inondés rendent les blindés pratiquement inutilisables.  Les Allemands, bien retranchés, sont prêts à livrer une bataille acharnée, à la fois à la porte de l'isthme de Beveland et le long de la rive sud de l'Escaut.  Néanmoins, grâce à leur ténacité, les Canadiens de la 2e Division s'emparent, le 16 octobre, de Woensdrecht, à l'entrée de Zuid-Beveland, et ils établissent une tête de pont sur le canal Léopold.  C'est alors que Montgomery ordonne la cessation de toutes les opérations offensives alliées menées ailleurs sur son front, afin de concentrer ses forces sur l'ouverture de l'estuaire de l'Escaut.  La 4e Division blindée reçoit pour mission de prendre Bergen-op-Zoom.  Entre-temps, la 2e Division redouble d'efforts afin de terminer la conquête du Zuid-Beveland avant la fin du mois.  Après l'occupation de la péninsule et la prise de la poche de Breskens, par la 3e Division, l'attaque contre l'île de Walcheren est menée par des troupes britanniques sous haut commandement canadien.  Le 8 novembre, toute résistance prend fin.  On a commencé à déminer le fleuve avant même cette date, de sorte que, le 28 novembre, le premier convoi allié remonte l'Escaut et décharge des marchandises au port d'Anvers.  Le Fort Cataraqui, de fabrication canadienne, est en tête du convoi.

 

Combat en les Pays-Bas, le 12 Avril 1945. Fantassins du South Saskatchewan Regiment au combat près du canal Orange en les Pays-Bas, le 12 Avril 1945.

 

Dans l'intervalle, la 4e Division blindée pousse vers l'est, livrant quelques durs combats, entre autres à Bergen-op-Zoom, Steenbergen et Saint-Philipsland, où les hommes du Lake Superior et du British Columbia Regiment coulent plusieurs navires allemands dans le port de Zijpe, juste de l'autre côté de l'étroit chenal qui sépare l'île de Schouwen du continent.  Ce combat « naval » conclut une campagne qui s'est déroulée dans des polders inondés, plus souvent que sur la terre ferme.  Dès le 9 novembre, toute résistance ennemie au sud de la Meuse a cessé et les Canadiens regagnent leurs quartiers d'hiver, le long de la Meuse et dans le saillant de Nimègue.  Si l'on omet la pénible tâche de chasser les parachutistes allemands de Kapelsche Veer ainsi que les alertes et les déplacements qui font suite à l'offensive allemande des Ardennes, les mois d'hiver s'écoulent dans le calme relatif des raids et des patrouilles.

 

Patrouille d'hiver dans le saillant de Nimegen, début de 1945. Soldats canadiens durant les combats d’hiver en les Pays-Bas au début de 1945

 

L’offensive alliée en Allemagne

Le Lieutenant-Général Henry Duncan Graham Crerar (1888-1965), commandant en chef des troupes canadiennes en Europe en 1944 et 1945. Cliché pris en France.

 

En février 1945, les Alliés lancent à l'ouest la grande offensive qui doit repousser l'ennemi de l'autre côté du Rhin et saper sa volonté de résister.  À l'est, les Russes ont atteint Budapest.  Installés sur les rives de l'Oder, ils se préparent à marcher sur Berlin, alors que le général Eisenhower continue son avance méthodique sur un front étendu.  Ce dernier remporte des victoires, mais les Russes arrivent les premiers à Berlin, créant ainsi une situation difficile en Europe qui durera près d'un demi-siècle.

De leur côté, les Canadiens entrent dans le jeu le 8 février, date à laquelle leur 1re Armée attaque les positions allemandes dans la Reichswald.  Les troupes du général Crerar englobent le 30e Corps britannique et trois brigades blindées indépendantes, en d'autres mots une majorité des troupes de la 1re Armée canadienne est à ce stade composée d'étrangers, surtout de Britanniques.

Les Allemands ont prévu que l'offensive principale aurait lieu à Venlo, en même temps qu'une attaque américaine sur la Roer.  Ils ne s'attendent à rien de plus qu'une attaque de diversion dans la Reichswald, si bien que les Canadiens rencontrent, comme on l'a prévu, un ennemi surpris et démoralisé.  Cependant, au fur et à mesure que les combats se poursuivent, la résistance allemande se raffermit, aidée par le dégel du printemps et les pluies diluviennes qui sillonnent le paysage de rigoles de boue.  D'autre part, les Américains n'ont pu déclencher leur attaque du fait que leur terrain a été inondé par les Allemands.  Les soldats britanniques et canadiens sont donc seuls, durant plus d'une semaine, se frayant un chemin à travers la forêt de pins et la campagne envahie par les eaux.  Lorsqu'ils atteignent Goch, le 21 février, après avoir combattu à la fois la boue et l'ennemi, ils ont percé la ligne Siegfried tant vantée.  Mais les fantassins canadiens ont énormément souffert et le pire reste encore à venir.

La 7e Brigade avance avec difficulté dans le bois de Moyland, et la 4e Brigade a tout autant de mal le long de la route Goch-Calcar.  Vient ensuite le grand combat pour la crête que couvrent deux forêts, la Hochwald, que la 2e Division doit prendre, et la Balbergerwald, destinée à la 3e Division, tandis que la 4e Division blindée doit foncer dans l'étroit intervalle qui les sépare et déboucher en rase campagne.  La lutte est âpre, acharnée, sans merci.  À bien des points de vue, elle ressemble à certains des combats de la Grande Guerre : la pluie, la boue, la résistance désespérée, l'avance pas à pas, l'épuisement, la fatigue sont les mêmes.  Les pertes sont nombreuses.  Les hommes du Lake Superior et de l'Algonquin atteignent enfin l'extrémité de la brèche.

De durs engagements restent quand même à venir avant de mettre pied sur la rive du Rhin.  La 3e Division s'empare de Sonsbeck ; à partir de là, les régiments blindés, appuyés de leur bataillon motorisé et de l'infanterie, peuvent se diriger vers Veen, qui capitule le 9 mars.  Après un violent combat à Winnenthal, les Canadiens aperçoivent la ville de Wesel, sur l'autre rive du Rhin.  Ici finissent momentanément leurs combats.  Les Allemands ont retranché ce qui reste des divisions de leur première armée de parachutistes sur la rive droite du fleuve.  La grande offensive alliée est terminée mais, du 8 février au 10 mars, les Canadiens ont eu 5 304 tués et blessés.  Le général Eisenhower n'exagère pas lorsqu'il écrit à Crerar : « Il est probable qu'aucune attaque, au cours de cette guerre, n'a eu lieu dans des conditions de terrain aussi difficiles.  Que vous ayez marché à la victoire en dit long sur votre talent et sur la détermination et le courage de vos soldats. »

La route est maintenant libre pour la dernière phase de la campagne en Europe du Nord-Ouest.  Des troupes de la 9e Brigade d'infanterie canadienne, commandées par des Britanniques, participent à la traversée du Rhin à Rees.  Le 1er Bataillon de parachutistes canadien, toujours dans la 6e Division aéroportée depuis son arrivée en Normandie, est largué en bordure nord du bois de Diersfordt, près de Wesel.  Plusieurs jours après, la 3e Division traverse sur la rive droite du Rhin ; les Forces alliées sont en mesure d'exploiter le grand avantage que leur donne le nombre.  Au cours de cette phase, on attribue à la 1re Armée canadienne la mission d'ouvrir la route du ravitaillement vers le nord, en passant par Arnhem, puis de libérer le nord-est des Pays-Bas, de s'emparer de la bande côtière vers l'est jusqu'à l'Elbe et de prendre l'ouest des Pays-Bas.

Sur le plan stratégique, la guerre est terminée.  Dépourvus d'hommes, de ressources techniques et de lignes défensives, les Allemands reculent, à l'ouest, devant les troupes canadiennes, britanniques et américaines exaltées par leurs succès et, à l'est, devant les Russes.  Les Canadiens traversent la frontière nord des Pays-Bas.  La 4e Division blindée, sur le flanc droit, franchit le canal de la Twente et prend Almelo le 5 avril ; la 2e Division d'infanterie franchit le canal de Schipbeek et avance vers le nord, jusqu'à Groningen, qu'elle atteint le 16 avril ; la 3e Division d'infanterie traverse l'Ijssel et occupe Zutphen après plusieurs jours de durs combats, puis traverse Deventer, Zwolle, et Leeuwarden, pour arriver à la mer, le 18 avril.  À l'extrême gauche du flanc, la 5e Division blindée canadienne et la 49e Division britannique, sous les ordres du lieutenant général Foulkes, attaque Arnhem.  Une fois la ville prise, la 5e Division blindée se précipite vers le nord, jusqu'à Hardewijk sur le Zuinder Zee, coupant ainsi la ligne de retraite des Allemands qui défendent Apeldoorn contre la lre Division d'infanterie.  Le 28 avril, dans l'ouest des Pays-Bas, les Allemands ont la main haute sur une ligne qui s'étend à peu près de Wageningen à la mer en passant par Amersfoort.  C'est ce jour-là qu'une trêve entre en vigueur dans ce secteur bientôt, on commencera à ravitailler la population civile affamée.

 

 Le fractionnement de l’Allemagne 

La reddition de l’armée allemande à Wageningen en les Pays-Bas, le 5 mai 1945. Le Lieutenant-Général Charles Ffoulkes (1903-1969), commandant du 1er corps canadien, accepte du Général Johannes Blaskowitz la reddition de l’armée allemande à Wageningen en les Pays-Bas le 5 mai 1945.

 

Entre-temps, le 2e Corps d'armée canadien étend ses opérations de l'est des Pays-Bas à l'ouest de l'Allemagne.  La 4e Division blindée canadienne traverse l'Ems à Meppen et va jusqu'à Friesoythe en passant par Sôgel ; la 2e Division d'infanterie se rend de Groningen à la région d'Oldenbourg ; la 3e Division d'infanterie relève les Polonais à l'embouchure de l'Ems.  En dépit de l'effondrement des armées allemandes partout ailleurs, ce qui reste de son corps de parachutistes plus quelques éléments de sa marine continuent à résister aux Canadiens et à tirer le meilleur parti du terrain marécageux pour leur défense.  Les combats se poursuivent donc à l'ouest d'Oldenbourg et au nord du canal du Kusten, mais la fin n'est qu'une question de jours.  Le 4 mai, l'ordre de cesser le feu est donné alors que les troupes canadiennes avancent lentement vers la base navale de Wilhelmshaven, Aurich et Emden.  Le lendemain, les commandants des deux corps d'armée canadiens, les généraux Foulkes et Simonds, reçoivent, sur leur front respectif, la soumission des généraux Blaskowitz et Straube.  La reddition officielle de l'Allemagne est signée le 7 mai, à Reims (France).  Entre le Rhin inférieur et la ville de Brème, en Allemagne, les Alliés disposent de huit divisions, dont cinq sont canadiennes.  Les troupes du Canada qui pénètrent le plus loin en Allemagne sont celles du 1er Bataillon de parachutistes, qui se rendent à Wismar, où elles rencontrent les Soviétiques le 2 mai.

À la fin de la guerre de 1914-1918, les troupes ont ardemment souhaité rentrer au Canada.  En 1945, ce sentiment est aussi fort et on est d'avis que la durée du service doit être le facteur déterminant du rapatriement tant souhaité.  L'équivalent d'une division restera cependant comme force d'occupation : formée de volontaires et de ceux dont le service outremer a été d'assez courte durée, elle est affectée à la zone d'occupation britannique, au nord-ouest de l'Allemagne.  Ses membres passent toutefois moins d'un an en Allemagne.  Au mois d'avril 1946, la Force canadienne d'occupation délègue ses responsabilités à la 52e Division britannique.  À la fin de la même année, il ne reste qu'une centaine de soldats canadiens au Royaume-Uni.

 

La guerre du Pacifique. La défense de la côte du Pacifique et l'invasion de Kiska

 

Soldat, Le Régiment de Hull, Alaska, août, 1943. Le régiment de Hull était une unité de milice francophone qui a participé à la reconquête, menée par les Américains, des Îles Aléoutiennes. Le régiment a atterri sur l'Île Kiska en août 1943, mais ils ne se sont pas combattus car les japonais avaient déjà quitté en secret. Les soldats d'Outaouais ont enduré des températures très froides jusqu'au mois de janvier 1944. Vu que cette opération comprenait les forces canadiennes aussi bien que les forces américaines, les Canadiens ont utilisé de l'équipement Américain et ils ont porté des casques Américains avec leurs uniformes et leurs armes canadiens.

 

S'il y avait cinq divisions au combat outremer, il y en avait aussi, à un moment, trois autres au Canada dont deux ont été stationnées sur la côte ouest jusqu'à l'automne 1943.  Après que les Japonais eurent été expulsés des îles Aléoutiennes, deux divisions disparaissent (les 7e et 8e et la 6e voit ses effectifs réduits.  À l'automne 1943, à la suite de la fin victorieuse de la bataille de l'Atlantique, toutes les forces de l'Axe refluent.  À son apogée donc, soit en juin 1943, 18 mois après le désastre de Hong Kong, 34 316 hommes, de tous grades, défendent notre côte du Pacifique, contre environ 24 000 sur la côte est.  C'est parmi ceux qui restent sur le Pacifique qu'on choisira 16 000 conscrits pour l'outremer.

En août 1943, un élément de cette force, le 13e Groupe-brigade d'infanterie, plus une partie de la 11e Force de service spécial américain, composée partiellement de volontaires canadiens, seront rassemblés pour attaquer l'île Aléoutienne de Kiska.

Parmi les unités de conscrits engagées se trouve le Régiment de Hull, celui qui enregistre le moins d'absents sans permission au moment de monter à bord des navires, le 12 août.  Des 34 000 hommes de l'opération, 5 300 sont canadiens, incluant les quelque 500 membres de la 1re Force de service spécial.  Malgré le blocus américain autour de l'île, les Japonais se sont échappés quelques heures avant l'arrivée des Canado-Américains.  Une partie des Canadiens restera sur cette île inhospitalière jusqu'en janvier 1944.

 

La contribution aériennes et navales dans le Pacifique

Bombardier Consolidated B24L-20 Liberator. Le bombardier américain Liberator B-24 fut affecté au transport entre l’Angleterre et l’Inde par l’escadron 426 en 1945. Par la suite, ces avions furent affectés à la surveillance côtière. Cette photo de juin 1965 montre un ancien Liberator de l'Aviation indienne en vol pour le Canada pour rejoindre la collection du Musée de l'aviation du Canada.

 

Mais ce n'est pas le seul effort canadien dans le Pacifique.  L'Escadron de reconnaissance 413 sera à Ceylan (aujourd'hui le Sri Lanka), dès mars 1942.  Le chef d'escadrille L.S. Birchall aperçoit la flotte japonaise en route vers Ceylan le 4 avril.  Avant d'être abattu et fait prisonnier, lui et son équipage peuvent transmettre la nouvelle aux forces de défense qui ont le temps de se préparer.  Birchall aura droit, pour son action, au surnom de « sauveur de Ceylan ».

En octobre 1944, le croiseur léger Uganda, remis par la Royal Navy à la Marine royale du Canada, sert dans le Pacifique auprès des Britanniques comme élément de la force antiaérienne, tâche à laquelle il se prête bien, avec ses neuf canons de neuf pouces.  Il couvrira, par exemple, les porte-avions Formidable et Victorious, au large des îles Caroline.

Un événement très particulier se déroulera par ailleurs sur l'Uganda.  Après la fin de la guerre en Europe, le gouvernement annonce que la participation canadienne dans la poursuite des combats dans le Pacifique sera fondée sur le volontariat.  L'Uganda est déjà engagé sur ce front maritime, mais il est décidé que pour la marine aussi les volontaires seuls seront retenus.  D'où un vote qui a lieu sur ce navire, en juillet 1945, où environ les deux tiers de l'équipage disent non au volontariat dans le Pacifique.  L'Uganda rentre au port : on n'aura pas le temps d'en changer l'effectif avant que la guerre soit terminée.
L'Uganda n'aurait été qu'un des navires d'une petite flotte destinée au Pacifique qui en aurait compris une soixantaine, dont deux porte-avions légers, deux croiseurs et bon nombre d'escorteurs.

Par ailleurs, les marins du NCSM Prince Robert accepteront à 85 pour cent d'aller chercher les prisonniers de guerre canadiens ayant survécu aux geôles et à l'esclavage des Japonais.
Cette guerre du Pacifique aurait été poursuivie, du côté de l'aviation, par environ 15 000 hommes formant la force Tiger.  Des Lancaster auraient servi au bombardement stratégique.  Des huit escadrons prévus, seulement deux sont en service dans le secteur, parce qu'ils s'y trouvaient déjà avant juillet 1945.

L'armée de terre devait engager la 6e Division, qui aurait accueilli les volontaires venus d'Europe, surtout, ou directement du Canada.  La division est en formation, sous la direction du major général Bert Hoffmeister, et l'on a déjà décidé qu'elle sera équipée à l'américaine, lorsque les hostilités cessent.  De cette brève expérience, on retiendra une armée qui sort des uniformes britanniques pour s'engouffrer aussitôt dans les uniformes américains.
Le 9 août 1945, un des derniers épisodes marquants de la guerre a lieu.  Le lieutenant Robert Hampton Gray, un Canadien servant dans l'aéronavale britannique, coule le destroyer japonais Amokusa, dans la baie d'Onagawa.  Gray meurt mais reçoit, à titre posthume, la Croix de Victoria.

 

Les militaires francophones et le français durant la Deuxième Guerre mondiale

Dans l'entre-deux-guerres, le gouvernement abandonne ses militaires à leur sort jusqu'en 1936.  À part le maintien dans la Force permanente du Royal 22e Régiment, à peu près rien n'est fait pour faire progresser la présence des francophones et leur langue.  Sans un cadre d'accueil et à la suite de l'amère conscription de 1917-1918, les francophones restent hors des forces.  En 1939, leur pourcentage est à peu près le même qu'en 1914, soit environ 5 pour cent des effectifs.  Dans l'armée de terre, c'est 184 francophones sur 4 169 militaires de tous grades.

Entre 1939 et 1945, en comptant les conscrits pour la défense territoriale, le pourcentage de militaires francophones est estimé à environ 20 pour cent.  Du côté de l'armée de terre, au début de la guerre, on a sérieusement songé à créer une brigade francophone, ce pourquoi on avait largement les effectifs nécessaires.  Finalement, on dispersera les unités francophones à travers les forces.  Quant à la langue française en général, elle apparaît grâce à quelques rares traductions de brochures d'instruction et les échanges verbaux entre francophones puisqu’à peu près tout ce qui s'écrit l'est en anglais, même pour et par les francophones.  L'aviation consent pour sa part à créer un escadron de bombardement francophone.

En fait, un unilingue francophone désirant servir son pays dans sa langue, et au combat, ne voit aucun choix s'offrir à lui hors de l'infanterie.  D'ailleurs, nombreux sont les cas de volontaires pour les blindés ou l'artillerie qui ont été dirigés vers l'infanterie à cause de leur anglais déficient.

Il faut constater, comme le disait déjà avant nous Jean-Yves Gravel, que sans égalité des chances, il était difficile d'exiger l'égalité des sacrifices qu'on avait réclamée aussi bien en 1914-1918 qu'en 1939-1945.  Du côté de l'Armée, la plus avancée des trois quant à l'accueil des francophones, le sous-adjudant général, le major général W.H.S. Macklin, écrit, le 23 mai 1946 : « Personne ne m'a jamais expliqué comment l'Armée canadienne aurait pu absorber une proportion satisfaisante de Canadiens français si l'on avait appliqué l'enrôlement obligatoire en 1939.  Il n'existait pas de cadres dûment formés pour bien asseoir ces éléments et nous n'aurions jamais pu résoudre la difficulté en plein conflit.

 

Le front intérieur et la guerre. Le règne du gouvernement

La guerre met d'énormes pouvoirs entre les mains du gouvernement fédéral qui hésitera à les lâcher par la suite.  La Loi des mesures de guerre, remise en œuvre en 1939, permet de gouverner largement par décrets : durant la guerre, 6 414 décrets seront appliqués par une Fonction publique qui passe de 46 000 à 116 000 fonctionnaires.  Tout ou presque est contrôlé, surtout à partir de juin 1940 : loyers, relations de travail, prix, rationnement, etc.  À partir du milieu de la guerre, le gouvernement commence à déplacer son action vers la social-démocratie, avec les allocations familiales par exemple.

Du côté extérieur, le Canada évolue aussi rapidement.  Le 18 août 1940, alors que tout peut sembler perdu en Europe, le Président américain invite notre Premier ministre à Ogdensburg, petite ville frontalière de l'État de New York.  Il s'agit d'assurer en commun la défense de l'Amérique du Nord.  À cet effet, on crée le Comité permanent conjoint sur la Défense, qui existe toujours.  En avril 1941, le Comité accepte comme règle de fonctionnement la prise en commun des décisions sur la défense.  Ce rapprochement politique a ses limites puisqu'en avril 1941, Churchill et Roosevelt se rencontrent au large de Terre-Neuve en l'absence de Mackenzie King.

Cela dit, presque au même moment, le Canada et les États-Unis signent la déclaration de Hyde Park, qui vise à permettre au Canada d'équilibrer ses comptes de guerre déficitaires avec les États-Unis.  Chacun des deux pays fabriquera pour les deux les équipements pour lesquels il est l'expert : l'équilibre et même les surplus arrivent rapidement en faveur du Canada.  Pour l'occasion, une société de la Couronne est créée qui accepte et négocie les commandes des fournitures militaires faites au Canada.

 

Le boum économique

L'aspect économique de l'effort canadien est particulièrement frappant.  L'industrie aéronautique, presque inexistante en 1939, occupe 130 000 personnes en 1945, qui ont produit 16 400 avions.  Les chantiers maritimes font 16 navires, en 1940, mais 4 419 durant toute la guerre.  Les véhicules militaires sont fabriqués au niveau de 70 000, en 1940, et de 147 000, en 1944 ; pour les chars d'assaut, c'est 100 en 1940 et une moyenne de 1 700 par année par la suite.  Les productions agricoles, forestières et des pêcheries doublent entre 1939 et 1945.  Quant à la dette, elle passe de trois milliards de dollars en 1938, à 13 milliards en 1946.
Le rôle primordial qu'a joué la Deuxième Guerre mondiale dans l'actuelle vie politique, économique et sociale du pays n'est pas toujours bien senti par la population.  La centralisation tant décriée et l'élan donné aux programmes sociaux qui existent aujourd'hui, trouvent une bonne partie de leurs racines dans cette guerre.

 

Le bilan de la guerre

La Deuxième Guerre mondiale a duré 2 076 jours et a causé environ 40 millions de morts de par le monde, la plupart des civils.  Les journaux canadiens du 8 mai 1945, tout en annonçant la fin de la guerre en Europe, publient une liste des plus récentes pertes militaires canadiennes : 76 Canadiens tués et 169 blessés.  Entre le ler janvier et le 8 mai 1945, dans cette guerre que tout le monde croit presque terminée, environ 8 000 Canadiens périssent.

La guerre crée ses petits drames.  Ainsi, Hughes Lapointe, fils du ministre Ernest Lapointe qui mourra avant la fin de l'année, aperçoit son père pour la dernière fois lorsqu'il lui fait ses adieux, à Halifax, le 21 juillet 1941.  Ce genre de drame personnel peut être multiplié des dizaines de milliers de fois.  Les trois services canadiens auront beaucoup souffert, entre 1939 et 1945.  La marine aura eu 2 343 pertes, dont 2 024 morts ; l'aviation 21 000 pertes, avec 13 589 tués ; et l'armée, 75 596 pertes, incluant 22 917 morts.  Parmi ces morts, une infirmière et trois femmes des Services féminins de l'aviation.  Il faut rappeler que 45 423 femmes ont servi dans les trois armées, sans compter les 4 518 des Services de santé.  La plupart étaient dans des postes subalternes et loin du front, personne ne croyant que la place de la femme soit dans les unités de combat ou près de celles-ci.

Ces forces armées n’étaient parties de rien, comme on l'a vu.  Par exemple, en 1939, la Milice permanente a environ 4 000 hommes et 500 officiers.  En juin 1944, on est passé à 50 000 officiers et 450 000 hommes et femmes non-officiers.  Cette soudaine augmentation ne peut se faire sans heurts et sans erreurs.  Il y en aura dans toutes les armées et à tous les niveaux.  Par exemple, lorsqu'on regarde le Plan d'entraînement aérien du Commonwealth britannique, on est frappé de voir qu'en 1939, pour économiser de l'argent, le Canada abandonne ses effectifs aériens au contrôle britannique.  Quand, plus tard, il voudra utiliser à fond un autre article du même accord pour créer des escadrons canadiens, il rencontrera des réticences aussi bien parmi ses alliés anglais que parmi les équipages canadiens qui se sont habitués à l'esprit de corps ambiant.  La « canadianisation » de nos forces aériennes sera dans les faits un demi-échec.

 

Les prisonniers de guerre

Parmi les joies entourant la fin de la guerre, soit en Europe, soit dans le Pacifique, se trouve celle ressentie par les 8 995 prisonniers de guerre canadiens.  Durant les dernières semaines des opérations militaires en Europe, ils devront fréquemment marcher durant des jours, sous la conduite de gardes qui pensent que l'Allemagne saura rebondir.  Leur sort, loin d'être facile, sera cependant enviable aux yeux des survivants des camps de concentration allemands qui ont vécu l'horreur et l'humiliation totale, jour après jour.  Quant aux quelque 1 500 qui sont retenus au Japon et soumis à un traitement abject, ils auront droit à quelques semaines d'une vie assez agréable, à la suite de leur libération, ce qui ne les guérira pas entièrement des sévices subis mais les rendra présentables aux leurs.

Les 33 843 prisonniers de guerre allemands au Canada verront leur ration journalière quelque peu diminuée, entre le 8 mai 1945 et leur retour chez eux, puisque la fin de l'état de guerre marque aussi celle de l'application de la Convention de Genève.

Parmi ceux qui reviennent ou arrivent au Canada, à compter de l'été 1945, il y a les épouses et les époux des 44 886 militaires qui se sont mariés en Europe, surtout en Angleterre, bien qu'il y ait aussi 1 886 Hollandaises, 649 Belges, 100 Françaises, 26 Italiennes, 7 Danoises et, malgré les règlements bannissant la fraternisation, 6 Allemandes.  Entre août 1944 et décembre 1946, c'est un total de 61 088 dépendants, dont 21 358 enfants, qui arrivent au Canada. Derrière, en Europe, il reste aussi quelques centaines d'enfants illégitimes et de femmes abandonnées par leur amant.
À ces nouveaux Canadiens, il faut ajouter environ 5 000 soldats polonais qui se sont battus auprès des Canadiens et souvent sous leur haut commandement, surtout à compter de la Normandie.

 

Le retour des soldats au pays

D'abord et avant tout, les volontaires reviennent au pays.  Ceux qui veulent participer à la guerre du Pacifique quittent l'Europe les premiers et reçoivent un congé de 30 jours.  Au bout du compte, ils seront privilégiés puisqu'ils ne partiront pas contre le Japon.  Quant au principe général à la base du rapatriement, il est que les premiers arrivés outre-mer, peu importe leurs grades, seront les premiers à retraverser.  Un système de points par mois de service au Canada ou outre-mer donnera, par exemple, 180 points à un soldat de la 1re Division enrôlé en 1939 et 60 points à un officier enrôlé en 1943 et prêté aux Britanniques, sous le nom de code CANLOAN.  Avant la fin de 1945, 184 000 militaires sont déjà de retour.

La 3e Division, choisie pour l'occupation, a été réorganisée à l'aide de 10 000 volontaires et de 8 000 soldats ayant moins de 50 points de rapatriement.  Sous les ordres du major général Chris Vokes, elle arrive en Allemagne en juin et juillet 1945, pour y relever la 2e Division.  Au sein de cette division et des 11 escadrons d'aviation qui étaient restés sur place après le 8 mai, on assiste bientôt à des « grèves » qui amènent le Canada à tout annuler et à rapatrier ses jeunes, anxieux de retrouver le pays et, surtout, de profiter des généreux plans de réhabilitation préparés à leur intention.

Profitant de l'expérience acquise lors de la Première Guerre mondiale, les planificateurs des années 1939-1945, souvent d'anciens combattants, mettent en marche une série de réformes bien avant la fin de la guerre.  Les ministres des Anciens combattants (Ian MacKenzie), de la Reconstruction (C.D. Howe) et du Bien-être social et de la Santé (Brooke Claxton) en sont les principaux responsables.  Le Canada dispose déjà d'un réseau d'hôpitaux militaires et a plus d'expérience entourant la réadaptation des handicapés que les États-Unis.  La Commission canadienne des pensions existe aussi depuis 1933.

 

La réintégration des anciens combattants

La législation portant sur la réinsertion des combattants prévoit que ceux-ci pourront retrouver leur emploi d'avant-guerre avec, au contraire de 1919, l'ancienneté et les salaires qu'ils auraient eus s'ils étaient restés ici.  En fait, la Charte canadienne des Anciens combattants est plus généreuse que l'américaine.  On remet à chacun une allocation de 100 $ pour l'achat de vêtements civils et une prime de 7,50 $ pour chaque 30 jours servis dans l'hémisphère ouest, plus 25 ¢ pour chaque jour servi ailleurs.  Celui ayant séjourné outre-mer reçoit sept jours de paie pour chaque six mois hors du pays.  Ainsi, un soldat avec trois ans de service, dont deux outre-mer, empochera 512 $.  On lui permet d'acheter 10 000 $ d'assurance-vie, en général sans examen médical ; s'il veut s'établir sur une ferme, des emprunts à bas taux d'intérêt (3,5 pour cent) sont disponibles.  On paiera des études universitaires ou une formation professionnelle pour une période de temps équivalente à celle durant laquelle le ou la militaire a porté l'uniforme.  Si rien de cela n'est acceptable, on versera une prime qui permettra d'acheter et d'entretenir une maison.  Les anciens combattants ont accès à tous les privilèges de l'assurance-chômage (apparue en 1941) après seulement 15 semaines de travail.  Aucun des pays belligérants n'a un plan de démobilisation aussi attrayant, comme si le gouvernement tentait de se racheter face à la situation lamentable dans laquelle il avait lancé dans la guerre une bonne partie de ses volontaires.

Durant la guerre, les 45 000 femmes volontaires ont été en général payées environ 20 pour cent de moins que les hommes du même grade.  Au retour, elles ont cependant accès aux mêmes privilèges qu'eux.  En 1946, 16 000 d'entre elles seront mariées et 20 000 travailleront.  Dans l'ensemble, elles iront en bien plus grande proportion que les hommes vers la formation professionnelle, le plus souvent dans des métiers conventionnels, comme coiffeuses, infirmières ou couturières.

Cela dit, à bien des égards, la Deuxième Guerre mondiale n'est toujours pas terminée.  Les hôpitaux d'anciens combattants gardent encore trop de corps et d'âmes meurtris à tout jamais.  Les vétérans canadiens de Hong Kong sont devant la Commission des droits de la personne de l'ONU afin d'obtenir réparation des sévices subis aux mains des Japonais.  De son côté, la coalition de la Marine marchande du Canada essaie d'avoir le statut d'anciens combattants pour ses membres dont, a déjà dit C.D. Howe, 40 pour cent venaient du Québec entre 1939 et 1945.  Dans tous ces cas, l'âge médian des protagonistes voisine les 80 ans.



06/01/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 5 autres membres