Histoires-du-Canada

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Les soldats du XVIe siècle1000-1754

Les soldats du XVIe siècle. Voyages de découvertes

John Cabot embarquant en costume de cérémonie sur le Matthew à Bristol, le 20 mai 1497. 
Après s'être embarqué à Bristol en mai 1497, Cabot navigue vers l'ouest pour apercevoir la terre le 24 juin. Il s'agit probablement de Terre-Neuve, mais peut-être aussi de l'île du Cap-Breton. Il prend possession de sa découverte au nom de l'Angleterre, qui peut ainsi revendiquer ses premiers territoires d'outre-mer. Gravure d'après E. Board.

 

Un peu avant la fin du XVe siècle, l'attrait des terres inconnues, à l'Ouest, se fit sentir de nouveau et l'Amérique fut redécouverte par les Européens, qui tentèrent, tout au long du XVIe siècle, d'y fonder des colonies : les Espagnols et les Portugais optèrent principalement pour l'Amérique du Sud, tandis que les Français et les Anglais s'intéressèrent surtout à l'hémisphère nord.  Parmi toutes ces nations, seule l'Espagne en tirera des profits importants.  Le Canada fut à cette époque la visée de nombreuses explorations, depuis celle de Jean Cabot, en 1497, jusqu'à celles de Jacques Cartier, mais aucune implantation n'en résulta.  Ce territoire demeura donc, jusqu'au XVIIe siècle, l'apanage exclusif des autochtones.  Néanmoins, les prises de possession effectuées par Cartier dans la vallée du Saint-Laurent furent reconnues, et les terres découvertes désignées sur les cartes européennes comme la « Nouvelle-France ».

 

 

Ces intrépides explorateurs ne se seraient jamais lancés à la recherche de terres inconnues, peut-être peuplées d'indigènes aux dispositions incertaines, mais supposées féroces, sans s'assurer un minimum de sécurité avec de bonnes armes et des gens qui en connaissaient le maniement et l'entretien.  Aussi, quelle que soit leur nationalité, les marins qui signaient leur engagement pour ces expéditions devaient-ils être capables de se transformer en « hommes d'armes » face au danger.  Chaque galion était équipé, dans cette éventualité, d'une réserve d'épées, de piques et d'arquebuses, et pourvu de quelques pièces d'artillerie.  La distinction entre « navire de guerre » et « navire marchand » restait cependant assez vague.  D'une façon générale, le galion ordinaire, qui faisait du commerce une année, pouvait être armé « en guerre » l'année suivante pour une campagne militaire, puis être affecté de nouveau au transport des denrées.  Il y avait quelques notables exceptions, comme le Great Harry, grand galion de guerre britannique.

 

Pour avoir développé un type de navire capable d'effectuer de longs voyages océaniques, les Européens du XVIe siècle jouissaient d'un avantage révolutionnaire sur tous les peuples de leur temps.  Ce ne fut pas seulement l'Amérique que leur avance technique mit à leur portée.  À la même époque, ils réussirent également à contourner l'Afrique.  Les Portugais, qui dominaient à ce moment-là la scène maritime, atteignirent l'Inde en 1500, puis se rendirent jusqu'en Extrême-Orient.

 

Galion du XVIe siècle
Les membres d'équipage de ce galion du XVIe siècle utilisent plusieurs instruments pour connaître leur position. Des outils comme le bâton de Jacob et le nocturlabe sont utilisés la nuit pour mesurer la position des étoiles dans le ciel. Avec ces mesures, les navigateurs peuvent savoir à quel endroit de la planète ils se trouvent.

 

De la piétaille au soldat

Aux XIVe et XVe siècles, de profondes transformations touchèrent également l'armement et la tactique.  Elles entraînèrent l'avènement d'un nouveau type d'homme de guerre : le soldat professionnel.  Au Moyen Age, le prototype du guerrier, sur les champs de bataille européens, c'est le chevalier.  Il se déplace à cheval, comme son nom l'indique; revêtu d'abord d'une cotte de mailles et d'un heaume, il sera, par la suite, enfermé de pied en cap dans une armure d'acier.  Les gens à pied, la « piétaille », comme on dit dédaigneusement, ce sont habituellement les archers et les piquiers.  Ils sont mal équipés- on leur interdit les armes de gentilshommes, comme l'épée, qui pourraient leur sauver la vie dans les mêlées - et très peu protégés, bien que sévèrement exposés tout au long du combat.

La situation changea après que des armées de chevaliers, ayant pour opposants de simples gens de pied, eurent essuyé de cuisantes défaites.  Cela se passa au XIVe siècle, quand une série de batailles mit la chevalerie aux prises avec des bandes de rudes montagnards suisses armés d'arcs, d'arbalètes, de longues piques et d'hallebardes, ces piques terminées par une tête de hache comme en porte encore de nos jours la garde suisse du pape.  Rassemblés en formation serrée, piquiers et hallebardiers formaient une sorte de monstrueux hérisson que les chevaliers et leurs montures étaient impuissants à pénétrer.  La noblesse subit alors des pertes terribles et les Suisses acquirent, grâce à cette technique qui bouleversait les règles du jeu, une notoriété militaire qu'ils conservèrent durant des siècles.

Le XIVe siècle vit aussi l'arrivée des armes à feu sur les champs de bataille, sous la forme des lourdes bombardes, ancêtres des canons, qui se signalaient surtout durant les sièges.  Il fallut attendre encore une centaine d'années avant qu'apparaissent les premières armes à feu portatives : les arquebuses.  Elles étaient capables de percer les armures.


Au Moyen Age, chevaliers et seigneurs comptaient dans leur suite, sur une base régulière, des « sergents » et des « archers », dont la tâche consistait à encadrer les autres sujets à qui obligation était faite de servir sous les armes pendant 40 jours par campagne.  Avec l'accession de l'infanterie au rang de « reine des batailles », l'importance des gens de pied s'accrût, ainsi que, proportionnellement, leur nombre et la durée de leur service.  Rarement payés, ces hommes vivaient souvent de rapines ou d'exactions commises sur les petites gens, aux environs des champs de bataille.  La campagne terminée, certains devenaient de véritables dangers publics.

On les qualifiait même de « pilleurs et mangeurs de peuple ».  Pour éviter ces abus, les princes en vinrent graduellement à « solder » les hommes qui se vouaient à la pratique de la guerre.  D'où, en France, « ce beau nom de soldat » qu'on leur donna.  Au XVe siècle, le principe de payer les hommes qui embrassaient le métier des armes s'établit solidement.

 

L'enrôlement des soldats

Archer portugais et, à gauche, arbalétrier, début du XVIe siècle
On trouve fréquemment des archers et des arbalétriers sur les navires et dans les premiers établissements d'outre-mer, durant la première moitié du XVIe siècle. Ces soldats ont très probablement participé aux incursions des Portugais à Terre-Neuve et à l'île du Cap-Breton. Museu de Arte Antiguo, Lisbonne (Photo : René Chartrand).

 

La compagnie est l'unité tactique de base, au XVIe siècle.  Elle regroupe un nombre variable de soldats, en moyenne une cinquantaine, mais quelquefois bien plus.  Ils sont commandés par des officiers : le capitaine, assisté d'un ou de plusieurs lieutenants et d'un enseigne porte-drapeau.  Tandis que les officiers proviennent habituellement de la petite noblesse, les sous-officiers se recrutent parmi les soldats les plus expérimentés ou les plus instruits.  Ce sont les « anspessades » - à peu près l'équivalent du lance-caporal ou première classe moderne -, les caporaux, les sergents et les fourriers.  Il y a au moins un tambour et souvent un fifre par compagnie, ainsi qu'un « soldat frater », dont la tâche est de donner les premiers soins aux blessés.  Les compagnies peuvent se composer uniquement de piquiers, d'arbalétriers ou d'arquebusiers, ou d'un mélange de ces diverses spécialités.  Comme on peut le voir, si l'on exclut les changements dus à l'évolution des armes et l'appellation de certains grades, la compagnie, telle qu'elle était constituée il y a 500 ans, présente de nombreuses similitudes avec celle d'aujourd'hui.

À la Renaissance, le capitaine recrute généralement lui-même les hommes qu'il lui faut pour remplir ses effectifs, mais il peut déléguer cette tâche à son représentant- le lieutenant ou le sergent « recruteur » -, qui fait les premières approches.  Celles-ci doivent déboucher sur une entente.  Lorsqu'elle sera conclue, la recrue se trouvera liée au capitaine par un contrat, parfois oral, et recevra alors « la prime », somme d'argent versée au soldat au moment de son enrôlement.

Le nouveau venu doit prêter serment aux « Articles de la guerre », qui définissent ses devoirs et ses obligations, notamment la fidélité au drapeau, et l'avertissent de ce qui l'attend en cas de mutinerie ou de désertion - habituellement la peine capitale.  Quand il recevra sa solde, elle sera déjà entamée par divers paiements que retiendra le capitaine pour assumer les frais de son équipement et de son armement, s'il n'en possède pas.  L'officier, en général, se repaye avec profit.  La nourriture et le vêtement peuvent faire l'objet de semblables déductions.  Si la recrue arrive, par ailleurs, armée, équipée et vêtue, diverses conditions de son contrat seront à son avantage.  Il semble d'usage que les soldats envoyés outre-mer bénéficient de certains privilèges pour l'achat de leur fourbi, ce qui représente sans doute une forme de compensation.

 

Les soldats des expéditions au Canada

Jusqu'au milieu du XVIIe siècle, les diverses expéditions à destination du Canada ne furent pas accompagnées de détachements des troupes royales, mais d'hommes levés par les compagnies d'exploration et de commerce qui finançaient l'opération.  Pour avoir le droit de recruter des soldats, ces compagnies, anglaises ou françaises, devaient obtenir la permission du souverain, condition qui s'appliquait également au droit de couler des canons et de faire la guerre.  Elles s'engageaient à assumer tous les frais de l'expédition, dont ceux du recrutement, de l'entretien et de l'équipement des troupes, en échange d'un monopole exclusif, la traite des fourrures, par exemple.  Le chef de l'expédition recevait en outre une commission royale de lieutenant-général, ou de gouverneur, qui lui donnait autorité pour agir au nom du roi - souvent un des actionnaires importants de l'entreprise - dans les affaires de la colonie.

Qui sont-ils donc, ces soldats qui accompagnent les expéditions se dirigeant vers le Canada ?  Il est probable que plusieurs, sinon la majorité, étaient des vétérans de l'armée royale ayant à leur actif, déjà, plusieurs campagnes.  En fait, la composition des premiers corps militaires envoyés en Amérique du Nord dut ressembler à celle des troupes transportées par les Espagnols au sud.  Il y a « parmi nous des soldats qui avaient été dans plusieurs parties du monde, à Constantinople, dans toute l'Italie et à Rome... », Écrit l'un deux.  En période de paix, surtout, ces soldats, démobilisés, arpentaient les divers royaumes d'Europe en quête d'un engagement, et l'aventure outre-mer n'était certes pas à dédaigner.

Par ailleurs, les soldats ne sont pas les seuls hommes d'armes que l'attrait de ces expéditions amène en Amérique.  Des gentilshommes s'y joignent pour participer aux explorations, dans l'espoir de trouver de l'or ou de se procurer des terres.  Cartier en prend quelques-uns sur ses bateaux en 1535 ainsi qu'en 1541-1543.  Dans certains cas ils sont relativement nombreux.  Par exemple, lors de la seconde expédition de Martin Frobisher, en 1577, on compte « 11 autres gentilshommes » en sus des officiers réguliers.  Ce sont, en quelque sorte, des surnuméraires, dont l'épée et les connaissances peuvent s'avérer utiles.

Les documents du XVIe siècle sont vagues quant à la présence et au nombre de soldats dans les corps expéditionnaires.  En 1504, un galion français vogue vers le Brésil.  C'est l'une des premières fois que la France envoie des hommes outre-mer.  Les écrits sur ce voyage ne mentionnent pas l'occupation de chacune des 60 personnes à bord, mais rapportent cependant qu'elles sont bien armées, avec quelque 40 « harquebuses et autres tels bastons à feu », sans compter des piques, des pertuisanes et des dagues.  Une mention selon laquelle « Jacques L'Homme, dit La Fortune, soldat », a été enlevé, de même qu'un marin, par les Amérindiens, prouve qu'il y avait des hommes d'armes à bord.

 

Les soldats de Cartier et de Roberval. Une présence militaire croissante

Roberval et ses soldats en Nouvelle-France, 1542
Les hommes ayant accompagné Roberval dans son expédition de 1542 sont montrés dans plusieurs points figurant sur cette carte de la Nouvelle-France de 1546 réalisée par Pierre Descelliers.

 

À son premier voyage, en 1534, Jacques Cartier ne semble pas avoir emmené de soldats de métier ni de gentilshommes autres que ses officiers.  Cependant, il y a certainement au moins un canonnier parmi l'équipage de ses deux navires, car on tire du canon.  La relation du second voyage, l'année suivante, mentionne qu'il y a à bord « tous les gentilshommes » de l'expédition et des soldats.  Ils sont si bien armés que le chef Donnacona s'inquiète, lorsqu'ils descendent à terre, de ce que « le capitaine et ses gens portaient tant de bastons de guerre » alors que les Amérindiens n'en avaient aucun.  Ces « bastons de guerre » étaient probablement des piques et des hallebardes.  C'est que les Français sont sur leurs gardes.  Ils ne se rendront à Hochelaga que menés par « le capitaine et les gentilshommes et 25 soldats bien armés ».  De plus, lorsqu'ils décident d'hiverner au Canada, cette même année, pour la première fois, comme ils craignent « quelque trahison » de la part des Amérindiens, ils érigent un petit fort « tout clos de grosses pièces de bois plantées deboute t tout alentour garni d'artillerie ».  Ils le renforcent, en sus, « de gros fossés, larges et profonds, avec porte à pont-levis ».

 

Jacques Cartier ordonnant des tirs de canon pour impressonner les Indiens
Les Iroquois sont d'abord surpris et effrayés par les canons de Cartier, mais cet effet ne dure pas très longtemps. Gravure d'après H. Sandham

 

Les considérations d'ordre militaires, jusque-là limitées à l'essentiel, revêtiront leur pleine importance lorsque Cartier entreprendra son troisième voyage au Canada, quelques années plus tard, en compagnie du sieur de Roberval.  Le but visé, cette fois, n'est pas seulement l'exploration, mais la colonisation.  Un projet, rédigé par Cartier à cette époque, mentionne qu'il lui faut « 40 hommes de guerre Harquebuziers ».  En avril 1541, toutefois, un espion à la solde de l'Espagne, posté à Saint-Malo, observe que les préparatifs laissent supposer une expédition beaucoup plus importante.  Le sieur de Roberval, rapporte-t-il, commande 300 « hommes de guerre », le capitaine Jacques Cartier est à la tête de 400 marins et de 20 maîtres pilotes, et il y aura à bord quelque 160 gentilshommes.  Sans parler des artisans, ouvriers et autres personnes de métier nécessaires à l'établissement d'une future colonie.  Au total, quelque « 800 à 900 personnes » De plus, ces soldats sont armés, dit-il, d'arquebuses et d'arbalètes et ont aussi des « rondelles », c'est-à-dire des petits boucliers ronds.  Il avance des chiffres : 400 arquebuses, 200 arbalètes, 200 « rondelles », et plus de 1 000 piques et hallebardes.  Il y aurait aussi plusieurs pièces d'artillerie.  Bref, de quoi armer non seulement les soldats et les gentilshommes, mais même les marins et les futurs colons.

 

Jacques Cartier prend possession du Canada au nom de la France, 1534
Cartier pointe du doigt les armoiries de la France sur la croix pendant une cérémonie de prise de possession du Canada par la France. Des hommes d'armes font partie des premiers explorateurs. Gravure d'après Louis-Charles Bombled

 

Une « rondelle » du XVIe siècle.
Quelque 200 « rondelles » - des boucliers ronds portés par des fantassins armés d'épées, plus communément appelés « rondaches » - font partie de l'armement apporté au Canada en 1541. Les épées servent toujours d'arme à une grande partie des contingents d'infanterie des armées européennes au milieu du XVIe siècle. Gravure d'après Viollet-le-Duc

 

 

Une cohabitation difficile

 Ruse de guerre des Canadiens par A. Thévet, publié en 1575
Cette gravure est probablement la première représentation publiée d'un engagement avec des Indiens au Canada
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Enfin, en mai 1541, on met les voiles.  Jacques Cartier part le premier.  Il y a probablement, sur ses cinq navires, une compagnie de soldats.  Arrivé à ce qui est maintenant Québec, et qu'il nomme Charlesbourg-Royal, il fait construire deux forts, l'un au pied du cap Rouge et l'autre, sans doute plus petit, au sommet, car l'endroit commande toute la région.  On se met à l'œuvre rapidement.  Tandis que les uns s'installent et commencent à cultiver la terre, les autres partent explorer.  Ils découvrent bientôt ce qu'ils croient être de l'or, de l'argent et des diamants - l'eldorado français !  Malheureusement, les relations se gâtent avec les Amérindiens iroquoiens.  De cordiales qu'elles étaient au début, elles se font ouvertement hostiles durant l'hivernement de 1541-1542.  Ceux-ci se vanteront même à des pêcheurs espagnols d'avoir tué quelque 35 Français.  La situation est suffisamment sérieuse pour que Cartier abandonne Charlesbourg-Royal.  En juin 1542, il retourne en France avec ce qu'il lui reste de monde.  Et avec ses trésors...

Parti à son tour, en 1542, Roberval vogue vers le Canada avec trois navires.  Y ont pris place 200 personnes dont quelques gentilshommes.  Mais voilà qu'en arrivant à Terre-Neuve, à l'emplacement de la ville actuelle de St. John's, il croise Cartier toutes voiles vers la France !  Il a beau lui faire valoir que les Français possèdent maintenant des forces suffisantes pour pouvoir affronter les Amérindiens, et lui ordonner de retourner au Canada, la soif de l'or et de la gloire ont gain de cause sur le sens du devoir.  À la faveur de la nuit, Cartier se sauve pour rentrer à Saint-Malo où l'attend une grosse déception : ses trésors ne sont que des cailloux !  De plus, sans doute parce qu'il a désobéi à Roberval, plus jamais le roi de France ne lui confiera le commandement d'une expédition.

Malgré l'abandon de Cartier, Roberval continue sa route et arrive à son tour à la hauteur de Québec.  Les fortifications érigées l'année précédente semblent avoir été rasées, car il lui faut tout reconstruire à neuf.  Un fort « d'une grande force, situé sur une montagne », et comportant « une grosse tour » et des corps de logis, se dresse bientôt au sommet du cap Rouge.  Un autre est édifié au pied de la dite montagne, « dont une partie formoit une tour à deux étages, avec deux bons corps de logis ».  Le nouvel établissement est baptisé France-Roy.  Les Amérindiens ne semblent pas trop hostiles à ce nouveau contingent, mais ils se tiennent à l'écart.  Durant l'hiver de 1542-1543, le scorbut frappe : le quart des Français succombe à l'épidémie.  Sa colonie décimée, n'ayant pas trouvé d'or, Roberval abandonne lui aussi et les survivants sont de retour en France au début de septembre 1543.

 

D'autres expéditions infructueuses

Marin anglais, années 1570
Le bonnet en fourrure et les culottes amples sont caractéristiques de l'habillement du marin anglais à la fin du XVIe siècle.

 

Après les expéditions de Cartier et de Roberval, de 1541 à 1543, le reste du XVIe siècle voit diverses tentatives françaises et britanniques pour trouver le passage du nord-ouest ou un autre eldorado : toutes se soldent par des échecs.

Les explorations les plus importantes seront celles que conduira le Britannique Martin Frobisher, entre 1576 et 1578.  Comme Cartier, Frobisher recherche, mais beaucoup plus au nord, le fameux passage vers l'Asie, et de l'or.  Sa deuxième expédition, en 1577, comprend une centaine d'hommes, incluant une trentaine de soldats et 11 gentilshommes.  Au cours de ce voyage, les relations entre Anglais et Inuit se dégradèrent rapidement.  Les premiers voulurent prendre des autochtones en otage et une bataille s'ensuivit.  Les soldats européens se servirent alors de leurs arquebuses et de leurs arcs.  Quelques-uns, et Frobisher lui-même, furent blessés par les flèches des Inuit.  L'endroit où se déroula cet engagement, le premier à se produire dans le Grand Nord, fut baptisé « The Bloody Point ».

 

Chasseur inuit en kayak tel qu'il a été vu pendant l'expédition de Frobisher
Les illustrations et les descriptions des Inuits réalisées à la fin des années 1570 par George Beste offrent une perspective humaine et pénétrante de cette culture du Grand Nord.

 

D'un point de vue militaire, les blessures subies par les Britanniques, lors de ce combat, dénotent qu'ils ne portaient pas d'armures ou de vêtements protecteurs, ou que ceux-ci étaient insuffisants.  Par ailleurs, les soldats anglais de cette époque disposaient à peu près des mêmes armes que leurs confrères français, exception faite du grand arc qu'ils étaient les seuls à utiliser.  Eux aussi portaient souvent la livrée, mais les soldats et les marins des expéditions de Frobisher n'en avaient peut-être pas.

 

Sir Humphrey Gilbert extrayant la première motte d'herbe à Terre-Neuve, en août 1583
La colonie britannique de Sir Humphrey Gilbert à Terre-Neuve échoue, notamment parce que les colons se préoccupent davantage de trouver des gisements d'argent que de cultiver la terre. Le 5 août 1583, Sir Humphrey revendique l'île lors d'une cérémonie par laquelle il tient une brindille de noisetier et une motte d'herbe. Cet hiver-là, l'explorateur se rembarque pour l'Angleterre et disparaît le jour où son navire sombre dans une tempête.

 

Croyant avoir découvert de l'or dans l'île Kodlunarn, Frobisher revient l'année suivante à la tête d'une flotte de 15 navires transportant quelque 400 hommes.  C'est, à l'époque, la plus importante expédition jamais entreprise dans l'Arctique.  Sur ce nombre, il devait y avoir, toutes proportions gardées, 200 marins et une centaine de soldats, puisque, sur la centaine d'hommes censés hiverner cette année-là dans l'île de Baffin, on dénombrait 40 marins et 30 soldats.  Le reste se composait des officiers réguliers, de gentilshommes et, bien sûr, de mineurs, puisque, durant l'été, plus de 1 300 tonnes de minerai « d'or » étaient extraites du sol.  Devant un tel trésor, Frobisher, comme Cartier, décide de s'en retourner plutôt que d'hiverner sur place.  Analysé à son retour en Angleterre, le minerai se révèle être... du gneiss.

D'autres expéditions succédèrent à celles de Frobisher, quoique beaucoup plus modestes et apparemment non armées, comme celles qu'entreprit, entre 1585 et 1587, John Davis, découvreur du détroit qui porte aujourd'hui son nom.  Davis et ses marins se heurtèrent eux aussi aux Inuit et ne purent aller plus loin que Frobisher.  Quelques années auparavant, en 1583, Sir John Gilbert avait eu tout juste le temps de prendre officiellement possession de Terre-Neuve, une fois de plus, au nom du souverain britannique, avant de disparaître dans une tempête.

 

L'or des mers septentrionales. Flottes baleinières des Basques sur les côtes du Labrador

Navire du milieu du XVIe siècle, gravé sur une planche du galion San Juan, qui a coulé à Red Bay, au Labrador, en 1565.

 

De récentes découvertes confirment que la côte du Labrador connut aussi son heure de gloire durant la seconde moitié du XVIe siècle, alors que des baleiniers du pays basque espagnol y venaient, saison après saison.  Ces intrépides marins étaient les seuls Européens à posséder la technique et l'audace voulues pour chasser ces énormes cétacés.  L'huile qu'ils en tiraient, utilisée principalement pour l'éclairage, rapportait des sommes importantes.  Chaque printemps, environ 2 000 d'entre eux arrivaient à bord d'une vingtaine de galions et s'établissaient pour la saison sur la côte du Labrador, plus particulièrement à un endroit nommé « Butus », face au détroit de Belle-Isle qui faisait alors partie de la « Provincia de Terranova ».  C'est aujourd'hui Red Bay.  Compte tenu que la flotte espagnole aux Antilles, chargé de ramener l'or et l'argent des peuples conquis, se composait de 70 à 80 navires, la présence d'une vingtaine de galions au Labrador semble surprenante.  Elle démontre bien l'importance de la « Terranova ».  L'huile de baleine, c'était en quelque sorte l'or des mers septentrionales.

Les établissements des Basques espagnols au Labrador n'avaient rien de permanent.  Il s'agissait de stations temporaires, faites pour durer la saison.  À l'occasion, quelques baleiniers se voyaient forcés d'y passer l'hiver.  Parfois, un galion faisait naufrage.  Ce fut le cas, par exemple, du San Juan, qui coula en 1565 et fut retrouvé dans les eaux de Red Bay au cours des années 1970.  Des relevés archéologiques sous-marins minutieux y furent effectués, car ce type de navire joua un rôle considérable dans l'histoire mondiale.

 

Conflit chez les Basques

Arquebusier, XVIe siècle
Les armes à feu portatives, comme celle qu'utilise cet arquebusier, se répandent dans les armées européennes au XVIe siècle, mais elles sont difficiles à manier et lentes à faire feu. La pique, l'arbalète, l'arc et l'épée sont toujours utilisés sur les champs de bataille de l'ancien comme du nouveau monde. Gravure d'après Vecellio.

 

Des conflits éclataient parfois entre les équipages des bateaux de pêche montés par les « Basques du Sud », comme on appelait les gens du pays basque espagnol, et ceux des « Basques du Nord », qui étaient français.  En 1554, ceux-ci prennent quatre navires à leurs cousins espagnols, au large de Terre-Neuve.  La riposte ne tarde pas à venir.  La même année, le Sancti Spiritu se transforme de baleinier en navire-corsaire et se tient à l'affût des bateaux battant pavillon français.  Une partie de la flotte de pêche française sera détruite à Terre-Neuve, au cours d'une attaque espagnole.  La France et l'Espagne sont alors en guerre et d'autres escarmouches se produisent.  Le 21 avril 1557, une ordonnance du roi Philippe II d'Espagne oblige tous les navires allant à Terre-Neuve, morutiers, baleiniers ou autres, à s'armer d'au moins quatre canons et huit pierriers.  Plusieurs le sont déjà.  Dès 1550, le galion Madalena, jaugeant 130 tonneaux, possède six canons et huit pierriers.  La même année, le San Nicolas, 250 tonneaux, est armé de six canons et de 12 pierriers.  Le Santa Ana, grand navire de 650 tonneaux, a 10 canons et 20 pierriers, tandis que le San Juan, environ 300 tonneaux, coulé en 1565, était équipé de huit canons et de 10 pierriers.

 

Casque et plastron espagnols en acier, XVIe siècle
Ce type d'armure a été trouvé sur les galions espagnols qui se rendaient au Labrador durant la deuxième moitié du XVIe siècle. Museo Casa Pizarro, Trujillo, Espagne

 

En général, les galions des Basques espagnols étaient des navires assez grands, jaugeant de 200 à 650 tonneaux, environ, et comportant un équipage de 50 à 120 hommes.  Les documents de l'époque ne signalent aucunement la présence de soldats, ni à bord des navires ni à terre.  Cependant, officiers et marins pouvaient prendre les armes, au besoin, et se transformer en un genre d'infanterie de la marine.  Chaque galion était muni de pièces d'artillerie en fer, ce qui laisse supposer la présence de marins-canonniers.  Pour voir à l'entraînement de ces hommes et au bon entretien des canons, l'état-major de chaque navire comprenait un officier-canonnier.

 

Galions espagnols affrontant une tempête dans l'Atlantique Nord, vers 1560-1580
Les baleiniers basques, basés au Labrador, doivent affronter les mêmes intempéries que ces navires espagnols. Parfois, des navires sont perdus. L'un d'entre eux, le San Juan, sombre à Red Bay, au Labrador, en 1565.

 

Néanmoins, un document relatif à une entente de prêt, datant de 1571, pour la construction du San Cristobal, galion de 500 tonneaux, mentionne que les armateurs devaient mettre à bord 24 arquebuses, autant d'arbalètes et de boucliers, 26 casques, 20 cuirasses avec leur dos, et 144 petites et grandes piques, le tout destiné à armer la centaine d'hommes qui y monteront.  En cas de bataille, l'équipage de ce navire se répartissait donc comme suit : près de la moitié utilisait les arquebuses et les arbalètes, un quart ou un cinquième portait armure et pique, tandis que le reste servait dans l'artillerie ou exécutait les manœuvres.  À cet armement s'ajoutaient les armes personnelles des membres de l'équipage et des officiers, épées, dagues, haches.  Un tel arsenal ne représentait pas une précaution inutile.  Ce navire courait, comme tous ceux de l'époque, de grands risques d'être attaqué en mer.  Et quand les hommes descendaient à terre, ils se heurtaient à l'hostilité des Inuit provoquée vers 1550 par l'enlèvement de la femme d'un chef.  Geste irréfléchi qui rendit la côte du Labrador, déjà peu accueillante, avec ses rochers dénudés et ses conifères rabougris, encore plus inhospitalière pour des générations de marins basques.

 

Le déclin

Par ailleurs, il semble que la défaite aux mains des Anglais de « l'invincible Armada », orgueil de la marine espagnole, ait joué un grand rôle dans le déclin des pêcheries à Terre-Neuve, car les Basques y perdirent un nombre considérable de navires, et aussi de marins, mobilisés par ordre de Philippe II.  Les dures pertes infligées à la flotte espagnole se traduisirent par une baisse importante de la sécurité en mer et par l'apparition en force de pirates, surtout anglais, au tournant du XVIIe siècle.  Le plus célèbre de ceux-ci fut sans doute Peter Easton.  Sa base était à Terre-Neuve.  Prise par la flotte basque espagnole, elle fut reprise par Easton et ses hommes à la suite d'un combat épique.  Vers la même époque, le quasi-monopole des Basques espagnols sur la chasse à la baleine s'effondra au profit des Hollandais et des Anglais.  Cette activité n'étant plus aussi profitable, « la provincia de Terranova » fut oubliée...

 

L'échec européen

Du côté de la France, une dernière tentative de colonisation eut lieu, juste avant la fin du siècle, cette fois à l'île de Sable, au large de la Nouvelle-Écosse, en 1598.  Nommé vice-roi de la Nouvelle-France, le marquis de La Roche-Mesgouez ne se risqua pas à venir en personne sur ce banc de sable à fleur d'eau, battu par des vents que rien n'arrêtait.  Il envoya une quarantaine de colons, recrutés dans les prisons et escortés par une dizaine de soldats, y fonder l'établissement.  Seuls 11 survivants furent rescapés en 1603, les autres ayant péri au cours d'une mutinerie.  De plus, après un hiver désastreux, l'« Habitation » édifiée à Tadoussac en 1600 par Pierre Chauvin de Tonnetuit fut abandonné.

Au Mexique et au Pérou, face à des civilisations amérindiennes beaucoup plus avancées qu'au nord, les Conquistadores ont pu avoir gain de cause principalement parce qu'ils pouvaient affronter leurs armées en terrain ouvert.  Mais au Canada, où les opposants ont pour grande tactique de se rendre insaisissables et bénéficient du couvert, pour le moment incontournable, que leur fournissent la nature du territoire et les affres du climat, les vagues successives d'arrivants européens se voient réduites, l'une après l'autre, à une guerre défensive.  Comment se lancer militairement à l'assaut de l'intérieur d'un pays inconnu, quand déjà on tremble pour sa vie dans le fortin côtier ou le galion duquel on n'ose débarquer ?  Cette insécurité chronique explique pour une bonne part la faillite des établissements européens au Canada, au XVIe siècle.  Même l'activité semi-permanente des Basques espagnols tire à sa fin.  Depuis l'ère des Vikings, la rencontre des Européens avec les Amérindiens s'est souvent faite dans la violence et, malgré leur grande supériorité technologique, les Blancs ne semblent pas capables de faire des gains durables.  Quand Cartier abandonne Charlesbourg-Royal, en 1542, il allègue ne pouvoir « avec sa petite bande, résister aux Sauvages qui rodoient journellement et l'incommodois fort ».  Aveu très clair de l'efficacité tactique de la guérilla amérindienne.  Dans l'Arctique, les Inuit tiennent également les Blancs en échec.  Les chroniqueurs anglais ne cessent de se plaindre de la vaillance au combat de ces « Savages » et de leur adresse dans le maniement des armes.

Enfin, un nouvel élément, qui commence à se manifester pendant la première moitié de ce siècle, intervient avec plus de force durant la seconde : les diverses nations européennes, sans délaisser leurs champs de guerre traditionnels, ont commencé à se battre entre elles outre-mer, essaimant ainsi leurs conflits armés aux quatre coins du monde.

Un siècle s'est écoulé depuis que Jean Cabot a pris possession de Terre-Neuve.  Il ne reste rien de la présence française, anglaise ou basque, en Amérique du Nord...  Une page est tournée.
 



01/01/2013
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